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Mondial 2018: on était au coeur de la délégation marocaine lors de la qualification

Hervé Renard à Abidjan

Hervé Renard à Abidjan - EJ/RMC Sport

Notre reporter Edward Jay a accompagné le dernier match qualificatif du Maroc de son ami Hervé Renard. Il raconte trois jours de folie à Abidjan.

Au milieu de l’euphorie, il y a l’accolade. Elle ne dure pas longtemps, moins de cinq secondes mais, depuis, elle charrie tant en elle de souvenirs que cet instant, j’en ai la chair de poule à la repasser, au ralenti, dans ma tête. Du temps suspendu à lui, à moi et à nous au milieu d’une cohue indescriptible sur le parking devant la sortie des vestiaires. Ce temps qu’il m’accorde en me donnant son accréditation en souvenir, les yeux dans les yeux équivaut à celui qu’il consacre à un "selfie", ces autographes modernes. Il a le même sourire pour moi, mais nous avons aussi les mots que nous échangeons. Ils sont à lui, à moi, à nous.

Car depuis nos 12 ans, nous jouions ensemble dans le pré familial sur les bords du Lac du Bourget, à Aix les Bains, avec la cabane transformée en vestiaire juste à proximité de la cage en bois créée par Michel, mon père. Nous avions fait un pacte, quand on savait que lui avait un talent ballon au pied et que ma compétence footballistique (et "mon fitness approximatif et/ou défaillant…", comme il me chambre à foison) aurait plus sa place en tribune de presse que sur la pelouse. Un jour, j’allais commenter ou écrire des articles sur lui en première division. C’était entre 1980 et 1983.

La "zénitude du Fox"

Une libération après deux jours sous pression. Et pourtant. Samedi matin, dans sa suite au 20e étage du Sofitel, Hervé Renard est décontracté. Rieur. Chambreur. Il discute avec son adjoint en charge de la vidéo. Avec un café et/ou un cappuccino, ses boissons favorites des dernières heures.

"Bon, j’ai un métier… moi", déclame-t-il d’un coup, dans un grand sourire qui à lui seul m’invite à me lever du fauteuil. Je comprends le message, il est 11h. Il faut le laisser à sa préparation.

En le quittant, je croise Romain Saïss dans l’ascenseur qui cherche sa route pour la balade. Il faut fendre la foule des supporters marocains qui ont dépassé le service d’ordre du Sofitel. Lui aussi ressent cette "zénitude du Fox". Elle est contagieuse. Les prémices du match énorme du défenseur passé par Clermont et Angers et maintenant en Premiership à Wolverhampton.

Juste avant de me laisser, Hervé m’indique une bonne table dans la lagune d’Abidjan pour déjeuner. Il a ses adresses dans la capitale ivoirienne où sa trace se découvre dès les premiers taxis que me véhiculent. Pas confiant, le supporter des Eléphants: "Mais parce qu’il y a Renard en face", me répond le chauffeur avec le maillot orange de la sélection, une tunique du titre de 2015, me montre-t-il fièrement.

"Messieurs, les Eléphants, ce jour, on gagne ou … on gagne"

Psychologiquement, Hervé Renard a déjà gagné son match. Deux grosses heures avant le coup d’envoi, le stade a des allures de bouilloire avec cette chaleur ambiante (34 degrés) mais aussi par la grâce de plus de 3000 supporters marocains que les 22 avions affrétés par le Roi du Maroc (avec espace vaccination à l’arrivée pour les étourdis …) ont amené à pied d’œuvre depuis la veille. Dans cette Cote d’Ivoire où le poids économique du Maroc s’amplifie chaque jour, la ferveur des fans en fait de même. Eux aussi, dans les tribunes, ils ont déjà gagné.

Idem dans la tribune de presse. On se croirait au cœur des virages, chaque reporter a revêtu les couleurs de son pays. Les journaux du matin, en font presque plus sur Hervé Renard que sur leur sélection. Un seul titre sort de l’ordinaire: "Messieurs, les Eléphants, ce jour, on gagne ou… on gagne."

Une clameur monte dans les tribunes. Que se passe-t-il? Herve Renard est en gros plan sur les écrans géants, dans le couloir des vestiaires avec des regards complices avec les joueurs d’en face. Je me souviens de sa phrase de la veille en conférence de presse. Toujours cash: "Demain, il y a un des deux sélectionneurs qui sera viré, le perdant…" Il connait les risques du métier. Il y a deux ans jour pour jour, il était "viré" de Lille. Mais jamais, il n’évoque le mot revanche.

M6 au téléphone

La suite s’écrit "logiquement" sur le terrain. Le Maroc construit sa victoire (2-0 en 30 minutes) et oblitère son billet pour la Russie. Hervé Renard intériorise tout, debout à côté du banc de touche. Il garde tout pour lui. Tout juste me glisse-t-il qu’il pensait que cela allait être plus dur. "Et pas de but encaissé en éliminatoires", lâche-t-il fièrement.

Une heure s’écoulera ente la fin du match et notre accolade. Entre temps, le téléphone sonne. C’est "M6" me glisse-t-on à l’oreille. "La télé?" "Non, le Roi Mohammed VI..." Dehors, c’est la folie. Je ne connais pas l’euphorie qui entoure Neymar. Mais celle qui s’empare de Renard quand il met les pieds en Afrique ne doit pas en rougir. Exceptionnel. Il savoure.

Il peine à monter dans le bus avec sa chemise blanche, mouillée certes mais sur un cintre. Nous échangerons deux minutes pas plus. Je lui rappelle juste cette confidence quand il revenait d’un match avec l’Equipe de France cadet au cœur des années 80. "Edward, retiens un nom, Didier Deschamps. Je crois que je pourrais dire que j’ai eu la chance de jouer avec lui!"

Trente cinq ans plus tard, Hervé Renard sera le deuxième sélectionneur français de la Coupe du Monde 2018 aux côtés d’un certain … Didier Deschamps. Une anecdote à lui. A moi. A nous. Et désormais, à vous.

Edward Jay