Le cri d'alarme de Florent Duparchy, ancien gardien de Reims obligé d’arrêter le foot à cause de commotions

Florent, vous avez subi deux commotions cérébrales pendant votre carrière. Aujourd’hui, comment allez-vous ?
Je traîne toujours les séquelles de mes précédentes commotions. L'état global est meilleur que lorsque je jouais au foot. Mais je ne suis toujours pas tiré d'affaire. Et comme j'ai vu avec mes médecins, je ne sais pas encore comment les choses vont évoluer. Peut-être que dans le futur, tout ira bien, ou du moins rien ne s'aggravera, mais c'est aussi possible que dans quelques temps, quelques mois, quelques années, il y ait des problèmes qui soient un peu plus importants.
Quelles sont les séquelles ?
Ce sont des migraines, parfois des vertiges, mais essentiellement des migraines. Des troubles de la mémoire, une difficulté à rester concentré sur de longues périodes, une fatigue quand même mentale qui vient assez rapidement.
Vous étiez gardien à Reims, vous avez subi deux commotions. Que s’est-il passé exactement ?
C'est assez étrange parce que le premier choc a été le plus violent, pourtant, ça a été le deuxième choc, assez est anodin, qui lui a mis un terme à ma carrière. Le premier choc, ça a été un coup de genou au visage par un coéquipier à l'entraînement. Ça m'a valu un long moment en étant inconscient, une opération en urgence, un trou de mémoire de 72 heures. Ce qui a été quand même assez important, et puis ensuite, j'ai repris le foot trop tôt. Et là c'est un simple ballon dans la tête, comme tout gardien en prend parfois, et c'est ce ballon dans la tête-là qui m'a tout simplement séché, qui m'a mis au sol, et qui fait qu’aujourd'hui les symptômes perdurent. Le traitement est plus compliqué, et qui fait que j'en suis là aujourd'hui.
Et qu'est-ce qui s'est passé dans les mois qui ont suivi ce deuxième choc qui a été crucial pour votre carrière professionnelle ?
Ce sont des migraines qui traînent, qui perdurent. Ce sont des tentatives de reprise qui échouent, parce que je vois tout simplement que je ne suis pas moi-même quand je joue. Dès que je plonge, j'ai mal à la tête, ça peut m'arriver de voir des étoiles. Quand on est gardien, on est derrière le jeu, donc on a vraiment une vision élargie des joueurs sur le terrain. Et là, c'est beaucoup plus de difficultés à assimiler tous ces mouvements. Tout simplement, des rendez-vous chez les médecins qui confirment la commotion, qui confirment que les symptômes perdurent. Et au bout d'un moment, après quelques années de tentatives de traitement, on s'est fait à la raison.
C'est la médecine du travail qui vous a annoncé que vous étiez inapte à la pratique du football ?
C'est ça, sur conseil écrit notamment du Docteur Jean-François Chermann, qui est un des médecins les plus réputés en France sur les commotions cérébrales. Après, c'est la médecine du travail qui a mis, on va dire, officiellement ces termes-là sur mon cas.
Quelle a été votre réaction quand on vous annonce que vous êtes inapte à la pratique ? Et que vous êtes obligé de mettre fin à votre carrière de gardien ?
C'est le monde qui nous tombe sur la tête. En plus, on est au tout début de notre carrière. J'ai travaillé énormément pour en arriver là. J'ai sacrifié toute ma vie pour en arriver là. On commence à toucher au but, on commence à goûter au premier banc en Ligue 1, on commence à aller au Parc des Princes, au stade Vélodrome, à connaître les grandes ambiances. Et puis, c'est le coup de massue. Tout s'arrête. Puis il faut repartir tout en bas de l'échelle, à zéro.
"Aujourd'hui, c'est comme un deuil. C'est quelque chose qui ne cicatrisera, je pense, jamais, mais qu'il faut apprendre à vivre avec. La vie est faite ainsi."
Aujourd’hui, vous êtes en procès contre votre ancien club, Reims. Car vous estimez que le club n’a pas bien géré vos commotions ?
