RMC Sport

Éviter "le syndrome Abou Diaby": pourquoi le retour de Paul Pogba à Monaco prend du temps

placeholder video
L’AS Monaco se déplace ce samedi à Angers (19h), un match annoncé dans un premier temps par Adi Hütter comme objectif pour le retour à la compétition de Paul Pogba après plus de deux ans sans jouer. Le milieu de terrain aux 91 sélections en Bleu a subi un contretemps musculaire repoussant sa reprise. Pourquoi faut-il être patient pour voir le champion du monde en Ligue 1 ? RMC Sport a interrogé des spécialistes.

Avant d’être démis de ses fonctions, l’ex-entraîneur monégasque Adi Hütter avait prévu début octobre de retrouver Paul Pogba pour ce match en terres angevines, en retour de trêve internationale. Depuis, l’AS Monaco a changé de coach et Paul Pogba a subi une "alerte musculaire aux quadriceps de la cuisse droite" la semaine dernière, divulguée par le directeur général du club de la Principauté, Thiago Scuro. Le milieu de terrain voit donc sa reprise de la compétition repoussée "au moins deux semaines de plus. C’est le premier épisode négatif depuis qu’on a commencé le processus avec lui. Ce n’est pas la fin du monde", a relativisé le dirigeant du Rocher.

Plus de deux ans après son dernier match officiel avec la Juventus, avant sa suspension pour dopage suivie d’une résiliation de son contrat avec la Vieille Dame, quel a été le processus pour remettre en forme le champion du Monde ces derniers mois ? Roger Caibe Rodriguez, son préparateur physique à Miami, racontait à RMC Sport en juin dernier que lorsque Paul Pogba avait commencé à travailler avec lui à l’automne 2024 : "Il n'était pas trop mal physiquement mais on voyait qu'il était en arrêt de travail depuis un moment, qu'il ne s'était pas entraîné. Il n'était pas au meilleur de sa forme, mais pas non plus dans un terrible état."

Sparring partners et aérobie

Fabien Richard est lui aussi préparateur physique et travaille avec bon nombre de footballeurs, comme Riyad Mahrez ou Serhou Guirassy : "Il n'y a pas de magicien. Le travail pendant cette période sans club, c'est beaucoup de PMA (Puissance Maximale Aérobie) et de travail de force. L'explosivité fait partie du footballeur et c’est là où le joueur perd énormément si on ne la travaille pas avec des petits appuis, un travail de force spécifique au football. Quand on travaille individuellement, on reproduit très peu de situation de match. Même si personnellement j'aime beaucoup faire travailler aux joueurs la force fonctionnelle, comme exploser pour se retourner, ce genre de choses. Et il faut mixer cela avec des entraînements collectifs pour qu'il y ait du jeu, des situations intensives avec des sparring-partners sinon c’est là qu’on prend du retard." Son homologue, qui a travaillé avec Pogba en Floride, nous expliquait justement en juin qu’il avait fait jouer le milieu tricolore "à quatre contre quatre ou trois contre trois, il avait le sentiment d'appartenir à une équipe".

Une fois arrivé en Principauté et pris en charge par le staff médical de l’ASM, Paul Pogba a pu faire un point sur son état de forme après sa longue période sans compétition : "On réalise un état basal de l'individu, en laboratoire, avec une série de tests pour évaluer les qualités de saut, les qualités musculaires avec des exercices isocinétiques, un test d'effort avec VO2, pour voir où l'on en est", précise le Docteur Alain Frey, médecin du sport et notamment en charge du club francilien du Red Star. "A partir de là, on reconditionne l’activité physique du joueur. Concernant la partie technique, en principe, les joueurs ne la perdent pas. Les automatismes, les qualités de jeu sont toujours ancrés en eux, il faut juste les réactiver. Cela veut dire reprendre de la vision de jeu, des contacts."

Eviter le "syndrome Diaby"

D’abord en session individuelle à la Turbie, Paul Pogba a progressivement intégré l’entraînement collectif à partir de la mi-août, sans participer pour autant entièrement aux séances avec ses coéquipiers. "Je connais ce que fait Monaco parce je travaille avec des joueurs dans ce club, leur staff est top", souligne le préparateur physique Fabien Richard. "Après quatre mois, il ne faudrait quand même pas trop tarder. Mais je ne suis pas surpris parce que je pense que Monaco ne veut pas prendre de risques, surtout s’il y a des alertes musculaires. Deux ans d’arrêt, c’est incroyablement long dans une carrière de footballeur. Le but, c'est que Paul Pogba rejoue, dans un premier temps. Tout le monde a en tête le 'syndrome Abou Diaby'. C'était un des meilleurs joueurs qu'on n'ait jamais eu en France mais il n'a jamais pu revenir au plus haut niveau parce que son physique pétait de tous les côtés."

