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Comment Maurizio Sarri va changer le style de Chelsea

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Arrivé cet été malgré quelques incertitudes liées au sort d’Antonio Conte, Maurizio Sarri devrait changer le visage stylistique d’un Chelsea qui sort d’une saison en demi-teinte, tout juste sauvée par une FA Cup. L’ancien entraîneur de Naples, à l’approche offensive, a déjà commencé à en poser les contours.

L’un avait martelé 32 fois le mot "travail", l’autre a insisté à onze reprises sur l’importance du "plaisir". Si, en passant d’Antonio Conte à Maurizio Sarri, Chelsea a troqué un entraîneur italien pour un autre, la rupture lexicale constatée entre leurs conférences de presse de présentation respectives révèle le changement philosophique qui attend les Blues. "Le football n’est pas un sport, c’est un jeu, dit l’ancien technicien napolitain. Quiconque joue à un jeu a commencé à le faire enfant pour le plaisir. Et l’enfant en nous doit être entretenu parce que c’est souvent ce qui fait de nous le meilleur. Créer un jeu divertissant est donc la première chose à faire afin d’obtenir un style pour une équipe de haut niveau".

La filiation de pensée avec Pep Guardiola est évidente. "Pour que tout se passe bien, les joueurs doivent courir comme des bêtes, mais ils doivent jouer avec le ballon comme s’ils étaient enfants", exposait le Catalan dans Herr Pep en 2014. Une vision qui redonnera, peut-être, le goût du jeu à un effectif londonien que la presse anglaise disait lassé par l’approche parfois excessivement conservatrice d’Antonio Conte, incarnée par un renoncement embarrassant lors du déplacement à l’Etihad face à Manchester City (0-1), en mars dernier.

Le "Sarri-ball": un jeu de passes endiablé

Pour autant, dans le jeu, le Chelsea de Sarri ne repartira pas de zéro. Les Blues avaient déjà l’habitude de jouer court, au sol, depuis l’arrière (90% de passes courtes la saison dernière). Dans leur défense à trois, ils s’appuyaient sur des circuits de passes très automatisés: des jeux en triangle entre défenseur central excentré, milieu axial et défenseur latéral pour ressortir les ballons sous pression, des renversements d’un côté à l’autre ouvrant l’espace pour les montées de César Azpilicueta, défenseur axe droit au pied de velours (six passes décisives en 2017-2018)...

Mais si Chelsea, la saison dernière, était l’équipe de Premier League qui dribblait le plus (13,5 dribbles réussis par match), c’est notamment parce que la déstabilisation offensive reposait majoritairement sur les exploits individuels d’Eden Hazard (six dribbles réussis par tranche de 90 minutes, leader de Premier League) et Willian (3 dribbles réussis par 90 minutes).

Sarri, lui aussi, "tient à ce que tout soit le plus mécanique possible", dixit son ancien attaquant Lorenzo Insigne dans France Football, en janvier dernier. Mais dans son équipe, les différences se font d’abord collectivement, par des successions de passes à un rythme endiablé. Conte mettait en valeur ses solistes, Sarri s’appuie sur l’harmonie et la précision de son orchestre.

Cela implique une densité de solutions autour du porteur du ballon, des déplacements coordonnés et intelligents ainsi que de la qualité technique pour combiner en peu de touches sous pression. Quand cela fonctionne, cela débouche sur des mouvements collectifs magistraux. Les médias anglais ont déjà collé un label sur ce style : "Sarri-ball".

Une action contre Perth (1-0), dimanche, semble indiquer que les premières séances de travail sont déjà bien digérées. Elle révèle certaines clés du jeu de Sarri: aspirer l’adversaire en redoublant les passes courtes (93% de jeu court avec Naples la saison dernière) dans la phase initiale de la construction, changer de rythme et profiter des espaces ouverts en jouant vertical dès qu’un décalage est créé. Pour y parvenir, toute la longueur du terrain est exploitée, quitte à jouer en retrait pour se donner plus d’espaces à attaquer par la suite. "De la profondeur, il y en a dans les deux sens", enseignait Raynald Denoueix dans Comment regarder un match de foot ?.

La part de risque, inhérente à cette approche, est acceptée et intégrée. Dans le Naples de Sarri, l’un des deux latéraux (Hysaj) était plus prudent pour contre-balancer les montées constantes de l’autre (Ghoulam). La saison dernière, 46% des attaques napolitaines se déroulaient côté gauche, plus haut ratio en Serie A.