En fait, le règlement de la LFP indique que suite à une commotion, le joueur doit voir un médecin expert de la FFF dans les 72 heures. En l'occurrence, pour nous, c'était le docteur Chermann. Et ensuite, ce médecin-là décrit la démarche à suivre. Moi, j'ai eu ma commotion en août 2022. Je n'ai jamais vu le docteur Chermann. J'ai repris le sport. J'ai eu un deuxième impact en mars 2023. Je n'ai toujours pas vu le docteur Chermann. Et c'est un jour, en avril, où d'un coup, le médecin du club m'a dit qu'il fallait aller voir le docteur Chermann pour ma commotion du mois d'août. J'y étais allé pour une visite de routine, de base, sincèrement. Je ne savais même pas ce que c'était qu'une commotion. On n'en avait jamais parlé. Et finalement, j'ai fait des tests avec ce docteur-là. Il n'avait jamais vu ça. Il n'avait jamais vu un joueur venir le voir alors qu'il a déjà repris le sport. Les choses ont été faites à l'envers. Il m'a d'office arrêté.
A l'époque, vous ne saviez pas ce qu’était une commotion cérébrale ? Vous ne connaissiez pas les risques et les dangers ?
Non, pas du tout. Mon premier accident est quand même assez grave. J'ai quand même eu l'hypothèse qu’on me mette dans le coma. J'avais des troubles mémoires de 72 heures. Je n'ai pas entendu parler de commotion cérébrale. Deuxième fois, quand j'ai pris le ballon dans la tête, de mon initiative, je suis parti voir le médecin du club, sous conseil aussi du kiné. Il me dit que si les symptômes ne s'empirent pas, tu joueras demain.
"J’avais mal à la tête, j'avais envie de vomir et finalement, ça ne s'empire pas, on est joueur et je joue le lendemain. Là, maintenant, avec le recul que j'ai, je sais que ça a été une très mauvaise décision."
Où en êtes-vous dans la procédure judiciaire face à Reims ?
On a eu un procès aux Prud'hommes il y a quelques semaines, début septembre. Il y aura une réponse qui va être donnée dans les mois à venir. Au pénal, on est toujours en cours d'instruction.
Aujourd'hui, votre vie ressemble à quoi ?
Elle ressemble à un étudiant qui s'est reconverti et qui a repris ses études dans un domaine complètement différent. Quelqu'un qui a l'impression presque de n'avoir jamais joué au foot et que c'était une autre vie avant.
Vous arrivez quand même à regarder du foot ou vous en êtes dégoûté ?
Non, je regarde très très peu. Si ce n'est jamais, je suis à peine au courant de ce qu’il se passe.
Vous vous dites quoi par rapport aux commotions cérébrales dans le football français ?
Je pense qu'il y a énormément de choses à revoir. Ce sont des choses toutes bêtes, mais je pense que dès qu’un joueur signe un premier contrat professionnel, il devrait être obligatoire de réaliser une batterie d’examens, poussée ou non. Mais au moins d'avoir une base pour savoir sur quoi on s'appuie quand le joueur a une commotion. Moi, j'ai eu une commotion, j'ai fait des tests qui ont été mauvais, on s'est basé sur rien parce qu'au moment où j'ai signé mon contrat professionnel, au moment où j'avais 18 ans, 20 ans, je n'avais pas de tests quand j'étais en forme. Si demain, des choses comme ça sont mises en place, comme par exemple cette obligation de réaliser des tests à la signature du premier contrat pro, au moins tout au long de la carrière, on aura des bases sur quoi s'appuyer dès que le joueur aura une commotion. Puis ça pourrait servir aussi aux médecins. Il y a énormément de médecins qui font des recherches sur le sujet, c'est un sujet qui est vraiment en vogue, et ça pourrait servir aussi énormément à tous ces chercheurs.
En Belgique, des clubs ont rendu obligatoire le port du casque pour les jeunes gardiens. Vous trouvez ça bien ?
Déjà, la première chose que je trouve très importante, c'est qu'ils font bouger les choses. Ils prennent des initiatives, ils prennent des décisions et ils font en sorte que les choses ne restent pas comme il y a 20 ans. Donc ça, déjà, c'est très très bien. Ensuite, sur la pertinence de mettre un casque, ça reste à voir avec les médecins, les experts, etc. Je ne suis pas forcément bien placé pour dire ça, mais ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas faire de mal et que quoi qu’il arrive, ça protégera le gardien de but. Pour moi, c'est une très bonne chose.