RMC Sport

Equipe de France féminine: Hervé Renard, l'itinéraire tortueux de celui qui cherche à être prophète en son pays

placeholder video
Utopique aux yeux de certains, l’idée qu’Hervé Renard prenne les rênes de l’équipe de France féminine ne l’a jamais été pour le double champion d’Afrique des nations (Zambie 2012 et Côte d’Ivoire 2015). Car sa soif de challenges dans les plus grandes compétitions internationales n’a pas d’égal, pas même un contrat en or massif avec l’Arabie saoudite. Qui plus est quand il s’agit de son pays pour lequel il va actionner ses leviers, déjà aperçus au cours de sa carrière, notamment en charge de cinq sélections.

Dans le tourbillon médiatique de son après Coupe du monde - compétition durant laquelle il fut finalement le seul, avec l’Arabie saoudite, à faire tomber l’Argentine, future championne - Hervé Renard ne cache jamais ses envies, ses objectifs et son rêve ultime. Témoin, cet échange quand il accepte de participer au podcast "After Galaxy" sur RMC Sport en janvier 2023: "Hervé Renard, c'est notamment deux CAN remportées avec la Zambie en 2012 et la Côte d'Ivoire en 2015. Il y a eu l'Europe, il y a eu l'Asie, il y a eu l'Afrique, il a envie de quoi Hervé Renard maintenant? Est-ce qu'il aimerait découvrir autre chose, un autre continent?", l'interroge-t-on. "Oui, pourquoi pas, répond le Savoyard. Découvrir tout ce qui se fait au plus haut niveau ou s’en rapprocher le plus possible. Les places sont limitées." Relance de Nicolas Vilas, qui mène l’interview: "Il va falloir changer très souvent de sélection du coup, parce que là il y a un contrat jusqu'en 2027 avec l'Arabie saoudite..." "Oui mais les contrats... Dans le football, ça veut dire quoi un contrat aujourd'hui? Si on ne veut plus de vous, on se sépare de vous, c'est comme ça. Et puis le football c'est un business, il y a toujours des négociations possibles."

Créer un élan national et dépoussiérer les livres d’histoire des pays, il en fait sa ligne directrice lors de son passage en Afrique (2008-2019). Il débute avec la Zambie en 2012 qu’il place tout en haut de la hiérarchie africaine. Le retour des héros, avec tout un pays ou presque, rassemblé sur la route de l’aéroport et la capitale, Lusaka reste pour lui un souvenir indélébile. Il faut des heures entières pour que la délégation, titrée quelques heures plus tôt au Gabon relie les deux lieux, séparés d’une vingtaine de kilomètres et d’ordinaire bouclés en un gros quart d’heure … Il remet cela trois hivers africains plus tard (2015), avec la Côte d’Ivoire, dont le retour à Abidjan met en transe un peuple sevré de titre depuis 1992 et dont les larmes de peine d’une défaite en finale en 2012 face à la Zambie de … Renard restent vivaces.

Et il y a le Maroc qu’il remet sur la carte des phases finales de la Coupe du monde pour l’échéance russe de 2018, 20 ans après sa dernière apparition en France en 1998. Ce 11 novembre 2017 à Abidjan, il y avait presque autant de supporters marocains que locaux dans le stade où les visiteurs l’emportent 0-2... Sans oublier, la dernière en date, en Arabie Saoudite après les exploits des Faucons au Qatar.

En privé, avec ses proches ou en public, où même s’il se fait rare, ne joue que rarement la langue de bois, il ne fait jamais mentir son ADN, chevillé au corps: "Il faut mesurer la chance qu'on a de faire ce métier, d’être dans le football. De faire vibrer ces 35 millions de Saoudiens l’ont fait le jour d'Argentine–Arabie Saoudite. Le sport, mais surtout le football fait qu’on est capable de faire des choses qui ne s'achètent pas."

La résilience en bandoulière

Car reprendre des sélections pas habituées aux trophées (Zambie), endormies (Arabie Saoudite ou Maroc) ou en panne de succès continental malgré des générations dorées et des querelles larvées, (depuis 1992 pour la Côte d'Ivoire), cela ne lui fait pas peur. Au contraire, fidèle à son image aperçue dès son enfance à Aix-les-Bains à écumer avec ses copains du club de foot local les stades souvent abimés par l’hiver ambiant et sur lesquels, il truste tous les titres, des équipes minimes à cadet 1ère année, en gagnant chaque saison, tous les matches, la difficulté le motive. Et ne lui fait jamais rien lâcher.

