"Je jouais à Sega Rally avec lui" : Di Meco raconte les débuts de Thierry Henry

Thierry Henry en 1996, avec l'AS Monaco - AFP
Eric Di Meco, quels souvenirs gardez-vous des débuts de Thierry Henry à Monaco ?
Il a été rapidement inclus au groupe. A l’époque, l’entraîneur, c’était Arsène Wenger (jusqu’au 17 septembre 1994). Je crois même que la saison précédente, avant que j’arrive, il était déjà régulièrement dans le groupe pro. A partir de 1994, il a commencé à jouer de temps en temps. Je l’ai vu arriver en pros et surtout, progresser. J’ai toujours eu un regard affectif sur ce garçon. C’est un vrai passionné de foot. Et surtout, c’est un garçon reconnaissant. On a tous connu des jeunes qui débutaient, qui ont fait de grandes carrières et quand on les recroise, on doute d’avoir joué avec eux. Alors que ça m’est arrivé de croiser Thierry il y a deux ans à Arsenal et c’était comme si on ne s’était plus vu depuis 15 jours. J’ai retrouvé le Thierry Henry que j’avais connu quand il était jeune à Monaco, qui aime parler de foot, rigoler. Il se souvenait de tout ce qu’on avait pu faire comme conneries ensemble. C’était notamment le début des jeux vidéo. Même si j’étais en fin de carrière, que j’étais considéré comme un vieux, je passais mes soirées au vert à jouer à Sega Rally avec Titi et les autres jeunes.
Avez-vous été rapidement impressionné par ses qualités ?
On a vu très vite qu’il avait beaucoup de qualités, notamment la vitesse et l’adresse devant le but. Quand il a débuté à Monaco, il jouait sur mon côté, juste devant moi. J’ai vite vu qu’il avait des qualités au-dessus de la moyenne. Il y a aussi la manière dont il s’est imposé à Monaco, alors qu’il y avait une grosse équipe avec les Anderson, Scifo, Ikpeba… Il y avait beaucoup de monde, mais il s’est assez vite imposé. Il a amené des qualités de vitesse dans le jeu qui ont tout de suite intéressé ses entraîneurs. Et c’est surtout un garçon qui était à l’écoute. Il a eu un rapport particulier avec Sonny Anderson, qui l’a pris sous son aile. Il a grappillé un peu aussi pour son caractère, son expérience, sur tous les joueurs qu’il a côtoyés. Ça lui a servi d’être à l’écoute comme ça.

Il avait le bon comportement, à la différence de certains jeunes sur sa fin de carrière en équipe de France…
S’il a été aussi vite intégré à l’AS Monaco, où il y avait quand même de fortes personnalités, et en équipe de France, puisqu’il a joué la Coupe du monde à 20 ans, ce n’est pas par hasard. Ça veut dire qu’on a les qualités, mais aussi le mental, le bon état d’esprit, pour s’imposer dans ce genre de groupe. Un joueur qui est à l’écoute, c’est apprécié par les anciens. Peut-être qu’il n’a pas retrouvé ça quand il est arrivé sur la fin de sa carrière en équipe de France, qu’il en a souffert. On parle d’une tache dans la carrière de Thierry Henry avec Knysna. Mais il faut se souvenir dans quelles conditions il va là-bas. Avec ce qu’il s’est passé, un autre comportement de sa part aurait-il changé les choses ? Moi, je n’y crois pas. Je ne crois pas qu’on puisse demander à Thierry Henry de devenir le leader quand il y a le feu, alors qu’on l’a presque emmené par force et qu’on ne l’a pas considéré.
La responsabilité, ce n’est pas celle de Thierry Henry. Et on ne sait pas ce qu’il a fait pendant cet épisode. On ne peut pas lui tenir rigueur de ce qu’il s’est passé ou dire que c’est l’une des rares taches de sa carrière. J’ai l’impression que les joueurs de l’équipe de France se sont retrouvés dans un tourbillon là-bas et qu’ils ne maîtrisaient plus rien. Je ne vois pas pourquoi il aurait pu, lui, maîtriser plus les choses que les autres. Le sélectionneur n’a rien maîtrisé non plus. J’ai beaucoup d’indulgence pour ce passage de sa carrière qui, d’après moi, est un passage noir en tant qu’expérience personnelle.