Le docteur Frey ne s’alarme pas non plus du délai nécessaire pour voir ce Pog’back : "Quatre mois, ça peut être très bien, mais tout dépend de son état de forme quand ils ont fait les tests initiaux. Dans ma carrière, j’ai vu des sportifs mettre six mois, voire un an à reprendre la compétition après une grosse pause".

Reste la dimension psychologique de ce retour à la compétition, pour celui qui a par ailleurs connu des épreuves extra-sportives, avec la tentative d’extorsion dont il a été victime où son frère était sur le banc des accusés. "Le club de Monaco est très bien staffé au niveau de la préparation mentale et du suivi psychologique" note d’abord Alexandre Le Jeune, lui-même psychologue du sport.

"Un footballeur a des semaines très routinières, plongé depuis très jeune dans une course effrénée vers toujours plus de performances qui s’enchaînent, sous une pression constante. Si bien que beaucoup de joueurs blessés de longue durée me disent que cette interruption forcée de leur pratique est l’occasion de se poser des questions qu’ils n’avaient jamais pris le temps de se poser. C'est bien souvent l’opportunité de porter un autre regard sur leur pratique et d'y remettre plus de sens. Pour certains, avec jusqu'à trois matchs par semaine, rentrer dans des stades de 30 000 personnes ne les fait plus autant vibrer, ils ont fini par banaliser quelque chose d’extraordinaire. La blessure, ou la sanction comme celle vécue par Paul Pogba, provoque assurément un manque. Cela peut être l'occasion de se reconnecter avec le gamin qui avait juste envie de jouer au foot, claquer une passe, retrouver les sensations de l’effort, les connexions avec de nouveaux coéquipiers, ressentir le goût d'une victoire, des émotions peut-être qu'il avait banalisées et qui auront forcément une toute autre intensité pour lui dorénavant". 

La question des attentes

Voilà pour l’aspect positif d’un point de vue mental de ce retour au premier plan de Paul Pogba. Mais rejoindre un club de Ligue 1, qualifié en Ligue des Champions, entraîne aussi son lot d’attentes. "Pour les sportifs arrêtés longtemps, la question "vais-je retrouver mes capacités et être au niveau attendu ?" est évidemment présente", reconnaît Alexandre Le Jeune. "La meilleure approche est de se dégager de l'enjeu parce que tous les efforts consentis ne s'arrêtent pas au match de reprise. Ilfaut désidéaliser le fait de vouloir être ultraperformant tout de suite. On sait déjà que le premier match ne sera pas parfait, les suivants non plus… mais il peut s’en servir pour construire sa montée en puissance, sélectionner ce sur quoi mettre ses intentions en priorité pour ce match de reprise. Ne serait-ce pas l'occasion de se focaliser davantage sur le plaisir d'entendre à nouveau la ferveur d’un public, de refouler une pelouse incroyable, de retrouver l’adrénaline d’un vestiaire ou d’un couloir qui mène au terrain ? Se refocaliser en fait sur l’essentiel et tout ce qu'il aime profondément, pour l'aider à performer le plus rapidement possible".

Sur le plan physique, le retour à la compétition est un moment particulièrement sensible du point de vue musculaire, alors que Paul Pogba a précisément subi récemment une alerte qui retarde son retour. "Il faut réhabituer l'organisme et l'ensemble des muscles à se remettre dans un rythme élevé de match, on peut presque y arriver avec de l'entraînement mais ça reste différent", estime le médecin du sport Alain Frey. "Surtout il faut faire preuve de prudence sur le plan musculaire parce que les joueurs d’une trentaine d’années (32 ans pour Pogba), il faut les ménager parce qu'on sait que si on tire trop sur la machine surtout s'ils ont des anciennes blessures, elles ont tendance à se réactiver quand on commence à rentrer un peu trop dedans. Chez lui, le staff de Monaco a dû mettre le paquet pour le renforcer sur les ischios-jambiers, les adducteurs et les abdominaux pour éviter la pubalgie ou des lésions sur ces muscles qui sont très fréquentes chez les footballeurs."

Le préparateur physique Fabien Richard ajoute : "Quand il va revenir, à un moment, il va faire un super match. Mais il faudra faire attention parce que le but, ce n'est pas qu'il fasse un super match, c'est qu'il soit constant après. C’est là que va être la difficulté selon moi pour Paul Pogba. Mais je pense qu'il est au bon endroit pour revenir parce qu'ils lui laissent le temps et que le staff est magnifique, notamment sur la prévention des blessures et la quantification de la charge." Paul Pogba manquera d’ores et déjà les trois prochains matchs mais sans nouveau contre-temps, sa première apparition dans le groupe monégasque peut être espérée pour un déplacement à Nantes dans une dizaine de jours, voire début novembre pour la réception à Louis-II du Paris FC.

Kévin Morand