PSG-Juve: le football daté et ennuyeux de Massimiliano Allegri à la tête des Bianconeri

Il a fallu une petite phrase de Mattia Perin lors de la tournée américaine de présaison de la Juve pour que tous les tifosi turinois se mettent à rêver. Le gardien remplaçant avait alors expliqué que l’équipe travaillait sur les sorties de balle au sol et que cela plaisait aux joueurs. "Allegri nous a parlé de cette idée et on l’a accueillie à bras ouverts", renchérissait Perin dans la Gazzetta dello Sport. En juillet 2022, la grande innovation tactique de l’entraîneur bianconero était donc de chercher à ressortir le ballon proprement en partant du gardien de but. Une pratique courante depuis des années dans à peu près tous les clubs du monde.
Massimiliano Allegri est de la vieille école. On ne compte plus les sorties médiatiques sous forme d’adage du technicien de 55 ans, résumant sa pensée footballistique autour du "1-0 est un score parfait", lui l’adepte de l’opposition entre esthétisme et résultat, pour qui, soit on joue bien et on perd, ou on joue mal et on gagne. Bien jouer et gagner ? Une pure utopie pour Allegri.
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Un football d’un autre temps
Malgré ses deux années hors des terrains (2019-2020 et 2020-2021), l’entraîneur de la Juve ne semble pas avoir profité de cette longue parenthèse pour faire évoluer ses idées, les confronter aux autres tacticiens ou réfléchir à l’évolution du football qui réclame un jeu de plus en plus dynamique, intense et proactif. La saison dernière a été pénible à Turin, avec une nouvelle désillusion en Ligue des champions et une place dans le Top 4 arrachée en toute fin d’exercice. Dans la reine des compétitions européennes, les deux matches contre Chelsea en phase de groupes ont été une preuve éclatante du "style Allegri". Lors du match aller à Turin, un miracle : une équipe acculée sur son but, 27% de possession, un tir cadré, un but et une maladresse adverse lui permettant de s’imposer 1-0. À Londres en revanche, et comme le miracle n’arrive qu’une fois, la Juve a subi une véritable correction (4-0).
Près d’un an plus tard, rien n’a changé. Le football d’Allegri semble être celui de la pièce en l’air. On la lance et on attend anxieusement le résultat : pile et la Juve s’en sort, face et la Juve déraille. Une saison jouée à pile ou face. Le hasard comme moteur. Une équipe attentiste en attente du miracle. Le manque de travail à la perte du ballon tranche avec la volonté des plus grands clubs européens de ne pas subir le jeu adverse. Sur l’ensemble des 38 journées de Serie A la saison passée, la Juve est 15e au classement des équipes déclenchant le plus d’actions de pressing dans les 30 mètres adverses. Sans ballon, la Juve est devenue une salle d’attente où l’on attend l’erreur adverse pour l’exploiter.
Sur la pelouse de la Fiorentina samedi après-midi, les Bianconeri ont livré une nouvelle prestation indigeste. Largement dominés par les hommes de Vincenzo Italiano, les Turinois ont affiché un déficit technique et tactique qui seront rédhibitoires en C1. Face au pressing intense et ambitieux de la Viola, Massimiliano Allegri n’a su trouver une réponse dans un match non-maîtrisé.
Les chiffres complètent l’impression visuelle laissée à l’Artemio Franchi. En seconde période, la Juve n’a effectué aucun tir. Ce n’est que la cinquième fois que cela arrive sur les dix-huit dernières saisons ! Avec une possession de 40%, elle a montré toutes ses limites dans l’utilisation du ballon. 84% du temps de cette possession a eu lieu dans sa propre moitié de terrain, c’est à dire à 50 mètres minimum du but adverse. Plus inquiétant encore, la position moyenne des joueurs de la Juve sur ce match. Aussi bien en première mi-temps qu’en deuxième, tous les Bainconeri ont une position moyenne dans leur propre moitié de terrain.

A gauche, en bleu foncé, la position moyenne des joueurs de la Fiorentina en 1e et 2e mi-temps, remplaçants compris. A droite, ceux de la Juve. Les flèches indiquent le sens du jeu. Données : Lega Calcio.
Les numéros 9 de la Juve ne sont pas à la fête avec Massimiliano Allegri. Lors des deux premières journées (contre Sassuolo et la Sampdoria), des joueurs de champ ayant joué les 180 minutes, Dusan Vlahovic était celui ayant touché le moins de ballon de tout le championnat.
Contre la Fiorentina, le buteur serbe est resté sur le banc. Allegri avait choisi d’aligner Arkadiusz Milik à sa place. Buteur à Florence, sa heatmap demeure étonnante. Le Polonais a joué … comme un milieu de terrain.

