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À quoi ressemble la Saudi Pro League et quels sont les objectifs de l'Arabie saoudite?

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L'arrivée fracassante de l'Arabie saoudite sur le marché des transferts européen doit permettre à la Saudi Pro League de devenir, à terme, un championnat all-stars. Un moyen de rivaliser face au Qatar et aux Émirats arabes unis.

Brozovic, Kanté, Benzema, Koulibaly, Milinkovic-Savic… Leurs noms ont fait rêver l’Europe, ils nous ont fait lever de notre siège en Ligue des champions ou en Coupe du monde, ils auraient tous pu faire les beaux jours de bons clubs européens, mais ils ont choisi l’Arabie saoudite. Si les contrats pharaoniques qui attendent ces joueurs (et tant d’autres de seconde catégorie) justifient le choix de s’exiler loin de l’Europe, c’est aussi parce que le championnat saoudien veut exister sur l’échiquier mondial.

Une affaire de soft-power et de communication, évidemment

Dans la péninsule arabique, peut-être plus qu’ailleurs dans le monde, on regarde avec envie ce que le voisin réussi de bien et on se répond à coup de millions. Quand les Émirats arabes unis ont acheté Manchester City, le voisin qatari a répondu en achetant le Paris Saint-Germain. Et l’Arabie saoudite, superpuissance, a fait le constat qu’elle ne disposait pas de visibilité par le biais du football.

Si les relations se sont un peu apaisées entre le royaume saoudien et l'émirat qatari, la concurrence demeure. Géant de cette région du monde, l'Arabie saoudite a regardé la Coupe du monde avec une admiration teintée d’amertume et de jalousie. Ce Mondial qui a placé le Qatar sur la carte du monde aux yeux du grand public et qui aura été de facto une incroyable pub pour le tout petit voisin 200 fois plus petit géographiquement que l'Arabie saoudite.

"Le pays espère secrètement organiser le Mondial 2034"

Marcel Tisserand fait partie des pionniers. L’ancien de Toulouse et de Wolfsburg a rejoint Al-Ettifaq le club de Dammam à l’été 2022 en provenance de l'Allemagne. Il explique: "S’il y a ce recrutement de joueurs de renom, c’est une opération séduction. L’Arabie saoudite a pour l’objectif d’obtenir l’organisation d’une Coupe du monde dans les dix ans. Donc ça passe par le fait d’avoir des locomotives, des clubs puissants, une visibilité internationale". D’ailleurs, le pays espère secrètement organiser le Mondial 2034 et cherche des pays alliés dans sa région, la co-organisation ayant le vent en poupe.

Mais comme une autre Coupe du monde ne pourra être organisée au Moyen-Orient avant au moins trois éditions, l’Arabie saoudite a décidé d’exister autrement et immédiatement à travers le football, en dopant son championnat à coup de joueurs de haut niveau. Objectif réaliste: devenir un championnat important à l’échelle mondiale en attirant des grands noms. Et la machine est en route. Objectif non avoué mais bien réel: faire du championnat saoudien un championnat all-star.

"L'argent n'est pas une ressource, c'est un moyen"

"Dans cette zone du monde, les schémas vis-à-vis de l’argent doivent être repensés, observe un ressortissant français auprès de RMC Sport. L'argent n'est pas une ressource, car il est quasiment illimité du fait des gisements de gaz et de pétrole à disposition L'argent est un moyen. En fait, ici, on ne se pose pas la question de comment financer tel ou tel projet, mais de comment on va le réussir sans que les coûts ne rentrent vraiment en ligne de compte. Et le projet Neom en est la preuve". Neom est un projet somptuaire de ville futuriste toute en longueur sur pas moins de 170 km, une utopie architecturale qui déjà couté 80 milliards de dollars et dont le coût final est estimé à 500 milliards de dollars.

"La Coupe du monde en est un exemple, le Qatar a dépensé sans compter pour un événement réussi et personne ne retient le coût. Tout le monde retient le succès", conclut-il. 200 millions d’euros par saison pour Ronaldo ou Benzema, 25 pour Kanté ou Neves, le prix ne compte pas si le résultat est probant. Le fait est que, passé l’étonnement de l’Europe de voir la Pro League hyperactive sur le marché des transferts et après avoir dû accepter son poids sur le mercato en deux mois, le Vieux Continent regarde aujourd’hui avec curiosité ce championnat en se demandant à quoi vont ressembler ces équipes-agrégats de noms ronflants et des joueurs locaux au niveau plus modeste.

