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Escrime: "Si Ysaora Thibus n’est pas blanchie, je ne comprends plus rien", assure le professeur Jean-Claude Alvarez

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Le professeur Jean-Claude Alvarez témoignera ce lundi en visio, depuis le Brésil, devant le tribunal disciplinaire de la Fédération internationale d’escrime. Après avoir étudié et écrit un rapport prouvant, selon lui, la contamination d’Ysaora Thibus à l’ostarine, substance interdite, par son compagnon, il espère que la fleurettiste pourra participer aux Jeux olympiques et échapper à une suspension.

Ysaora Thibus plaide sa cause ce lundi devant le tribunal disciplinaire de la Fédération internationale d’escrime pour échapper à une suspension suite à son contrôle positif à l’ostarine, une substance interdite par l’Agence mondiale antidopage depuis 2008. La fleurettiste est suspendue provisoirement depuis le 9 février et la révélation de ce test, réalisé le 14 janvier dernier après une Coupe du monde en France.

L’escrimeuse et ses avocats ont fait appel au professeur Jean-Claude Alvarez, spécialiste de ce genre d’affaires (impliqué dans le cas de Simona Halep récemment, par exemple), pour chercher comment Thibus pouvait avoir de l’ostarine en elle ce jour-là. Le professeur Alvarez a publié en ligne son expérience et ses résultats. Il explique tout à RMC Sport alors que la Française risque, en théorie, jusqu'à quatre ans de suspension.

Comment avez-vous procédé pour prouver la contamination d’Ysaora Thibus ?

Je fais toujours à peu près pareil: au départ, je fais une analyse de cheveux. Et en fonction du résultat de cette analyse, je vois si oui ou non l’athlète se dope ou pas. J’ai pleins d’affaires ou je m’arrête là car je n’ai pas d’arguments contre le dopage. Au départ, Ysaora et son compagnon sont venus et m’ont expliqué que lui prenait de l’ostarine. A partir de là, je leur ai dit qu’on ferait l’analyse capillaire une semaine plus tard - quand il aurait arrêté d'en consommer - car quand on prend quelque chose comme cela on se contamine, on en met partout avec les mains, ce qui peut tronquer l'analyse. Donc la première fois, je ne leur ai fait qu’une analyse d’urine, et elle montrait bien que lui était hyper chargé et qu’elle en avait très peu, compatible avec ce qu’elle avait eu le jour de son test. Je les ai donc reconvoqué une semaine après et j’ai fait des analyses capillaires qui ont clairement montré que Race Imboden en a des tonnes et Ysaora des concentrations infimes, tout à fait compatibles avec ce que l’on appelle une contamination croisée. C’est-à-dire que lui en prenait en cachette, il ne lui avait pas dit, il ne pensait pas du tout qu’il y avait le moindre risque… A partir de là, on a continué et c’est ce qu’on présentera à l’audience.

Ces analyses capillaires ne suffisaient pas ?

Non car les instances sont très compliquées et malheureusement les analyses de cheveux ne suffisent pas, il faut aller au-delà. Donc j’ai organisé une journée test qui mimait ce qu’il s’est passé le 14 janvier, date du contrôle positif. On s’est basé sur leur souvenirs et ils ont reproduit la même journée: lui a pris une dose d’ostarine, il est allé la rejoindre, ils se sont embrassés comme le 14 janvier lorsqu’elle gagnait, quand ils étaient tous les deux, aux mêmes heures. Ils ont fait ça chez eux, pendant 25 heures. Lui ayant mis un millilitre de produit dans sa bouche concentré à 17 mg par millilitre, c’est clair qu’il en garde pendant des heures dans la salive. Il l’embrasse et sans s’en rendre compte, il la contamine. Je n’y suis pas resté 25 heures mais j’ai fait une collecte d’urine qui a commencé dès le début de cette journée et ensuite régulièrement. Ce qui m’intéressait c’était le prélèvement de 22h30, le soir, puisque Ysaora a été prise à 22h30 le 14 janvier. J’ai analysé le lendemain.  Et ce prélèvement de 22h30 montre la même concentration que ce qu’elle avait le jour J. Ca confirme d’un point de vue scientifique qu’on peut avoir cette concentration uniquement en s’embrassant comme ils l’ont fait le jour du contrôle.

Vous dites aussi dans votre étude que la salle de bain, la brosse à cheveux, les draps étaient aussi contaminés.

L’ostarine, on en élimine de partout, en plus c’est une molécule qui colle, c’est comme la cocaïne, c’est une horreur. Quand son conjoint en prend, il en met sur les oreillers, partout, elle en a pleins les cheveux, sa brosse… Vous en éliminez par la sueur aussi. Donc j’ai dit à Ysaora qu’elle devait tout désinfecter, son casque, tout. Le problème c’est que ça se prend en milligramme dans la bouche et on va rechercher du nano voire du picogramme dans les cheveux ou les urines. Il y a une différence de 10 puissance 9 entre les deux. C’est de la contamination externe. C’est terrible aujourd’hui que des sportifs se fassent attraper pour ce genre de bêtises. Ce n’est pas du dopage. Elle est contaminée avec des microdoses qui ne lui font rien mais rendent le résultat positif.

Cela a-t-il quand même pu améliorer sa performance ?

Non. Il faut au moins 1 à 3 milligrammes pour commencer à avoir des effets. Il faut 1000 fois plus que c’est qu’on a retrouvé en elle. Il ne peut pas y avoir eu d’effet. Il faut juste que l’Agence mondiale antidopage admette ces contaminations qui ne changent rien. Il faut arrêter. Après, les instances disent que ça peut être des éliminations tardives si un athlète a pris la substance par exemple dix jours avant. D’accord, mais dans ce cas-là on fait des analyses qui permettent de montrer qu’elle ne prend pas régulièrement.

C’est tout de même une grosse erreur du compagnon d’Ysaora Thibus…

C’est un autre problème. Je pense qu’il est dans tous ses états, s’il avait imaginé une seconde qu’il l’aurait contaminée, il n’aurait rien pris. Je pense que ça manque d’information tout ça…

Aujourd’hui vous êtes sûr à 100% de votre version ?

A partir du moment où j’ai fait les cheveux, les analyses de leurs urines, j’ai reproduit la journée du 14 janvier et il y a la même concentration, scientifiquement la publication que j’ai faite tient la route et d’ailleurs, elle a été acceptée immédiatement. J’espère juste que le tribunal va l’accepter en tant que tel et j’avoue que j’ai un gros espoir.

Qu’espérez-vous ?

On a fait le tour, elle devrait être blanchie, je l’espère. Elle n’y est pour rien, ce n’est pas du dopage, ce n’est pas de la négligence. Son copain en prenait et elle ne le savait pas. Si là elle n’est pas totalement blanchie, je ne comprends plus rien.

Propos recueillis par Valentin Jamin