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Equipe de France: "Le temps a passé et les mentalités évoluent", un avocat décrypte l'épineux dossier des droits à l'image chez les Bleus

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Les Bleus se réunissent à partir de lundi prochain pour les retrouvailles après le Mondial 2022. Pendant ce rassemblement, aucun moment avec les sponsors n'est prévu au programme. Un sujet va quand même revenir dans l’actualité: la question des droits à l’image collectifs. Jean-Rémi Cognard, avocat spécialisé en droit du sport, nous livre ses éclairages sur ce dossier.

Créé par la loi Lamour n° 2004-1366 du 15 décembre 2004, la notion d’image collective veut que quand un joueur intègre un collectif, le club ou la sélection a le droit d’utiliser son image. Le joueur doit donc se plier à des rendez-vous avec les sponsors du club ou de la Fédération. Depuis le fiasco de Knysna, les Bleus signent une charte. Cette dernière encadre l’utilisation de l’image des joueurs. Le cadre est assez strict depuis la grève en Afrique du Sud et, depuis quelques mois, certains entourages de joueurs demandent un assouplissement afin d’avoir un droit de regard sur les opérations commerciales chez les Bleus.

Dans la dernière version de la charte signée par les joueurs, ces derniers s’engageaient à céder leur droit à l’image jusqu'à cinq années après leur retraite professionnelle. Autre problème pour certains joueurs: les marques présentent ne sont pas toujours en accord avec les idées des athlètes et leurs entourages (paris sportifs ou lutte contre la malbouffe). Jean-Rémi Cognard, avocat spécialisé en droit du sport, nous livre ses éclairages sur ce dossier.

Depuis plusieurs mois, on parle beaucoup du droit à l’image des sportifs avec les problèmes au sein de l’équipe de France. Tout simplement, qu’est-ce qu’on entend par le droit à l’image ?

Jean-Rémi Cognard : Il y a deux notions qui sont associées. Il y a le droit à l’image que tout le monde possède. Vous comme moi on peut s’opposer à l’utilisation de son image sans autorisation. Alors quand on s’intéresse aux personnes célèbres, ce droit à l’image se transforme un peu. Ça devient un droit sur l’image. C’est à dire que les personnes célèbres peuvent l’exploiter, ce qui devient un actif pour elle. Pour certains sportifs, ça peut aussi devenir la majorité des revenus. Le droit sur l’image est un peu raccourci, on devrait plutôt parler du droit sur les attributs de la personnalité, ce qui permet d’identifier les personnes et sur ça, les sportifs ont des droits. L’image est un de ces attributs, on pourrait étendre ça à la voix ou au nom des personnes. Avec les nouvelles technologies, on pourrait avoir des nouveautés, des développements possibles comme avec les avatars.

Et dans un collectif, ça change quoi ?

Ensuite, on parle, quand il y a des sports d'équipe, de droit à l'image collectif. On va représenter plusieurs joueurs de la même équipe. Soit sur un même support, par exemple sur une même photographie pour faire simple. Soit sur des supports individualisés, mais où il y aura le même rapport de cadrage, le même format, le même nombre, par exemple les vignettes Panini’. Cet usage est considéré comme une utilisation de l’image des joueurs de manière collective. Cette définition du collectif peut varier selon les disciplines sportives. Ce sont les conventions collectives applicables à chaque discipline qui définissent ce qu’est l’image collective.

Donc le football n’a pas la même convention que le rugby ou qu’un sport individuel ?

Non, par exemple pour le football, c’est la charte du football professionnel qui régit cet usage, c’est la convention collective des joueurs professionnels. Ils définissent l’image collective comme l’apparition de cinq joueurs au moins sur une même image ou sur des images individualisées. Donc si on a moins de cinq joueurs, ce n’est pas considéré juridiquement comme de l’image collective. Là, je parle bien des clubs, et ça change tout. Ça veut dire que votre club, votre employeur, par exemple le PSG ou l’OM va pouvoir librement, en principe, utiliser votre image en concédant des droits à ses sponsors sans vous demander l’autorisation et sans vous rémunérer pour ça. C’est compris dans votre salaire. En dessous de cinq, vous êtes dans de l’image individuelle où il vous faut à chaque fois demander l’accord spécifique du joueur concerné et le rémunérer. On parle d’image individuelle ou collective associée avec des signes distinctifs du club. Dans le foot c’est cinq mais par exemple dans le rugby c’est trois.

Il existe une vraie différence entre l’image en club et l’image en sélection ?