Chez les Blues, le passage à une défense à quatre, en 4-3-3, après deux ans de 3-4-3 et de 3-5-2, devrait redistribuer les cartes. Victor Moses étant a priori trop offensif pour le poste à droite, Cesar Azpilicueta pourrait s’excentrer. Sa polyvalence et son intelligence équilibreraient l’allant offensif de Marcos Alonso côté opposé. David Luiz, écarté par Antonio Conte, peut, quant à lui, faire valoir sa qualité de passe pour se relancer dans l’axe.

"L’entraîneur est très motivant, confiait Pedro il y a quelques jours. C’est un entraîneur très bon, honnête. Quand il est arrivé, il a beaucoup parlé avec les joueurs, il martelait ses idées sur le terrain." Son principal relais : Jorginho, emmené dans ses bagages contre 57 millions d’euros. L’international italien occupe un poste crucial dans l’organisation tactique, en sentinelle devant la défense: il organise, régule, oriente et donne le tempo.

La saison dernière, il était le joueur de Serie A qui effectuait le plus de passes par match (97). Il devrait faciliter l’implantation des idées de son entraîneur à Londres, dans un rôle que Cesc Fabregas pourrait également occuper. Conséquence: N’Golo Kanté (3,3 tacles et 2,5 interceptions par match l’an dernier) devrait monter d’un cran et endosser le rôle de harceleur dévolu à Allan (2,8 tacles, 0,7 interception par match) à Naples, dans un entrejeu où Sarri a indiqué vouloir ajouter "une pincée de qualité" au mercato. Une fois qu’il aura façonné son onze, il ne devrait pas en changer beaucoup. La saison dernière, dix joueurs de Naples ont débuté au moins 30 matchs de Serie A (contre quatre Blues en Premier League).

Une approche défensive agressive

Ancien employé (jusqu’en 2003) de la banque Monte dei Paschi di Siena, la plus vieille au monde encore en activité, Maurizio Sarri a largement puisé dans les idées d’Arrigo Sacchi, son inspiration majeure. Il a ainsi étudié dans les moindres détails l’organisation défensive de son Milan, qui évoluait certes en 4-4-2 mais dont il a adopté les grands principes: approche de zone, bloc compact qui se déplace à l’unisson sous l’impulsion d’une ligne défensive alignée avec une précision d’orfèvre – le résultat de mouvements inlassablement répétés à vide à l’entraînement et filmés par un drone.

La ligne défensive généralement haute permet d’aller presser dans le camp adverse. La saison dernière, Naples était l’équipe italienne qui passait le moins de temps dans son tiers défensif (19% du temps) du terrain. Les hommes de Sarri intervenaient toutes les neuf passes adverses, pour être la cinquième équipe laissant le moins jouer de Serie A.

En Premier League, dans ce domaine, seuls Manchester City (six passes), Tottenham (huit) et Arsenal (huit) faisaient mieux. Peu probable, donc, de voir ce nouveau Chelsea attendre passivement dans son camp. La sublime double confrontation entre Naples et Manchester City en Ligue des champions la saison dernière est une indication de l’approche conquérante que Maurizio Sarri devrait adopter face aux autres équipes du Big Six.

Reste à savoir si le technicien pourra effectivement compter sur Courtois, Kanté, Hazard et Willian, tous courtisés. Et si le projet de jeu qu’il incarne était un argument de poids pour les convaincre de rester à Londres? "Quand tu joues un football pareil, tu n’as pas envie de partir", confiait le défenseur sénégalais de Naples Kalidou Koulibaly dans L’Équipe, en octobre dernier.

Mais contrairement à son prédécesseur, souvent vindicatif devant l’inaction relative de ses dirigeants sur le marché, Maurizio Sarri n’a pas l’air de s’en préoccuper outre mesure. "Je me sens beaucoup plus comme un entraîneur de terrain que comme un manager général, a-t-il avoué lors de sa présentation. Je pense que je suis l’un des rares entraîneurs que le marché des transferts ennuie. Je ne veux pas en parler et je ne m’y intéresse pas. Notre tâche en tant qu’entraîneur est de développer les joueurs que nous avons." Un sacré changement de ton, là aussi.

Julien Momont