
L'ère de la flexibilité tactique, incarnée par les changements de systèmes de Tuchel
Sans ballon, un 4-4-2 à l’alignement quasi militaire, qui a fini par résigner Manchester United après s’être amusé de ses assauts éparpillés. En possession, un 3-4-3 en contrôle, dans lequel Kehrer se recentrait derrière tandis que Bernat, à gauche, complétait la symétrie avec Dani Alves, son pendant côté opposé, tandis que Di Maria et Draxler se baladaient en soutien de Mbappé dans les espaces de part et d’autre de Matic, sentinelle abandonnée.
L’an I de l’ère Thomas Tuchel à Paris est celui du caméléon, insaisissable, altérant son apparence non seulement à chaque match, mais à chaque phase de jeu pour mieux en déjouer les embûches. L’entraîneur allemand s’en est réjoui mardi soir, après la qualification contre Dijon en Coupe de France: "Des joueurs changent de poste, on change de système souvent, et on montre toujours la même qualité et la même mentalité."

Contorsions géométriques et distorsion circulaire
En soit, qu’une équipe se déforme entre les phases offensive et défensive n’a rien de novateur. C’est l’essence même d’un système tactique dans un jeu dynamique. Succédant à la confusion (relativement) organisée du marquage individuel, qui réduisait le football à une succession de rapports de force interpersonnels, la défense de zone a cimenté l’importance de la structure collective. Les altérations actuelles ne sont que la suite logique d’un mouvement perpétuel de perfectionnement tactique. L’entraîneur-adjoint du RB Salzbourg, René Maric, a ainsi récemment révélé sur Twitter que son équipe comptait onze variations en phase défensive à partir de son 4-4-2 en losange. C’est cette instabilité des schémas qui pousse les entraîneurs questionnés sur les attributs de telle ou telle organisation à répondre quasi mécaniquement que "tout dépend de l’animation".
Dans sa victoire face à Tottenham (2-1) le week-end dernier, le 4-4-2 de Burnley avec ballon se déformait même en 5-3-2 asymétrique en phase défensive, par la différenciation de l’approche de Sean Dyche dans chaque couloir: à droite, c’est le milieu Hendrick qui redescendait défendre sur Rose, le latéral gauche des Spurs ; à l’opposé, c’est l’arrière gauche Taylor qui se chargeait d’Aurier, McNeil étant moins à l’aise pour défendre.

Dans l’autre sens, un 4-4-2 sans ballon peut très bien devenir un 2-4-3-1 ou un 2-3-3-2 avec. Le cadre dans lequel s’exercent ces contorsions géométriques persiste toutefois. Les mouvements sont linéaires, plus souvent verticaux qu’horizontaux - sauf quand les offensifs sont amenés à se recentrer - et généralement par paires (défenseur latéral-ailier, milieux axiaux, attaquants).

Le PSG de Tuchel, de façon plus marquée encore que le Real Madrid de Carlo Ancelotti quand il défendait en 4-4-2 et attaquait en 4-3-3, ajoute une nouvelle dimension: sa distorsion est circulaire. Du 4-4-2 au 3-4-3, le bloc-équipe pivote dans le sens des aiguilles d’une montre, dans une mécanique savamment réglée, comme si une corde reliait Draxler, Di Maria, Bernat, Kimpembe, Thiago Silva et Kehrer. L’adaptation exige alors une intelligence tactique plus fine tant elle en appelle à une coordination simultanée de tous les maillons du système pour en maintenir l’équilibre. Bien maîtrisée, comme à Old Trafford, elle optimise l’application du plan préparé pour chaque situation de jeu.
La structure et l’individu dans la structure
Contre Liverpool, les décrochages de Marquinhos entre Thiago Silva et Kimpembe, transformant le 4-4-2 en 3-5-2, plaçaient à la fois Paris dans une configuration de relance idéale, avec trois centraux face aux trois attaquants des Reds plus Verratti dans leur dos, tout en estompant le principal écueil de la présence du Brésilien au milieu de terrain: sa relative friabilité balle au pied au cœur de la densité. Il a plus volontiers démontré, à Saint-Etienne notamment, sa faculté à délivrer de superbes ouvertures longues lorsqu’il a le jeu devant lui.