Jeune, il n’était pas du genre à prendre votre place dans le bus ?
Il était très respectueux des anciens. Mais il avait son caractère. C’est un petit malin, Thierry. Mais on aimait bien. Moi, j’ai toujours bien aimé les petits qui arrivaient et savaient s’imposer par leur personnalité. Il aimait chambrer, déconner avec les anciens. J’ai passé mes soirées à jouer aux jeux vidéo avec lui, avec Gilles Grimandi aussi. A l’époque, il y avait beaucoup plus de moments où on pouvait se retrouver. Il a aussi séduit les anciens par son comportement. Le respect fait partie de sa personnalité. Il l’a montré partout où il est passé.
Etait-il également un bosseur ?
On ne peut pas arriver à son niveau sans avoir bossé. Le talent ne suffit pas. Je pense que tous ceux qui arrivent au niveau supérieur de ce sport l’ont compris. Des talentueux qui passent à côté de leurs carrières, on peut en citer des dizaines, voire des centaines. Tous les grands joueurs, et je considère Thierry Henry comme un grand joueur, avaient le talent au départ, mais ils ont surtout travaillé. J’ai connu Thiery Henry quand Jean Tigana était entraîneur de Monaco (à partir de 1995, ndlr). Jeannot était exigeant avec les jeunes, notamment. Mais après, Thierry a choisi l’option Arsenal parce qu’il y avait Arsène Wenger. Et Arsène est son mentor, d’après moi. Il ne lâchait rien et a tiré le maximum de Thierry Henry. Il l’a fait travailler pour qu’il continue à progresser tout au long de sa carrière. On peut parler de cet esprit-là chez tous les autres grands joueurs.
Qu’allez-vous retenir de sa carrière ?
C’est un joueur qui a marqué, pour moi, l’histoire du foot français. Quand on regarde son palmarès, son implication en équipe de France, est-il reconnu à sa juste valeur en France ? Moi, je pense que non. Il est parti très jeune de France, il est devenu une légende à Arsenal, où il a même sa statue devant le stade. Tout l’amour qu’il a reçu en Angleterre, il l’a peut-être eu moins en France. On l’a vu à travers l’équipe de France, surtout, avec laquelle il a flambé aussi. Ce n’est pas un garçon qui court les médias pour avoir une bonne image. Il n’aime pas particulièrement ça. Ça a pu jouer contre lui aussi. Mais quand on se retournera sur sa carrière, dans quelques années, on se rendra compte que ça a été un joueur important de l’histoire du foot français. Il restera dans la mémoire collective de ce sport. Il y a son palmarès, sa longévité, les clubs qu’il a fréquentés. On ne passe pas par Arsenal, le Barça, sans laisser de trace. Et en plus, c’est un vrai passionné, un vrai amoureux du foot. On reproche souvent aux jeunes joueurs, et déjà à l’époque, de ne pas s’intéresser à l’histoire ou à l’actualité du foot. Lui, ça n’a jamais été le cas. Il a toujours aimé ça. Il regarde tous les matchs. Il est fou de foot. Ça fait partie de ses qualités.
Quelle image va-t-il laisser ?
Pour moi, il laissera l’image d’un des grands joueurs français de l’histoire du football, tout simplement. Il n’y a qu’à voir son palmarès. Il a joué quatre Coupes du monde, il a gagné les plus grands titres du football français et en club aussi. C’est une légende de ce sport en France et les petits bémols que certains peuvent mettre sur sa fin de carrière s’effaceront au fil du temps. Ce ne sont pas des bémols, pour moi. Je ne suis pas sûr qu’un autre comportement de Thierry Henry à Knysna aurait changé quoi que ce soit. Et personne ne sait ce qu’il a pu faire là-bas pour essayer d’arranger les choses. Je connais sa mentalité. Je sais qu’il est irréprochable dans son métier. Il laissera une grande image. Peut-être pas au niveau de ce qu’il mérite, parce qu’il a fait sa carrière en dehors de France. Mais à n’en pas douter, on se souviendra de lui longtemps après sa carrière.