La heatmap lors des deux mi-temps contre la Fiorentina. La zone d’activité principale de Milik se dessine dans le rond central. Données : Lega Calcio.
Cette confrontation avec la Fiorentina est d’ailleurs un excellent témoin de la philosophie de Massimiliano Allegri, mais aussi de Vincenzo Italiano. Le jeune entraîneur de la Viola prône un football offensif, avec un pressing haut, intense, beaucoup de mouvements, des côtés exploités et dominants. Lors des cinq confrontations entre la Fiorentina d’Italiano et la Juve d’Allegri, le même schéma se dessine : la Viola domine largement, ne concrétise pas ses occasions et se heurte au réalisme et aux individualités turinoises. Sur les cinq matches cumulés (les deux de Serie A la saison passée, la demi-finale de Coupe d’Italie en aller retour également la saison dernière ainsi que le match de dimanche), la Fiorentina affiche 75 tirs, 21 cadrés et 3 buts. Côté turinois : 32 tirs, 6 cadrés et 5 buts. Inutile de préciser que lors de ces cinq matches, la Juve n’a jamais eu ni la domination territoriale ni celle du ballon. Cette série de match conforte néanmoins Allegri : largement dominé dans le jeu, la Juve a cependant gagné trois de ces cinq rencontres, pour une seule défaite le 21 mai dernier avec 0 tir cadré du match (1 seul tenté).
Un entraîneur n’aimant pas entraîner
En érigeant la maxime "on joue le week-end comme on s’entraîne la semaine", d’aucuns pourraient se poser la question du travail en semaine lorsque l’on voit les prestations le samedi et le dimanche en Serie A. Antonio Cassano a eu Max Allegri comme entraîneur lors de son passage à l’AC Milan, saison 2011-2012. Dans la célèbre émission Bobo TV sur Twitch, avec ses compères Christian Vieri, Nicola Ventola et Daniele Adani, il avait raconté le travail offensif lors des séances, résumées dans les grandes largeurs à des exercices de centre avec reprise de volée. Pas étonnant pour un technicien répétant à l’envi qu’il laisse une totale liberté à ses attaquants, préférant se concentrer sur le travail lors des 70 premiers mètres du terrain (défense et milieu).
Lors de la conférence de presse d’avant-match de la 2e journée, sur la pelouse de la Sampdoria, Massimiliano Allegri a avancé lui-même une autre explication : "J’ai hâte de jouer tous les trois jours, plus il y a de match et mieux c’est. On joue pour jouer, pas pour s’entraîner. Je n'aime pas les entraînements, ok c’est sympa, mais il faut jouer. J’entends dire que la beauté du football réside dans l’entraînement du lundi au vendredi. Non, pour moi, c’est le samedi et le dimanche, car on joue des matches."
Il est extrêmement rare d’entendre publiquement un entraîneur expliquer qu’il ne prend pas de plaisir à diriger des entraînements. C’est la base du métier, là où les heures de pratique sont les plus nombreuses, là où on façonne la prestation du week-end. Si lui ne prend pas de plaisir du lundi au vendredi, comment ses joueurs pourraient-ils en prendre ?
Un entraîneur prisonnier d’un personnage
Pendant de longs mois, lors de son premier passage à la Juve entre 2014 et 2019, le technicien s’est souvent affronté avec Daniele Adani, ancien consultant pour Sky Sport Italia, diffuseur à l’époque de l’intégralité de la Serie A. Des joutes verbales qui ont marqué les suiveurs du football italien, Adani reprochant à Allegri son style minimaliste et peu ambitieux malgré les victoires et titres obtenus, tandis que l’entraîneur répondait en soulevant la légitimité de son interlocuteur, car pour Allegri, seuls des entraîneurs peuvent parler du travail des entraîneurs. Au retour de Massimiliano Allegri sur le banc de la Juve à l’été 2021, Sky a annoncé la fin de sa collaboration avec Adani. Un heureux hasard.
Protégé par ses amitiés médiatiques, Allegri a longtemps eu le champ libre pour faire passer ses idées sans réelle opposition ou questionnement en retour. Cette saison, la tendance évolue. Après le match contre la Fiorentina, dans l’échange d’après-match avec le diffuseur DAZN, des questions précises ont été posées. À une demande sur la difficulté de la Juve à sortir de sa moitié de terrain en seconde période, Allegri a préféré jouer la carte de la pirouette, évoquant la sortie de Di Maria et la non-possibilité de faire plus de cinq changements, tout en arguant que son équipe "a fait un bon match […] décrochant son cinquième résultat consécutif sans défaite et un bon point à Florence". Mais plus personne n’est dupe avec la communication de l’entraîneur bianconero. Lors de la débâcle à Chelsea la saison passée (4-0), il avait expliqué que ses joueurs avaient fait une bonne première mi-temps. Quelques jours plus tard, largement dominé dans le jeu par l’Atalanta, il avait récidivé. Enfermé dans son personnage, allant toujours dans la contradiction de ceux parlant de jeu, il aime rappeler qu’il vaut mieux être "gagnant et moche" que "perdant eu beau". Qu’en est-il de la possibilité d’être "gagnant et beau" lorsque l’on possède le plus gros budget d’Italie, la plus grosse masse salariale et le meilleur effectif ? Tuttosport apporte une première réponse ce dimanche matin. Le quotidien sportif italien appelle Allegri "à faire plus".
