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Philippe Auclair: que valent vraiment, ces jeunes Anglais?

Dominik Solanke

Dominik Solanke - AFP

Observateur avisé de la Premier League, chroniqueur pour SFR Sport et pilier de l'After Foot, Philippe Auclair revient pour RMC Sport sur les formidables performances des équipes de jeunes anglaises.

C’est le paradoxe avec lequel le football anglais doit apprendre à vivre, le cercle vicieux auquel on doit faire prendre le pli de la vertu. Un tiers seulement des joueurs qu’on voit sur les terrains de Premier League peuvent recevoir une invitation de Gareth Southgate; et cependant, jamais les jeunes Anglais n’ont été aussi performants – et séduisants – dans les compétitions internationales qu’en 2017. Tout ce qui suit est arrivé en l’espace de cinq semaines. Les U17 ont disputé la finale de leur Euro, cédant aux tirs au but face à l’Espagne. Une équipe B, voire C, des U21 a remporté son second tournoi de Toulon consécutif. Les U20 sont devenus champions du monde, cinquante-et-un ans après le sacre de Bobby Moore et des siens à Wembley. Et voilà que les Espoirs d’Aidy Boothroyd, en battant leurs hôtes polonais 3-0 jeudi soir, ont pris leur place dans le dernier carré de l’Euro U21.

Une telle série est sans précédent dans le passé de l’Angleterre. A-t-elle d’ailleurs un précédent dans le passé de quelque autre pays européen que ce soit? Même si l’Espagne obtient des résultats remarquables depuis longtemps chez les cadets et les juniors, elle n’a pas disputé de demie-finale du Mondial des U20 depuis 2003. Pour la France, autre caïd des sélections de jeunes, c’est l’Euro U21 qui pose problème: aucun résultat digne d’être mentionné depuis la demie-finale perdue par Sagna, Lass Diarra, Gourcuff et cie en prolongation contre les Pays-Bas en 2006. Une telle synchronicité est inédite. Elle est aussi porteuse d’espoir, ce qui, pour beaucoup, revient à dire: de déceptions à venir.

Le talent n'est pas en cause

C’est qu’on attend cette nouvelle aube depuis tant d’années, et que chaque fois qu’on s’imagine voir pointer la lumière, la chandelle est mouchée; et que, chaque fois, on ressort les mêmes excuses, les mêmes explications, les mêmes reproches. Le talent n’est pas en cause. La formation, oui, et, surtout, ces clubs de Premier League si peu patriotiques qu’on peut s’étonner de ne pas les avoir vus ajoutés à la liste des ennemis du Brexit, des ‘saboteurs’ de la gloire nationale.

Liverpool met 50 millions d'euros sur la table, primes comprises, pour l’Egyptien Mohammed Salah. Fort bien. Mais que va-t-il advenir de deux attaquants des Reds très en vue au Mondial des U20, Sheyi Ojo et, surtout, Dominic Solanke, élu ‘meilleur joueur du tournoi’? Et pourtant, Jürgen Klopp n’a jamais craint de lancer des gamins dans le grand bain quand il était à Mainz ou au Borussia Dortmund.

Ne pas tomber dans l'excès inverse

Chelsea fait la chasse à Tiemoue Bakayako, et serait parvenu à un accord de principe, moyennant un versement de 40 millions d'euros à l’ASM, davantage que ce qui avait été payé à Leicester pour N’Golo Kanté. J’ai mes réserves sur ce choix, mais pourquoi pas? Mais quel avenir pour Nathaniel Chalobah, l’un des patrons des U21? Sans parler de Lewis Baker, de Tammy Abraham, et de tant d’autres jeunes Anglais qui, ayant fait de Chelsea la meilleure équipe de jeunes d’Europe, transhument de prêt en prêt…Et pourtant, Conte apprécie Chalobah, qui avait déjà porté le maillot d’une demie-douzaine de clubs avant de faire ses débuts pour les Blues. Il n’a que vingt-et-un ans…

