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Ils ont tenté de passer footballeur pro en Grèce et à Chypre, ils racontent leur passage cauchemardesque

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Passer professionnel, voici le rêve de tout footballeur. Pas facile lorsque son niveau ne permet pas d'y parvenir en France. Certains tentent par tous les moyens d'atteindre leur objectif, parfois sans succès. Chemin vers la gloire ou chemin de croix, il faut savoir faire les bons choix.

C’est un témoignage diffusé en janvier qui a mis le feu aux poudres. Antoine Lemarié, footballeur semi-professionnel, raconte les péripéties qui lui sont arrivées en Grèce. Il évoque brièvement un intermédiaire qui lui a permis de rejoindre le fameux club de troisième division.

Si ce n’est pas le passage qui a fait le plus parler auprès du grand public, plusieurs joueurs se sont rendu compte qu’ils avaient été en lien avec ce même intermédiaire, présent sur LinkedIn, Instagram et WhatsApp.

Trouver le bon filon

Son rôle pose question. Les sept joueurs ayant souhaité témoigner ont du mal à définir le travail de l’intermédiaire. C’est le terme d’agent qui lui est généralement donné. Le principal intéressé se décrit comme un conseiller sportif.

Ancien éducateur dans la région lilloise, il n’a pas réussi à évoluer au haut niveau en football. Ainsi, il s’est mis en tête de "donner plus de visibilité aux joueurs amateurs qui en ont besoin". Exploitant les failles du football semi-professionnel, il propose des joueurs lui faisant confiance à des clubs ayant besoin de nouvelles recrues.

Néanmoins, quelques joueurs ont critiqué certaines offres envoyées par le conseiller : "Je ne veux pas de D4 en République Tchèque sachant que je sais que je peux jouer en 5ème division en France." souffle un joueur préférant garder l’anonymat.

Pour le gardien Geraldo Bina, qui cherchait un club lui permettant de viser une place au sein de la sélection camerounaise, pour la Coupe du Monde, la déception est grande : "Il connaissait très bien mes besoins mais ses propositions n’étaient pas à la hauteur. D5 en Grèce, à 300€ par mois, D4 à Chypre, 300€ par mois, logé, nourri. Il savait très bien que je n’allais jamais accepter un truc comme ça."

Un autre joueur préférant rester anonyme, qui a reçu une nouvelle proposition fin janvier est lui aussi déçu au moment de voir ce que lui est présenter. Souhaitant trouver un club en Belgique, en Suisse ou en Allemagne, en D3 ou en D4, il s’est vu proposer un club de D4… en Grèce.

Mais pour recevoir ces offres, il faut d’abord payer.

Pas toujours de retour sur investissement

500€. C’est le montant demandé par le conseiller sportif dès la première prise de contact "pour les joueurs n’ayant pas de vidéo (compilant leurs meilleures actions), généralement en R2 ou en R3" selon ses dires.

La raison pour laquelle les joueurs doivent payer ce prix reste très floue. L’argent est partagé entre son collaborateur sur place et lui. Cela a été appelé des frais d’agence par certains, frais de gestion de dossier par d’autres.

Un détail étonne ceux qui souhaitent faire un virement bancaire : un RIB qui n’est pas au nom du conseiller sportif. La banque a indiqué à Lenny Ali, l’un des sept joueurs mécontents, qu’il s’agissait d’un compte frauduleux et a empêché le virement.

Le joueur de 20 ans est parvenu à rejoindre le club chypriote après avoir récupéré le numéro de l’entraîneur auprès d’un autre joueur ayant fait confiance au même conseiller.

Mais après que ce dernier ait découvert qu’Ali était parvenu à rejoindre le club sans le payer, il a réussi à obtenir son départ du club : "il a dit à l’entraîneur que je devais partir le lendemain et que j’avais pris mon billet d’avion, alors que ce n’était pas vrai."

Un même profil type

Les joueurs ayant fait confiance au conseiller sportif ont un point en commun. Tous avaient pour ambition de vivre de leur passion : le football. Geraldo Bina peut en témoigner, lui qui a déboursé plus de 2000€ pour vivre son expérience chypriote : "Dans le milieu du foot, les gars sont prêts à tout pour réussir. Ce ne sont pas 500€ qui vont se mettre entre un joueur et ses rêves."

Et si tant de joueurs prennent le risque de payer les 500€, c’est grâce au bouche à oreille. Ils sont nombreux à avoir entendu du bien du conseiller sportif avant de vouloir travailler avec lui. Le conseiller sportif partage chacun des transferts l’impliquant, sur les réseaux sociaux.

Or, plusieurs témoignages rapportent qu’il s’approprierait certaines signatures. "J’ai fait des essais dans un club professionnel en Algérie. Il m’a dit de raconter que c’était lui qui m’avait envoyé, si on me demandait. Sauf que ce n’était pas du tout le cas." raconte l’un des témoins anonymes.

"Un joueur qui était en D2 grecque m’a dit qu’il n’avait jamais parlé avec ce conseiller sportif. Sauf qu'il a pris sa photo, a mis son nom de management sur la photo et l’a postée sur ses réseaux sociaux comme si c’était lui qui l’avait fait signer." ajoute Bina.

Des clubs grecs et chypriotes impliqués

Bien implanté en Grèce et à Chypre grâce à des relations développées au fil des années, c’est ici que le conseiller est le plus influent. Grâce à un contact grec, rencontré sur les réseaux sociaux, il peut travailler depuis la France.

Toutefois il le reconnaît, il n’a pas vraiment connaissance de la situation sur place. "Je ne connais pas les clubs, quand je vois une annonce, j’envoie un joueur. Ensuite, je ne sais pas comment ça se passe dans le club."

