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La folie Luis Suárez en Uruguay après son retour au Nacional avant le Mondial

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Le meilleur buteur de la sélection uruguayenne, Luis Suarez, a effectué le mois dernier son grand retour au Nacional Montevideo, le club de ses débuts. Accueilli triomphalement à son arrivée, Suarez a déclenché une grande effervescence sur place. Reportage.

L’Uruguay et ses quelque 3,4 millions d’habitants vivent un rêve éveillé depuis le 31 juillet dernier. Dix-sept ans après l’avoir quitté pour jouer sur le Vieux Continent, Luis Suárez, le meilleur buteur de l’histoire de la Celeste (68 buts), est de retour au pays sous les couleurs du Nacional de Montevideo*, son club formateur et de cœur, pour préparer la Coupe du Monde. Un choix étonnant et romantique.

Libre depuis la fin de son contrat avec l’Atlético de Madrid l’été dernier, l’attaquant de 35 ans avait plusieurs offres européennes et américaines sur la table. Le Pistolero était même très proche de signer au club argentin de River Plate. Mais après l’élimination prématurée des Millonarios en huitième de finale de Copa Libertadores, l’ancien buteur du Barça change ses plans. Le 7 juillet dernier, après avoir lui-même lancé un appel du pied aux dirigeants de Nacional de Montevideo via la presse locale, le président de l’institution José Fuentes prend contact avec le joueur et se rend à Madrid pour essayer de boucler l’improbable transfert.

"On avait l’impression que l’Uruguay avait gagné la Coupe du Monde"

Une impressionnante campagne de séduction des supporters dans les rues de Montevideo et sur les réseaux sociaux via le #SuárezANacional achèvent de convaincre l’attaquant de signer au Nacional. Selon nos informations, il aurait demandé à ne pas gagner plus que les cadres de l’équipe, soit près de 30.000 euros par mois. Des milliers de personnes l’accueillient à son arrivée à l’aéroport, sur la Rambla, l’interminable avenue qui longe la côte du Rio de la Plata, et au Gran Parque Central, l’enceinte de la formation aux couleurs bleu-blanc rouge.

"J’ai vu des bébés, des personnes âgées, des gamins avec le maillot de Peñarol crier mon nom depuis les balcons. Que ma fille et mes deux fils vivent ce moment, ça n’a pas de prix. C’est tout ce qui m’a fait revenir en Uruguay", explique Suárez au quotidien El Observador le 7 septembre dernier. Chez lui, le Pistolero est un héros national. Sa main pour éviter le but du Ghana en quart de finale du Mondial 2010 et sa morsure sur Chiellini quatre ans plus tard au Brésil ont largement contribué à façonner la légende d’un joueur auquel les locaux s’identifient pour son éternel "garra" sur le terrain.

"On avait l’impression que l’Uruguay avait gagné la Coupe du Monde, se remémore José Fuentes, celui qui a rendu ce retour possible. Je suis sorti dans la rue et il y avait des klaxons, des feux d’artifices, les gens qui chantaient … Je n’avais jamais vu un truc pareil. Je n’arrivais pas à parler aux journalistes parce que j’étais ému. Luis est revenu grâce aux gens et parce qu’il en avait vraiment envie. Tout ce que provoque sa venue est positif. Les gamins à l’entraînement, ils le regardent avec de grands yeux. Ils se levaient tôt le matin pour le regarder jouer à Liverpool. Et là, il est là, à côté."

Depuis son arrivée, impossible de passer à côté de la "Suarezmania" en Uruguay. Son nom et son visage sont partout, tout le temps, dans les médias locaux. Ses maillots se vendent à la pelle à la boutique du club. L’institution affirme avoir vendu un mois ce qu’elle vend en un an. Nacional qui comptait un peu plus de 55 000 socios en a désormais 10 000 de plus. Un fresque murale géante en honneur du 9 a été peinte devant l’entrée du stade devant lequel les fausses tuniques, écharpes, chapeaux à l'effigie du 9, se vendent à la pelle. Le Gran Parque Central (stade qui a accueilli le premier match de la Coupe du Monde 1930) affiche désormais complet à chaque rencontre. La plupart des adversaires délocalisent leurs rencontres face à l’équipe de Lucho à l’Estadio Centenario et ses 60.000 places. Pour offrir l’idole au plus grand nombre et s’assurer une entrée d’argent plus importante.