Quand vous êtes en club, vous avez un statut de salarié et donc il y a la convention collective de la discipline qui s’applique et qui définit l’image collective. En revanche, en sélection vous n’êtes pas un salarié et donc ce qui va définir ça c’est une charte, une convention passée avec la Fédération. C’est un document qui est remis en cause aujourd’hui par plusieurs joueurs de l’équipe de France. C’est un document que les joueurs signent quand ils arrivent en équipe de France pour leur première sélection mais qui n’est jamais rediscuté par la suite pendant tout le temps de leur sélection. Sauf que les statuts évoluent. Mbappé lors de sa première sélection n’est plus le Mbappé d’aujourd’hui, il a un autre statut chez les Bleus. Les joueurs signent un document, difficilement refusable quand on arrive chez les Bleus, mais qu’après ils aimeraient éventuellement modifier. C’est l’actuel débat.

A quoi ressemble cette charte ?

Globalement, la Fédération reprend la même définition que la convention collective, c’est-à-dire que dans le football c’est toujours le nombre de cinq qui permet de définir ce qu’est une image collective ou une image individuelle. Cette charte ou convention traite de l’image mais traite aussi de plusieurs autres sujets. Au foot, ce document a été modifié après l’épisode de Knysna afin d’imposer aux joueurs une série de mesures (aller saluer les spectateurs à la fin du match, l’image collective…etc).

C’est surprenant de voir les footballeurs de plus en plus préoccupés par cette question ?

Ce n’est pas surprenant, la FFF a fait signer cette convention à un moment où elle était un peu en position de force vis-à-vis des joueurs, après Knysna, et où c’était légitime d’imposer un cadre disciplinaire un peu plus strict. Mais aujourd’hui, le temps a passé et les mentalités évoluent. Cette remise en cause par les joueurs concerne surtout les stars en équipe de France. Si vous n’êtes pas une star des Bleus, ça vous concerne beaucoup moins.

Pourquoi ça concerne plus les stars du football ?

Ces stars peuvent gagner autant, voire même plus, quand ils utilisent leur image à titre individuel que quand ils pratiquent le foot. On peut comprendre que ça crée des frictions puisque la Fédération a pas mal de droits sur l’image des joueurs. La Fédération a ce business de signer des contrats de parrainage mais les joueurs aussi ont le même business en associant leur image à des contrats du même type. Les joueurs offrent leur image individuelle. Alors que la Fédération, c’est l’image collective associée à des signes distinctifs. Du point de vue d’un partenaire ou d’un sponsor ça peut être intéressant de ne pas signer avec Kylian Mbappé tout seul parce que ça peut lui coûter plus cher que de signer un contrat de parrainage avec la FFF où il arrivera plus ou moins aux mêmes fins en utilisant l’image de Mbappé. Et je pense que c’est là où il y a une friction parce que les partenaires demandent toujours les mêmes joueurs à la FFF, c’est-à-dire les têtes d’affiche. Certains partenaires peuvent dire ‘non mais attendez je paye une fortune pour vous avoir et en passant par l’équipe de France certains peuvent vous avoir aussi’. Et ça peut aussi être des entreprises concurrentes dans le même secteur. Le droit de regard est important pour les joueurs. Ça peut aussi couper le joueur d’un secteur. Si la FFF associe l’athlète à une marque de voiture, ça peut aussi être plus difficile pour le joueur d’aller chercher une marque de voiture concurrente pour s’y associer de manière individuelle. Ça peut priver le joueur de développement commercial.

On peut comprendre la crainte d’une marque, à deux semaines d’un shooting avec l’équipe de France, de ne pas avoir la star qu’il souhaite ?

C’est difficile, il y a des contrats en jeu. Vous avez une sorte de chaîne de contrat, la Fédération signe avec les partenaires, ce qui leur confère des droits. Et peut-être que dans ces contrats, il n’y a aucune limite pour les partenaires de choisir à chaque fois Mbappé. Et de l’autre côté vous avez un contrat signé avec un joueur, les deux doivent être en cohérence. Et si vous révisez en cours de route la charte avec vos joueurs et que in fine vos partenaires ont moins de droits que prévu, ça va poser des difficultés. C’est pour ça que les partenaires sont légitimes pour dire non. Si la FFF change un contrat, à mon avis, elle va aussi devoir renégocier avec ses partenaires.

Cette décision pourrait entraîner une baisse des montants demandés ?

Oui pourquoi pas. Ça dépend surtout des limites qui sont imposées aux partenaires. Cette conséquence peut intervenir si le partenaire ne peut plus utiliser Mbappé par exemple. Si je suis partenaire des Bleus, je dis ‘ok je garde les autres joueurs mais j’étais venu pour lui principalement donc on va réviser le contrat et revoir les prix à la baisse’. Je pense que du point de vue des joueurs, un compromis peut être trouvé avec le principe du roulement pour les campagnes des annonceurs. C’est peut-être plus difficile à entendre quand le joueur veut avoir un droit de regard sur la marque ou mettre son veto. Ça peut vite devenir ingérable. Ils peuvent aussi revoir la définition de l’image collective, par exemple sur une canette de coca éliminer l’image individuelle des joueurs. Quand vous êtes seul sur une canette ça crée un lien d’association beaucoup plus fort.

Propos recueillis par Nicolas Pelletier