Un entraîneur ne valorisant pas les joueurs
Après un dernier exercice pénible, la Juve doit faire mieux cette saison. Devant une équipe peu divertissante et ne maîtrisant pas mieux les phases défensives qu’offensives (11e attaque de Serie A 2021/22), les résultats ne sont pas venus donner main forte à son entraîneur, pour qui "on ne retient que les gagnants". La Juve n’ayant remporté aucun trophée la saison passée, que faut-il retenir alors ? Rien, selon la philosophie de son entraîneur. Ces performances décevantes et cette absence de spectacle commence à avoir des conséquences. Même si le prix élevé est un élément clé, la campagne d’abonnement de la Juve s’est arrêtée à 20200 unités. C’est 27% de moins que la dernière saison pré-Covid (2019/20). Pour les tifosi ayant pris leur précieux sésame, la patience est terminée. Dès les vingt premières minutes de la première rencontre officielle de la saison, des sifflets sont descendus des travées. Face à un Sassuolo amputé de plusieurs leaders, et devant une première demi-heure indigente, les supporters ont manifesté leur mécontentement. Rebelote contre Spezia quinze jours plus tard, juste avant la mi-temps, alors que la Juve menait 1-0, mais se contentait d’une possession stérile dans sa moitié de terrain.
Ce jeu peu ambitieux a une autre conséquence : la non-valorisation des joueurs. Et quand un club cherche à se séparer de plusieurs éléments pour alléger sa masse salariale et dégager des liquidités pour recruter de nouveaux profils, cette absence de valorisation est un frein économique. Si depuis cinq ans, l’Atalanta et Sassuolo ont pu vendre plusieurs joueurs plus de 30 millions d’euros, c’est parce qu’ils ont été valorisé individuellement au sein d’un collectif ambitieux et menés par des techniciens développant un football attractif qui exalte les qualités des joueurs. Si, aujourd’hui, les valeurs de Theo Hernandez, Sandro Tonali, Ismaël Bennacer, Rafael Leao, Pierre Kalulu sont au plus haut, c’est parce que Stefano Pioli propose un jeu moderne et conquérant, au sein duquel les individualités progressent et sont performantes. Ce qui, par ricochet, attire les plus grands clubs européens qui développent eux-mêmes ce type de football.
Lorsque Matthijs de Ligt quitte la Juve pour le Bayern Munich, pour un prix largement inférieur à celui payé par la Juve en 2019, quelle est la valorisation donnée à ce jeune joueur ? Les premiers mots au Bayern de l’international néerlandais ont eu un écho intéressant. Il a expliqué que le style de jeu de Nagelsmann correspondait à ce qu’il aimait et que les jeunes joueurs progressaient avec le technicien allemand. Chacun pourra lire entre les lignes. Autre exemple : Dejan Kulusevski. Un joueur pas assez bon pour la Juve selon Allegri mais excellent en Premier League, présenté comme le meilleur championnat du monde. Cherchez l’erreur. Il est certain que cantonner le Suédois à un travail défensif sur le côté à 50 mètres du but adverse ne risquait en aucun cas de mettre en lumière ses qualités offensives.
Dans sa gestion des jeunes joueurs, son schéma rigide détonne également. Obnubilé par l’obligation ordonné aux jeunes de "Fare la gavetta" (faire ses preuves) dans les divisions inférieures, le technicien se prive de ressources essentielles. "Avec moi, les bons jeunes jouent", aime répéter Allegri. Mais comment savoir s’ils sont bons ou prêts s’ils ne sont jamais essayé au plus haut niveau. Maintenant que Fabio Miretti, 19 ans, est performant - il est d’ailleurs le meilleur milieu du début de saison -, l’entraîneur de la Juve fait comme si les qualités du milieu de terrain venaient de tomber du ciel depuis trois semaines. Miretti avait déjà ces qualités, il attendait juste de pouvoir le démontrer, en n’étant pas une simple variable d’ajustement en cas d’hécatombe chez les titulaires. De quoi faire réfléchir ou infléchir le technicien ? Pour un homme peu enclin au changement ou à l’évolution, un miracle peut aussi se produire.