"Ça fait un peu de bruit aux alentours": immersion dans un club belge, où le port du casque est obligatoire pour les gardiens

A peine arrivé sur le terrain synthétique pour l’entraînement du soir que Bruno, 13 ans, sort de son sac à dos un casque. Un objet devenu obligatoire depuis la semaine dernière. "Ça fait trois saisons que je suis ici, et ça m’a choqué de porter un casque. Mais depuis, je me suis habitué et maintenant je le porte. La première fois, ça fait bizarre, on dirait que tu as un poids sur la tête. Une fois que tu le portes, ça va. C'est agréable, ce n’est pas très gênant."
Pour cet entraînement, les six gardiens l’ont tous sur la tête. "On ne rentre pas sur un terrain sans son casque en tant que gardien de but. Et si un garçon l'oublie, ce n'est pas grave. Il peut jouer avec ses pieds dans le jeu, mais il ne sera pas dans les buts. Maintenant, c'est définitif. On est gardien ici, entre 10 et 18 ans, on n'a pas le choix", insiste Sandro Salamone, responsable de l’école des jeunes du club de Tubize-Braine, à l’initiative de cette mesure.
"Au début, je pensais que c’était pour rigoler", se marre Noah, 14 ans, à l’issue de l’entraînement. Lui, comme ses coéquipiers, a appris la nouvelle après une réunion entre les responsables du club et les parents. "On nous a parlé du danger, si on ne l'a pas. Qu'on pouvait avoir des commotions ou quelque chose d'autre, ou même aller dans le coma. Et que c'était mieux de le porter", poursuit-il. Cette nouvelle règle a pour but de protéger les gardiens des chocs à la tête et des commotions cérébrales. Mais les commotions, qu’est-ce que c’est concrètement? "Il n'y a pas une commotion, il y a des commotions", explique Alexis Demas, neurologue référent à la Fédération française de football pour les commotions cérébrales.
"En fait, tout va dépendre de l'impact, de la puissance du choc qui va être transmise au niveau du cerveau. Une commotion, c'est un traumatisme qui va entraîner une altération transitoire des fonctions neurologiques, traumatisme qui est lié à une atteinte de la face ou du crâne, ou bien qui peut être lié à un impact sur un autre endroit du corps, mais dont l'onde de choc va être répartie au niveau du cerveau. Il y a énormément de sous-types de commotions qui existent et qu'on voit régulièrement lorsqu'on regarde des matchs dans le sport en général. Vous avez par exemple des phénomènes de commotions ultra-légères où les joueurs vont se plaindre avant tout de maux de tête, de sensations de vertige sur le terrain. Et à l'opposé, vous allez avoir des commotions très sévères, on reste dans le même cadre de la commotion, où les joueurs vont avoir une perte de connaissances initiales, d'emblée. Voire des crises d'épilepsie."
"Une mesure intéressante"
Le port du casque est une décision portée par Sandro Salamone, arrivé en avril dernier à la tête de l’école des jeunes du club. Ce dernier s’est vite rendu compte des risques élevés de commotions chez les footballeurs. "Dans un premier temps, on se rend compte en regardant les différentes études qui ont été faites que beaucoup de commotions cérébrales ne sont pas détectées. Et, on a vu qu'en Elite, il y avait certains clubs en Belgique néerlandophones qui imposaient le port du casque. En réfléchissant un petit peu, en creusant, on s'est dit que c'était une très bonne idée de le faire aussi", souligne Salamone. La RUTB rejoint donc les clubs de Genk, Louvain et Malines, adeptes du port.
Car les commotions cérébrales sont un vrai fléau dans le sport, qui peuvent avoir d’importantes séquelles pendant, ou après la carrière. "Pour le football, c'est une grande étude faite par une équipe écossaise qui l'a mis en évidence, en 2019. D'anciens joueurs de football retraités avaient un risque majoré de certaines maladies dégénératives, des variantes de maladies d'Alzheimer ou de Parkinson. Avec une forte suspicion de liens avec des chocs à la tête répétés, donc des commotions. Commotions qui peuvent être liées à des mécanismes différents, que ce soit par un jeu de tête répété ou par des traumatismes lors des contacts dans le football", explique Alexis Demas.
Cet exemple des clubs Belges et du casque lui semble être une initiative prometteuse. "Cette mesure, pour les gardiens, elle est intéressante puisqu'on sait que c'est l'un des postes les plus facilement exposés aux commotions. On a l'image par exemple d’Hugo Lloris lors d’un match qui va dans les pieds de l'attaquant et qui se prend le genou en pleine tête. Il va avoir une commotion d'emblée sévère puisqu'il va avoir une perte de connaissance. Donc, pour ce profil-là de poste, c'est une mesure qui semble intéressante. Après, c'est une habitude qui va être dure à prendre, on le devine. Mais avec l'évolution, on peut penser qu'elle sera très précieuse", ajoute le neurologue.