Le centre de formation de Cannes qu’il intègre à 16 ans, quittant sa maman, Danièle, et ses copains pour une famille d’accueil et la dureté des séances quotidiennes ne lui font qu’entrevoir la 1ère division à l’époque face au Matra Racing en 1990 sous les ordres de Jean Fernandez? Qu’à cela ne tienne, il fait son deuil, redescend d’un étage à Vallauris puis Draguignan.

Son genou lui fait stopper sa carrière à moins de 30 ans? Le plan B se met en place: il passe ses diplômes et se retrouve sur le banc de Draguignan qu’il fait grimper de DH à CFA entre 1999 et 2001. Son président ne lui fait plus confiance? Ils se séparent et Renard passe à temps complet dans l’entreprise de nettoyage de copropriétés sur la Croisette (RV Net).

Mais il s’est construit une petite réputation locale qui arrive aux oreilles de Claude Le Roy. Celui qui deviendra son mentor l’emmène avec lui en Chine au Guizhou Renhe puis le branche pour une expérience au Vietnam, qui tourne court et le rapatrie, à ses côtés, en Angleterre à Cambridge. L’expérience en … 4e division anglaise là-aussi ne l’effraye pas: même si elle s’arrête rapidement, elle lui permet d’apprendre quelque chose de fondamental : l’anglais. D’accord, c’est mâtiné d’un "french accent" bien prononcé, mais il saura se faire comprendre. Sa tirade légendaire à la mi-temps du match face à l’Argentine en témoigne.

On est loin à l’époque de la période Covid-19 qui fera rentrer dans le langage commun, le mot résilience; mais Hervé Renard l’aura de 1999 à 2020 bien conjugué dans toutes les circonstances: "Quand je regarde en arrière, en 1999 quand j'ai démarré ma carrière au Sporting Club Draguignan en National 3, rembobine-t-il toujours pour RMC Sport en janvier 2023. Le parcours effectué sans avoir réalisé une belle carrière de joueur professionnel, j'en suis fier. Mais vous voyez, je le disais même dans cette publicité, The battle, c'était une marque de lessive. Avec mon "french accent". Il faut avoir faim, mais moi j'aurais toujours faim."

Les émotions en sélection ne sont pas en vente dans le commerce

Alors, oui, ses traits – et ses abdos parfaitement ciselés… - qui ne laissaient personne indifférent, sur les bords du Lac du Bourget à Aix les Bains dans les années 80, esquissent pour le grand un portrait d’un beau gosse prompt à se laisser aspirer par le bling bling. Mais c’est vraiment mal le connaître. Certes, le confort, il aime. Mais de là à ronronner, non: "Même si j'ai un compte en banque aujourd'hui et on ne va pas se le cacher, qui s’est un peu plus rempli, ce n'est pas ce qui me fait avancer, explique-t-il de façon prémonitoire dans le "Podcast After Galaxy". J'ai eu la chance de participer à deux Coupes du monde. Au niveau des sélections nationales, c'est quelque chose d’exceptionnel."

Sa définition de l’exceptionnel, c’est ce qu’il détaille, toujours dans le podcast After Galaxy en janvier 2023: "Même les hommes les plus riches du monde voudraient acheter ces émotions mais malheureusement, elles ne sont pas en vente dans le commerce, il faut aller les chercher, il faut les construire."

Et pourquoi pas avec la sélection féminine de "son" pays? Il faut balayer alors, dans l’esprit des autres, ce qu’il a mis déjà de côté dans le sien. Car en répondant au premier grand oral, le 11 mars face aux décideurs de la Fédération Française de Football, il a déjà résolu son équation personnelle simple dans l’énoncé, mais délicate dans la résolution. Sur ses notes, elle s’étale ainsi: "ne faut-il pas être fou pour quitter un confortable contrat pour un challenge énorme pour mon pays?" Mais en posant la théorie, il a déjà en lui la réponse.

Renouer avec la France après des rendez-vous manqués

La France, c’est aussi un goût d’inachevé en Ligue 1, lui qui aspirait déjà faire bonne figure en tant que joueur en 1ère division dans les années 90. A Sochaux, il échoue dans l’opération maintien dans la saison 2013-2014, quand il reprend le club en dernière position à l’automne pour le mener à une finale (perdue) face à Evian-Thonon-Gaillard à la dernière journée. Puis, Lyon le veut. Ou plutôt Jean-Michel Aulas, le président qu’il rencontre; mais Jérôme Seydoux, l’actionnaire de référence décide que le club ne peut prendre quelqu’un qui a échoué quelques jours auparavant. Rendez-vous manqué.