Le conseiller sportif a également occupé le poste de recruteur au sein d’un club de 3ème division chypriote, le Chalkanoras Idaliou. Les relations se sont refroidies entre les deux camps, chaque partie rejetant la faute sur l’autre.

Un ancien joueur passé par le club raconte la version de l’entraîneur de l’équipe. "Il (le conseiller sportif) est chargé du recrutement du club mais le coach le critiquait, il le descendait, il disait "he’s crazy". Il est fou, il est trop gourmand, il m’a envoyé des joueurs inutiles, il voulait seulement toucher son argent."

Du côté du conseiller sportif, c’est une version différente : "Le coach ne m’a jamais rien reproché. Aujourd’hui, tous les clubs veulent Kylian Mbappé mais ils ne payent pas les salaires. A chaque fois, qu’ils me demandaient un joueur, ils proposaient une offre. Sauf qu’une fois sur place, leur offre changeait. Donc j’ai arrêté, je ne travaille plus à Chypre."

Cela corrobore avec le témoignage du joueur qui confie avoir vu une offre passer de 600€, logé et nourri à 250€, logé et nourri.

Que ce soit en Grèce ou à Chypre, les cinq joueurs ayant tenté leur chance ont découvert des conditions de vie désastreuses sur place. Appartement semblable à un squat, nourriture non offerte par le club bien qu’elle soit incluse initialement, vol d’argent… Tout y passe.

Geraldo Bina parle de "mafia" et de "bande organisée". Il est récupéré à l’aéroport par le coach de Chalkanoras Idaliou même s’il vient pour un club de la division supérieure, l'AEZ Zakakiou. "C'est une escroquerie sur pattes" ajoute-t-il.

"En plus des 500€ de commission, j’ai dû payer mon billet d’avion et 250€ à celui qui m’a récupéré pour soi-disant le logement et la nourriture. (…) Ils prennent un logement piteux à 15€ la nuit et ils encaissent le reste."

Chambre de l'un des joueurs de Chalkanoras Idaliou, été 2022
Chambre de l'un des joueurs de Chalkanoras Idaliou, été 2022 © Anonyme

Venu pour passer des essais, il s’est aperçu à son grand désarroi qu’il s’agissait d’un stage de football recensant 22 joueurs. Initialement, tous pensaient avoir une chance de signer dans un club de D2 (AEZ Zakakiou) ou de D3 (Chalkanoras Idaliou). Parmi eux, seul un joueur est finalement retenu.

En Grèce, l’intermédiaire a envoyé des joueurs dans au moins deux clubs différents, en D3 : le Paniliakos Pyrgo et le Panegialios Aigio. Le premier s’est fait connaître avec l’histoire d’Antoine Lemarié, s’étant fait agresser par son propre président. Le second club n’a pas encore fait parler de lui. L’un des joueurs préférant garder l’anonymat nous détaille son passage de quelques jours dans ce club.

Logé dans un appartement laissant à désirer (taches sur les draps, les murs, pas d’eau chaude, un réfrigérateur inutilisable), peu nourri malgré ce qui était prévu, des billets d’avion à payer de sa poche et délaissé par le staff du club, l’ancien joueur de Botosani en Roumanie a connu meilleur expérience.

Pas aidé par le collaborateur grec du conseiller sportif dépeint comme un escroc, il raconte : "le mec s’en fout complètement. Quand il a vu mon CV et que j’étais passé par Botosani, il avait l’air trop content, il me voyait comme un billet vert. On aurait dit qu’il m’envoyait au Real Madrid." Livré à lui-même dans une équipe qui n’en a que faire de sa présence, il rentre en France quatre jours après son arrivée.

Débrouillardise obligatoire et rebond difficile

Partir à l’étranger pour vivre de sa passion fait rêver de nombreux joueurs. Et si sur le papier, cela semble attrayant, en réalité, il n’en est rien pour ces footballeurs. Envoyés dans des clubs étrangement gérés, ils ne peuvent compter que sur leur débrouillardise et leurs coéquipiers faisant face aux mêmes problèmes.

"Il n’y avait pas de petit-déjeuner alors qu’il (le conseiller) disait que c’était inclus. J’ai pu manger un peu grâce à mes coéquipiers qui m’ont donné des œufs et du pain." détaille un joueur envoyé en Grèce.

"Dans l’appartement, il y avait des tambours au milieu du salon, des fientes de pigeons sur les matelas, une invasion de fourmis dans la cuisine et la porte d’entrée était cassée, elle ne se fermait pas." ajoute un ancien joueur de Chalkanoras Idaliou. Le conseiller sportif se défend : "si je savais, je ne m’engagerais pas en envoyant un joueur dans un club pourri qui va le mettre mal à l’aise."

Image du salon dans lequel ont logé plusieurs joueurs du Chalkanoras Idaliou, à l'été 2022
Image du salon dans lequel ont logé plusieurs joueurs du Chalkanoras Idaliou, à l'été 2022 © Anonyme

"Je ne délaisse pas les joueurs avec lesquels je travaille parce que quand j’envoie un joueur, je ne travaille pas seul. J’ai beaucoup de contacts avec qui je travaille donc généralement, quand j’envoie un joueur quelque part, il y a déjà un contact sur place qui l'attend. Ensuite, c’est cette personne qui organise tout." raconte le conseiller sportif. Problème : le collaborateur grec paraît complètement largué et inutile d'après les joueurs qui l'ont côtoyé.

Cinq des sept joueurs qui ont accepté de nous parler ont rejoint un club chypriote ou grec mais leur aventure n’a duré que quelques jours. De plus, aujourd’hui, trois de ces joueurs peinent à relancer leur carrière après ce coup d’arrêt.

Yannis Passerel