"Je me sens plus en sécurité"
Pendant la séance spéciale gardiens de la RUTB, Joseph, le coach, a dû lui aussi s’adapter à cette nouvelle règle: "Comme toute nouvelle chose, on a toujours besoin d'un temps d'adaptation. C'est nouveau pour eux. Je pense qu'à la première séance d'entraînement, il y a eu pas mal de situations où ils étaient gênés, le casque tombait. Mais avec le temps qui passe, eux-mêmes s'adaptent. Ils essayent de bien l’ajuster au niveau de la tête et ils s’habituent". Surtout que les jeunes ont désormais bien compris son importance. "Je suis plus à l'aise dans les duels", avoue Bruno. "Je me sens plus en sécurité. Parce qu'au moins, il y a moins de risques de chocs à la tête", ajoute Kylian, 15 ans. Reste que, la première fois, tous ont eu la même réaction: à quoi allons-nous ressembler avec ça sur la tête? "Je me suis dit qu'on allait ressembler à un œuf", sourit Nathan, 13 ans. "Je me suis dit qu’il n’y aurait plus de photos sur les réseaux sociaux. Parce que c’est un peu… pas la gêne mais genre c’est… Je ne sais pas. C'est un peu rigolo, en fait", hésite Noah.
En tout cas, s’il y en a bien qui y ont adhéré sans sourciller, ce sont les parents. "Je suis pour à 100%. Avec le casque, la protection est deux fois plus forte ou dix fois plus forte. Ce qui est dommage, c'est que ce n’est pas encore assez répandu pour moi en Belgique. Mais Tubize-Braine a eu une très bonne initiative et ça va se développer de plus en plus dans les clubs", espère Pierre, le papa du jeune Noah. Pour que chaque enfant ait en sa possession un casque, le club a reçu l’aide d’un sponsor. "On a, avec la société CAR3000, basée à Tubize, trouvé un sponsor qui nous permet d'avoir l'achat des casques moins cher. Et puis, nous, on a aidé les parents en rendant l'achat du casque un peu moins cher aussi. Donc tout le monde était gagnant. Notre sponsorat a un peu de visibilité. Les parents ont un casque à moindre coût. Et puis, certains joueurs mettent 250 euros dans une paire de chaussures pour jouer. Donc, pourquoi pas mettre 80 euros dans un casque pour se protéger", estime Sandro Salamone.
"La santé des jeunes n’a pas de prix"
Pour les parents, deux solutions s’offrent à eux. Soit l’achat pour 80 euros (prix réduit) auprès du club, soit le club met à disposition un casque en échange d’une caution. Dès les premiers jours de mise en place, le résultat est sans appel selon Salamone: "Ce n'est pas ma nature d'imposer les choses, mais là, je n'ai pas vraiment laissé le choix. J'avais l'impression que si je laissais le choix, le projet n'aurait pas pris vie comme il a pris vie maintenant. Globalement, je pense que c'est vraiment bien accueilli. J'en veux pour preuve que les parents ne sont jamais très contents de devoir payer pour quoi que ce soit. Et ici, j'ai laissé la possibilité d'avoir le casque sous caution ou de l'acheter, et la majorité des parents achètent le casque. Donc, ça veut dire qu'ils adhèrent vraiment à ça, qu'ils voient sur du long terme la possibilité, même si leur enfant devait quitter le club, de continuer à jouer avec un casque tout au long de leur carrière de jeune, du moins".
À l’entraînement, sous les ordres de Joseph, les six gardiens enchaînent les exercices: parades, arrêts genoux au sol… Tout pour progresser et s’habituer à leur nouveau compagnon: le casque. Depuis cette mise en place, le club de Tubize-Braine a été contacté par des clubs voisins. "On a deux ou trois clubs dans la région qui nous ont demandé où on avait acheté les casques, quel était le budget, pourquoi on avait obligé ça directement et qu'on n'avait pas laissé une période un peu transitoire... Ça fait un peu de bruit aux alentours. Maintenant, est-ce que les autres clubs vont y passer? Je n'en sais rien, mais j'invite la Fédération à se pencher là-dessus très sérieusement. Parce que la santé des jeunes enfants n'a pas de prix", conclut Salamone.
Alexis Demas le reconnait, il faut encore éduquer les jeunes footballeurs à ces risques. "La sensibilisation aux commotions, elle devrait faire partie de l'enseignement dans le parcours du sportif professionnel", estime le neurologue. "C'est à nous de faire cet effort médical de renseignement, d'enseignement et de leur dire que leur corps, c'est leur propre métier. Il faut qu'ils en prennent soin. Les commotions, c'est quelque chose qui peut paraître assez nébuleux, assez opaque, alors que non, c'est vraiment quelque chose qu'il faut qu'ils puissent maîtriser et comprendre". En France, aucun club n'a, à notre connaissance, pris la décision de faire porter un casque à ses gardiens.