Euro 2024 (qualifications): la France, une histoire intime pour le sélectionneur de Gibraltar

Gibraltar est, de loin, le petit poucet du groupe très corsé dont la France a hérité pour les qualifications de l’Euro 2024, dimanche. La sélection du célèbre rocher, enclave britannique située à l’extrême sud de l’Espagne, ne pointe qu’à la 204e place du dernier classement Fifa, l’avant-dernière pour un représentant européen (devant Saint-Marin, 211e). Autant dire dans les abysses en comparaison à la France (4e), des Pays-Bas (8e), de l’Irlande (49e) et de la Grèce (52e), les autres représentants de la poule.
Mais ce tirage au sort ravit Julio Ribas, en charge depuis 2018 de cette équipe au statut atypique. Le territoire d’outre-mer appartenant à la Grande-Bretagne n’a été reconnu qu’en 2013 par l’UEFA et en 2016 par la Fifa, années depuis lesquelles elle est donc autorisée à participer à toutes leurs compétitions. Le technicien uruguayen a donc pris part à la construction d’un projet unique : faire basculer ce bout ce caillou de 6,8 kilomètres carré dans l’ère du professionnalisme.
"Notre désir était non seulement d’arriver à gagner quelques matchs mais par-dessus tout de mettre en place des choses pour pouvoir gagner, confie-t-il à RMC Sport. Je suis convaincu que tu dois grandir pour gagner ensuite et non, gagner pour gagner. Ça, ça ne donne de la joie qu’une journée et la tristesse pour le futur. Dans ce concept de grandir pour gagner, l’unique manière de progresser est de jouer contre les plus grandes nations."
Le technicien s’exprime en espagnol mais manie aussi le français, la langue d’un pays auquel il voue une très grande reconnaissance. Son fils, Sebastian, a brillé dans l’Hexagone à Dijon, alors en Ligue 2 où il avait passé trois ans après sa signature en 2008 en provenance de l’Inter Milan. Il y avait inscrit 48 buts, dont 23 en 2010-2011, saison de la montée du DFCO en Ligue 1 à l’issue de laquelle il avait terminé meilleur buteur du deuxième échelon français.
"Je garderai toujours un souvenir et une affection incroyables pour la France"
"J’ai toujours été un grand admirateur du football français tout d’abord en raison de la possibilité qu’a eu mon fils Sebastian d’y jouer pendant trois ans, rappelle son père. Il a vécu une expérience merveilleuse quand il avait 18 ans à Dijon. Je garderai toujours - et ma famille aussi, dont Sebastian - un souvenir et une affection incroyables pour la France. Je connais bien le football français et ses caractéristiques. La sélection aussi avec des joueurs top – avec beaucoup de jeunes – et qui a toujours le même entraineur qui a été champion du monde."
Julio Ribas a d’ailleurs croisé Didier Deschamps avant le tirage, dimanche à Francfort. "Nous nous sommes simplement salués", précise-t-il. Il avait en revanche davantage échangé avec l’un de ses compatriotes… dont il croisera la route lors de ces qualifications. "Les tirages au sort sont imprévisibles, sourit-il. Quelques instants avant, j’étais avec Gustavo Poyet qui est aussi uruguayen et entraîne la Grèce. Nous discutions de l’avenir dix minutes avant d’être tirés dans le même groupe avec la Grèce. Pour nous, c’est toujours merveilleux."
Le technicien de 65 ans a développé cette faculté d’émerveillement depuis le début de son aventure à Gibraltar en 2016 sur le banc du club des Lincoln Imps Reds. En deux saisons, il a décroché quatre titres et participé aux phases de qualification de la Ligue des champions, puis en Ligue Europa. "Nous avions éliminé (en 2016-2017) le champion d’Estonie (le FC Flora Talinn, lors du 1er tour de qualifications), puis nous sommes tombés sur le Celtic Glasgow qui était dans les 40 meilleures équipes d’Europe. Nous les avions battus à l’aller (1-0, 2e tour) avant d’être éliminés (3-0 au retour)."
Ces performances fructifient son travail. A son arrivée, Ribas explique que la sélection ne comptait que "trois joueurs pros" et possède désormais "vingt jeunes joueurs avec un bon potentiel d’avenir qui se dédient exclusivement au football". Ribas a accepté ce "défi spectaculaire" après une carrière bien remplie en Uruguay aux commandes de cinq équipes (Sud America, Bella Vista, Penarol, Liverpool et Juventus de la Piedras) avec lesquelles il a glané plusieurs titres. "En Amérique du Sud, j’ai eu la chance de diriger des matchs de Conmebol, de Copa Libertadores, explique-t-il. Là, j’avais l’occasion de diriger des matchs de Ligue des champions et de Ligue Europa. Quand je suis arrivé à Gibraltar – qui venait d’entrer à l’UEFA - c’était un pays qui devait structurer tout son football professionnel de zéro. Cela me semblait être un énorme défi."
Il est donc sorti de "zone de confort" avant de se voir proposer les rênes de la sélection en 2018. "Je n’ai pas hésité une seconde parce j’avais déjà accompli mon rêve de jouer la Ligue des champions et la Ligue Europa (avec Lincoln), poursuit-il. J’ai eu l’opportunité de prendre la sélection et de jouer la Ligue des nations, les qualifications pour la Coupe du monde et tous les tournois qui, pour moi, sont importants comme entraîneur."
Sous ses ordres, l’équipe composée majoritairement de joueurs du championnat local a remporté ses premiers succès en compétition officielle et même glané sa promotion en Ligue C de la Ligue des nations en 2020. Elle en est redescendue aussitôt lors de la dernière édition. Cette jeune sélection âgée de neuf ans a aussi enregistré de grosses défaites, ce qui pourrait arriver face à la France lors de la première rencontre de l’histoire entre les deux équipes le 16 juin 2023.
Sebastian se verrait bien revenir en France
"Jouer contre la France, les Pays-Bas, l’Irlande ou la Grèce, pour nous, est une très bonne expérience pour pouvoir continuer à progresser, explique-t-il. Il y a (en France) des joueurs très bons avec de très bonnes caractéristiques génétiques, physiques et techniques mais aussi tactiques qui jouent ensemble depuis plusieurs années. Ce sont des sélections qui jouent depuis 50 ans ou plus au niveau de l’UEFA alors que nous ne sommes que depuis neuf et six ans dans l’UEFA et la Fifa. Nous sommes très heureux du chemin parcouru."
Son fils, Sebastian, actuellement joueur au Montevideo Torque, franchise du City Group, suivra avec attention la rencontre avec la France. Un pays où il se verrait bien, pourquoi pas, effectuer une dernière pige malgré deux autres expériences mitigées à Monaco (où, blessé, il n’avait joué aucun match en 2012-2013) et Strasbourg (4 buts en 13 matchs de National en 2014). "Il se souvient des moments merveilleux en France parce qu’il y a joué trois ans. Cette étape a lancé sa carrière professionnelle. Nous parlons toujours de la France avec amour, tendresse et admiration. Pour lui, revenir en France est toujours présent (dans son esprit)." Ce sera peut-être au Stade de France (ou dans une autre enceinte de l’Hexagone) pour le retour contre les Bleus le 18 novembre 2023.