Thomas Tuchel a ainsi transformé en force tactique, grâce à sa structure tactique, ce qui s’apparentait initialement à une solution par défaut, contrainte par le défaut de personnel disponible pour jouer au milieu. Comme un écho à ce qu’écrivait Phil Jackson, onze fois champion de NBA sur le banc des Bulls et des Lakers, sur son système mythique dans son autobiographie: "Le triangle n’a pas été conçu pour les superstars, qui trouveront toujours un moyen de marquer quel que soit le système que vous utilisez, mais pour tous les autres joueurs de l’équipe qui ne sont pas capables de créer leur propre shoot."
À Manchester, Marquinhos n’a pas quitté l’entrejeu, restant autant que possible dans la zone d’un Pogba qu’il avait pour consigne de neutraliser et s’intégrant dans un 4-4-2 sans ballon, organisation difficile à bouger si elle est disciplinée et compacte. Puis, avec son 3-4-3 en possession, Tuchel a une nouvelle fois combiné maximisation des profils individuels et logique structurelle. Ce système offrait d’abord aux Parisiens des supériorités numériques automatiques, dans l’entrejeu (Marquinhos, Verratti, Draxler et Di Maria face aux trois milieux mancuniens) mais aussi, en fonction du placement des ailiers adverses, sur la ligne défensive (Kehrer, Thiago Silva et Kimpembe face à Rashford) ou face aux latéraux de MU (Di Maria et Bernat face à Young, Draxler et Alves face à Shaw).

C’était aussi une organisation qui plaçait dans l’axe Draxler et Di Maria, peu à l’aise collés à la ligne de touche, et qui permettait de repaître Alves et Bernat de montées incessantes dans leur couloir, tout en étant couverts par trois défenseurs centraux. L’application parfaite d’une autre maxime d’entraîneur: "mettre les joueurs dans les meilleures conditions possibles", individuellement comme collectivement.
L’ère de la polyvalence individuelle
En janvier 2017, dans une interview à France Football, Lucien Favre, très attaché à son 4-2-3-1 (qui se mue en 4-4-2 en phase défensive) à Dortmund, estimait qu’il n’était plus possible d’innover via de nouveaux systèmes de jeu. "Mais dans la polyvalence du système, si on peut appeler ça comme ça, oui", précisait-il. "Nous sommes convaincus que le futur, ce sera la flexibilité tactique, confiait également Renzo Ulivieri, responsable de la formation des entraîneurs italiens, au New York Times en 2017. Les équipes qui peuvent changer de système semaine après semaine, qui défendent d’une manière et attaquent d’une autre. Le futur, ce sont des équipes qui savent changer de vêtements." Avec Thomas Tuchel, Mauricio Pochettino, Unai Emery ou Pep Guardiola (surtout dans sa période munichoise) en guise de lanceurs de mode.
L’ère du jeu segmenté, dans lequel les défenseurs défendent, les milieux créent et les attaquants attaquent, est révolue depuis longtemps. Le très haut niveau ne tolère plus l’unidimensionnalité. Sans aller nécessairement jusqu’à maîtriser chacun des dix schémas tactiques possibles recensés par Marcelo Bielsa, les joueurs doivent désormais pouvoir évoluer à plusieurs postes, occuper différents espaces, potentiellement dans le même match, d’une phase de jeu à l’autre, sans impact sur leur compétitivité, et ce en dépit de délais d’entraînement toujours plus raccourcis par le rythme infernal des calendriers. La polyvalence n’est alors plus simplement l’atout mou permettant à des John O’Shea ou Phil Neville de faire une carrière inespérée à Manchester United en bouchant les trous un peu partout ; elle devient une arme stratégique.
L’homogénéisation de la préparation physique, technique et progressivement mentale des acteurs déplace la clé du succès vers l’établissement de rapports de force collectifs favorables, comme le PSG et ses supériorités numériques multiples à Old Trafford. La souplesse tactique devient dès lors un outil pragmatique indispensable, facteur du succès d’une philosophie de jeu qui se niche avant tout dans la vision partagée et les interconnexions entre les éléments du système plutôt que dans sa dénomination numérique. La généralisation de ces transformations permanentes mènera peut-être le football sur la voie tracée par la prophétie de Slaven Bilic: "La prochaine révolution sera la mort du système de jeu."