L'idole Suarez peinte sur les murs
L'idole Suarez peinte sur les murs © @RMCSport

Le football local, l’un des plus faibles et pauvres d’Amérique du Sud, essaie dans son ensemble de profiter de la venue d’une star qui ne se plaint pas de de devoir jouer dans des enceintes parfois délabrées, comme lors de son premier match à Belvedere en banlieue de Montevideo, face à Liverpool le 14 août dernier. A part Nacional, Peñarol et dans une moindre mesure Danubio et le River Plate local, les infrastructures et les pelouses uruguayennes sont en général en mauvais état.

Au-dessus du lot

Suárez a-t-il bien fait de venir préparer sa Coupe du Monde dans ce contexte ? Le débat est omniprésent dans les médias en Uruguay. Certains se demandent s’il n’aurait pas dû faire un choix à la Cavani qui a récemment signé à Valence en Espagne. La joie affichée du joueur et de l’engouement au pays finissent souvent par convaincre du bon choix effectué par l’attaquant. Le sélectionneur Diego Alonso assure avoir confiance en Suárez et son expérience pour bien préparer ce qui pourrait bien être son dernier Mondial.

Sur le terrain, en dix matches, Suárez, remis de ses soucis au genou, a déjà délivré trois passes décisives et inscrit quatre buts dont un somptueux lors du clásico uruguayen face à Peñarol. Seule ombre au tableau, l’élimination en quart de finale de Copa Sudamericana face aux Brésiliens de l’Atlético Goianiense (aucun club uruguayen n’a gagné un titre continental depuis le succès de Nacional en Copa Libertadores en 1988, preuve du déclin du football local par rapport à ses voisins).

Ses coéquipiers, dont Sergio Rochet, le gardien des Tricolores et de la sélection, assurent profiter du même "Lucho de toujours": "C’est le Luis de l’Atlético, de Barcelone, de Liverpool, de l’Ajax… C’est le même . Il a toujours la faim qu’il avait en débutant sa carrière. Il lutte sur chaque ballon, il se donne à 100%, se bat avec les adversaires. On en profite parce que c’est une bête. Il nous apporte beaucoup. Nos rivaux sont obnubilés par lui donc on en profite. Il s’est parfaitement adapté."

Les supporters de Nacional, la plupart avec leur maté et leur thermos d’eau chaude, viennent désormais plus tôt au stade pour ne rien rater de son échauffement. "Je l’observe et parfois j’y crois, parfois je n’y crois pas", témoigne Matias, 36 ans, supporter de Nacional. Il était en tribunes lors du match face à Boston River le 14 septembre dernier (1-0) au Gran Parque Central. Avec son fils Diego, 6 ans, il hallucine encore en voyant Suarez sur le terrain avec le maillot de leur équipe: "Je regarde le match mais je le suis en permanence les mouvements qu’il fait. Mon fils l’encourage tout le temps. Pour notre championnat, il est au-dessus du lot ! Mais il devait être ici parce que c’est sa maison. Merci Luis. Les gens t’aiment et on te remerciera toujours d’être revenu ! VAMOOOS LUIS !"

Ils en profiteront encore quelques semaines jusqu’à la Coupe du Monde. C’était le deal. Ensuite, le Pistolero envisagerait de terminer sa carrière aux Etats-Unis. Le Los Angeles FC où évolue notamment l’Italien Giorgio Chiellini (qu’il avait mordu au Mondial au Brésil) est évoqué.

*Nacional est, avec son grand rival Peñarol, l’une des deux grands clubs d’Uruguay. Selon une étude publiée par la faculté des sciences sociales de Montevideo en 2018, près de 80% des Uruguayens se déclarent supporters de Peñarol ou Nacional).

Georges Quirino Chaves à Montevideo (Uruguay)