Des grands stades et un vrai public

Le championnat saoudien, ce sont 18 équipes réparties dans 13 villes du pays (Haïl, Buraydah, Ar Rass, Al-Majma'ah, Riyad, Al-Hufuf, Dammam, Saihat, Djeddah, La Mecque, Abha, Khamis Mushait et Najran). L’argent n’a pas seulement été investi dans les joueurs. Le championnat compte deux stades de plus de 60.000 places: le King Fahd International Stadium de Riyad, écrin du club de Al-Hillal que vont découvrir Kanté et Koulibaly, et le King Abdullah Sports City de Djeddah, où joue le champion en titre Al-Hilal emmené par l’ex-entraîneur de Wolverhampton et de Tottenham Nuno Espírito Santo. Il faut aussi compter deux stades de plus de 35.000 places, sept de plus de 20.000 sièges et quatre de 7 à 15.000 places (15 stades pour 18 équipes, car certains clubs se partagent certains stades). La grande majorité de ces stades ont été fraîchement rénovés.

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Marcel Tisserand, qui sera entraîné cette saison par Steven Gerrard, témoigne: "Niveau infrastructures et stades, c’est en plein développement, même si très peu de club sont propriétaires de leur stade. Al-Ittihad, où jouera Benzema, et Al-Ahli, où jouera Firmino, les stades sont superbes. Notre stade, nous à Al-Ettifaq, est en cours de construction. Il sera prêt pour la deuxième moitié de saison. Bref, c’est en plein essor!" En revanche, les coulisses sont un peu moins clinquantes: "Il y a peu de clubs qui ont de vrais centres d’entraînement de qualité. À Dammam, on a des terrains, mais les installations ne sont pas encore au niveau de l’Europe. Mais ca va se faire. Ils veulent d’abord amener des joueurs, puis attirer des TV pour s’ouvrir au monde, être vus. Ensuite, ils structureront la partie moins visible".

En 2027, l’Arabie saoudite accueillera la Coupe d’Asie et les stades seront d’ici là au niveau de ce qu’a proposé le Qatar, explique le comité d’organisation. Mais d’autres événements ont déjà posé leurs valises dans le royaume: les Supercoupes d’Espagne et d’Italie se sont déroulées là-bas cette saison, et la dernière édition de la Coupe du monde des clubs, sous le format actuel, se déroulera 12 au 22 décembre prochain dans la capitale Riyad.

Coté public, l’engouement est en progrès. Si des images délirantes ont été diffusées lors de la deuxième partie de saison, elles étaient bel et bien dues à la présence de la Cristiano Ronaldo, qui a effectivement permis de remplir certains stades. Reste que les ambiances sont chaudes et que les Saoudiens aiment le football. Al-Ittihad remplit régulièrement les 62.000 places de son stade dans une grosse ambiance. Al-Hilal, le club de la capitale, a également une forte popularité et une base solide de supporters réguliers. Al-Ahli jouit aussi d’un bel engouement. On est en réalité bien loin dans ce pays de l’absence de culture foot que l’on avait ressentie chez le voisin qatari lors de la Coupe du monde. L'ancien sélectionneur national Hervé Renard répétait d’ailleurs à qui voulait l’entendre que "l’Arabie saoudite est un pays de football".

Les récentes transactions sur le marché des transferts se sont faites ressentir dans le prix des places, passé à domicile de 3 à 35 euros en moyenne pour les supporters d'Al-Nassr. Il en sera de même dans les autres stades cette saison.

Des joueurs de dimension internationale, mais pas que…

La Saudi Pro League, passée cette saison de 16 à 18 équipes (avec deux descentes et quatre montées), débutera le 11 août entre deux promus: Al-Ahli et Al-Hazem, une équipe très majoritairement saoudienne et sans immense stars. Mais les propriétaires de ce championnat et l’État, qui insuffle ce vent d’investissement, misent aussi sur les entraîneurs. Nuno Espírito Santo est donc champion en tire, Steven Gerrard est arrivé cet été, mais d’autres noms étrangers se sont installés dans la péninsule moyennant de gros salaires bien sûr, mais aussi des conditions de vie rêvées: Luis Castro (Al-Nassr), Jorge Jesus (Al-Hilal), Igor Jovičević (Al-Raed).

Aveu de faiblesse ou volonté de progresser vite? Aucun club n’est dirigé à ce jour en première division par un entraîneur local. Côté adjoint, pour le moment rares sont les locaux présents dans les différents staffs. L’objectif semble donc être plus à l’obtention de résultats immédiats qu’à la transmission du savoir. Une preuve parmi d’autres que ce championnat est pressé. Pressé d’exister aux yeux du monde, pressé de voir les caméras se focaliser sur lui. Et par extension, pressé de voir le monde regarder vers l’Arabie saoudite. Car c’est bien de cela dont il s’agit.

Timothée Maymon