Et puis, il y a l’incompréhension lilloise avec un autre Seydoux, Michel, qui le remercie au bout de 13 matches, un soir de 11 novembre 2015. Lille est le pire souvenir de sa carrière, explique-t-il souvent. "À Lille, je me suis abîmé dans le football français, c’est ce qui m’embête le plus", confiera-t-il à Téléfoot en février 2021. C’est mon ego qui est déchiré, donc c’est difficile. Les esprits les plus réducteurs disent "il ne s’est pas maintenu à Sochaux et il arrive à Lille, on ne l’a pas gardé au bout de 13 matchs". Je peux simplement leur rétorquer en disant qu’on m’a présenté le projet et qu’ensuite le projet a changé. J’ai proposé des joueurs et on ne les a pas pris. Aujourd’hui, ce sont des vrais joueurs qui jouent en Champions League."

De cet automne en pente douce 2015 à ce début de printemps 2023, il sera toujours loin de son pays (Maroc puis Arabie Saoudite), constate, parfois amer, l’oubli de la caravane football française. Un silence qui contraste avec sa côte de popularité au zénith, en Afrique puis au Moyen Orient. L’écart le saisit à chaque qualification pour la Coupe du Monde avec le Maroc (2018) et l’Arabie Saoudite (2022). A chaque fois, il comprend sans comprendre. Et en prend un peu ombrage, mais le garde pour lui. Car il continue de suivre une forme de fil rouge personnel: "Il faut toujours essayer de se rapprocher de l'excellence, il faut avoir au moins cette ambition. Et puis il faut continuer de rêver. Les rêves, ça permet d’avancer et de ne pas d'être blasé."

Quand Renard rencontre... Renard

Conduire l’Equipe de France féminine, était-ce un rêve? Pas forcément, comme cela sur le papier, sauf à tirer un fil particulier à partir du nom de famille. Quand Hervé rencontre Wendie, l’homonymie tisse sa toile. Une rencontre il y a longtemps à … Sochaux en marge d’une présence des Bleues dans le Doubs. Wendie Renard donne le coup d’envoi d’un match de la formation entraînée par Hervé Renard, face à Nice en mai 2014. Plus tard, médiatisée à force de selfie entre VIP qui immortalisent les deux "renards" du foot français dans les loges du Groupama Stadium à l’occasion de la finale d’Europa League de 2019, fait le buzz. Les deux en sourient et gardent un lien, régulier par sms interposé.

Si ce n’est pas forcément un rêve initial, c’est plus le moyen de poursuivre son objectif personnel: participer aux plus grandes compétitions comme Bora Milutinovic et Carlos Alberto Parreira, présents à la Coupe du monde avec cinq pays différents. Lui en a deux à son compteur (Russie 2018 et Qatar 2022). Sa prochaine étape sera celle des filles en Australie et Nouvelle Zélande à partir du 20 juillet prochain, puis les JO de 2024 en France. Pour cet "expat’ et globe trotter" depuis 2008, sauf les 8 mois à Sochaux et les 5 à Lille, c’est une forme de retour aux sources, lui le Savoyard d’Aix-les-Bains, ville qu’il a quittée à 15 ans en 1983 pour Cannes avant de s’installer, hors périodes de sélection, au Sénégal.

Le Bleu-blanc-rouge plus fort que tout

Au cours de ce mois de mars, il restera dans sa bulle quand RMC Sport sort son nom en haut de la liste des prétendants. Mais rafraîchira sa mémoire au sujet de son rapport à la France, lui le fan de toutes les rendez-vous du sport tricolore de son enfance dans les années 80, même si ce ne sont pas ses sports de prédilection: les rendez-vous de la France qui gagne avec Yannick Noah à Rolland-Garros, Alain Prost et ses titres mondiaux de Formule 1 ou encore, le XV de France de Jacques Fouroux qui sélectionne un "grand", qui évolue au club de rugby local, le "FCA", pour... Football Club d’Aix les Bains, Alain Lorieux... responsable du camping au bord du lac! Sans oublier son autre discipline fétiche, le vélo qu’il suit à la télévision et surtout dans les arrivées d’étapes dans sa ville de naissance.

D’autant qu’au même moment, il goûte au maillot bleu, frappé du coq en cadet entre 1984 et 1985. La photo d’un entraînement, sous le regard de Michel Platini, figure ainsi dans le livre des souvenirs de maman Renard. Il confie alors à ses proches qu’il fallait retenir deux noms dans ses copains de promo: "Didier Deschamps et Marcel Desailly, à mon avis, ils ont un bel avenir..." Il ne savait pas que lui aussi, finalement en avait un de bel avenir, pas autant en ligne direct que les champions du monde. Mais son voyage en ballon (rond) n’est pas mal non plus.

Edward Jay