Comment la Ligue 1 « accueille » Helena Costa

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D’abord vient l’effet grossissant de la loupe médiatique. La surprise journalistique et son cortège de découvertes. Les portraits. Les premières interviews. Les témoignages. Pour la première fois de l’histoire du football français, une femme entraînera une équipe professionnelle la saison prochaine. Cela se passera à Clermont, en L2, et l’heureuse élue se nomme Helena Costa. Depuis sa nomination, la technicienne portugaise fait le buzz. Helena par-ci, Costa par-là. Coup marketing réussi. Pour le coup footballistique, l’avenir jugera. Mais cette grande première pose aussi une question : comment le milieu du ballon rond tricolore va-t-il l’accueillir ?
« Lorsqu’il s’agit de footballeurs professionnels masculins, c’est un sport misogyne », confirme Pascal Dupraz, l’entraîneur d’Evian-TG. Si les acteurs du ballon rond français ont rivalisé de mots bienveillants pour commenter la signature de Costa à Clermont, soulignant souvent le courage du président Claude Michy, lire entre les lignes nimbe certains discours d’une légère odeur de machisme. « Gérer un groupe n’est déjà pas facile pour un homme », lance Francis Gillot, le coach bordelais. Doit-on comprendre que la mission sera d’office plus difficile pour une femme ?
« Si les femmes arrivent, on n'est pas dans la merde... »
Autre exemple avec René Girard. Entre deux sourires et un « pourquoi pas, il y a des femmes qui ont beaucoup de personnalité » (sic), l’une des phrases du technicien lillois en dit long : « Le seul inconvénient que je verrais, c’est que les femmes n’ont peut-être pas cette expérience du haut niveau, de la gestion humaine et du contact. » Pour le premier, en l’absence d’une carrière de joueur, on voit l’idée. Pour les deux autres… Et l’intéressé de conclure d’une pirouette avec le sourire : « Mais elles sont très fortes pour mener les hommes par le bout du nez ».
Une autre suivra en fin d’intervention : « C’est déjà un métier dur alors si les femmes arrivent, on n’est pas dans la merde ». Entre les deux, une explication sémantique fera rire (très) jaune : « Comment on dit ? Entraîneur ou entraîneuse ? Non car entraîneuse ce n’est pas très joli, hein… » On verse aussi dans l’humour chez Antoine Kombouaré, le coach de Lens : « Je serai très content de monter parce qu’imaginons que je reste en L2 l’année prochaine et que je me fasse battre… » On le voit, certains éléments de langage défaillent encore.
« Un peu de féminité dans un monde de brutes »
Mais l’immense majorité du milieu préfère retenir ce que Helena Costa pourrait apporter. « Peut-être qu’elle va nous apprendre beaucoup de choses », lâche Kombouaré. « Ça va être quelque chose d’intéressant à vivre pour un groupe, estime Cédric Chambon, joueur d’Evian-TG. Je ne sais pas comment vont se passer les rapports entre le coach et les joueurs. Ça va être différent mais ça peut être une expérience intéressante et ouvrir la voie à beaucoup de choses. » Et le Marseillais André-Pierre Gignac d’opter pour le verre à moitié plein à l’heure d’imaginer ce qui attend la Portugaise : « Je pense que les hommes ont un peu plus de respect si c’est une femme ».
Pour une analyse plus poussée, il faut se tourner vers Jocelyn Gourvennec. « Ça va dans le sens de la parité, dont on parle beaucoup en politique comme dans les entreprises. Il fallait bien que ça se voit aussi dans le football en France, juge l’entraîneur de Guingamp. Ce sera à elle de faire ses preuves et aux joueurs de s’adapter à un management certainement un peu différent. Mais un peu de féminité dans un monde de brutes, ce n’est pas mal ! » La conclusion pour Gillot : « Bon courage à elle, ce ne sera pas facile ». Vu les idées de certains de ses collègues, on confirme.
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L’exemple Elena Groposila
Juridiquement entraîneur principal (elle possède tous les diplômes requis) de l’équipe masculine du Dijon Bourgogne Handball depuis avril, mais en réalité adjointe d’Ulrich Chaduteaud, Elena Groposila connaît la situation que va devoir gérer Helena Costa à Clermont la saison prochaine. Parfait, donc, pour lui livrer quelques conseils. « C’est plus facile de coacher les hommes que les femmes, explique celle qui intervient surtout comme conseillère et parfois sur le plan technico-sportif. Ils sont plus directs. Les femmes, il faut toujours expliquer, donner les arguments, mais après elles adhèrent totalement à notre projet. Un homme, s’il croît en toi, il le fait, et si ça ne lui convient pas, il va te le dire tout de suite. (…) J’ai pris le temps qu’ils me connaissent pour me faire ma place petit à petit, qu’ils adhèrent à mes idées et qu’ils prennent confiance. (…) Ce n’est pas plus difficile qu’un homme de s’imposer. Si on a des compétences et qu’on prend les bonnes décisions pour faire gagner le match, le groupe adhèrera à notre projet. (…) J’ai été très bien accueillie même si au départ c’était un peu bizarre pour eux. On a réussi tout de suite à discuter handball donc c’était bien. (…)En général, quand on vient dans un groupe et qu’on est une femme, il faut plus vite s’imposer, être un peu plus dur, surtout au départ, pour montrer que c’est nous le chef, que ça se passe comme on veut et non comme ils le souhaitent. (…) Helena Costa devra plus prouver. En tout cas, elle devra s’imposer en tant qu’entraîneur de haut niveau. » Parole d’experte.