Je ne souhaite cependant pas tomber dans l’excès inverse et refroidir les enthousiasmes au point d’affirmer que cette "nouvelle vague" sera inéluctablement suivie d’un ressac. Nous ne sommes plus au temps de la Golden Generation. Même le Sun a mis de l’eau dans sa bière. Fini, le temps du "on y va pour être champions!" qu’on entendait avant chaque grand tournoi; et c’est tant mieux. Mais cela ne signifie pas qu’il faille prendre l’éclosion d’autant de jeunes footballeurs de talent pour un non sequitur. Sans repenser sa méthodologie et sa structure de A à Z comme le fussball allemand le fit après l’humiliation de l’Euro 2000 (Allez voir à ce sujet la passionnante étude de Raphael Honigstein Das Reboot, publié l’an passé au Royaume-Uni), le soccer anglais a pris conscience du retard qu’il avait accumulé sur ses rivaux, et, petit à petit, s’est engagé sur un chemin inédit pour lui, celui de la remise en question. Nous sommes désormais très, très loin des pseudo-théories de Charles Reep, le gourou ‘technique’ de la FA (doublé d’un authentique imbécile) qui empêcha le football anglais de penser pendant plusieurs décennies. On vous conseille sur ce thème la magnifique démolition du reepisme dans le fameux Inverting The Pyramid de Jonathan Wilson, qui sera disponible en français dans un proche avenir.

Aussi doit-on être plus optimiste pour l’avenir de ces cadets et juniors anglais qu’on l’aurait été il y a cinq ou dix ans de cela. Certains managers de PL ont compris le parti qu’il y avait à tirer de l’utilisation de jeunes du cru; ceux-là sont étrangers, d’ailleurs, venant de cultures dans lesquelles la jeunesse est considérée comme un atout. Pochettino a beau avoir un passeport argentin, il est aussi un enfant de La Liga; Ronald Koeman, des Pays-Bas et du Barça.

(Un comble, non, que ce soit des horsains qui montrent le chemin à suivre aux Anglais? Car regardez plutôt le bilan des Pardew, Allardyce, Pulis et consorts quand il s’agit de faire confiance aux jeunes Britanniques; de la part de managers qui, dans le cas des deux premiers, chignent à qui mieux mieux sur le pauvre sort des techniciens anglais, ce n’est pas seulement malhonnête. C’est presque honteux. Mais fermons la parenthèse, il y a comme un courant de mauvais air, aurait dit Alphone Allais).

On dira que cette nouvelle génération ne comprend pas de talents aussi exceptionnels que Owen, Scholes ou Ferdinand il y a vingt ans de ça, que personne ne se détache vraiment du lot. On aura tort. Ceux qui sont vraiment au dessus avaient été laissés tranquilles pour ces compétitions dans lesquelles l’Angleterre a brillé. Par ordre d’importance: Tom Davies d’Everton, Marcus Rashford de Manchester United et, évidemment, Dele Alli de Tottenham. Not bad.

Gardez un oeil sur Alfie Mawson

On dira que ces jeunes, si brillants soient-ils, n’auront que très peu de temps de jeu avec leurs clubs de PL. Et les statistiques, c’est vrai, montrent que le nombre de minutes jouées en championnat par les U21 anglais à l’Euro était inférieur à celui de toutes les autres nations représentées. Mais je vois Pickford, Mawson, Ward-Prowse, Redmond, je vois des titulaires. Je vois Chambers, Holding (laissé sur le banc, bien qu’excellent avec Arsenal), Chilwell, Gray, Holgate (comme j’avais vu Calvert-Lewin, Lookman, Solanke et Lewis Cook de Bournemouth au Mondial U20), et je vois des joueurs qui le seront. De ceux-là, d’ailleurs, deux seront selon moi en lice pour une place avec les A d’ici la fin de la saison à venir, à savoir le gardien Jordan Pickford, fraîchement acquis par Everton, et Alfie Mawson, de Swansea.

(Nouvelle digression: gardez un oeil sur ce dernier. Il tapa dans le mien il y a deux saisons de cela, quand il jouait pour Barnsley, et la seule chose qui m’étonne encore à son sujet est qu’aucun ‘grand’ club ne soit encore venu frapper à la porte des Swans pour s’enquérir de son prix de vente. Le dernier joueur anglais qui m’avait frappé de la sorte était Adam Lallana, dans un tout autre registre bien sûr, quand il jouait encore en D3, et que je l’avais vu faire une passe à l’aveugle digne de Peter Beardsley. Vous vous dites aussitôt – ‘c’est du sérieux’. Mais bref, fin de la digression).

Il n'y a pas de fatalité de l'échec

Je n’ai jamais vraiment cru à la Golden Generation. Aussi ne vais-je pas commettre l’erreur de croire à une hypothétique Lost Generation. Je constate qu’un championnat qu’on accuse de laisser tomber ses jeunes, de ne croire qu’au court terme, a néanmoins produit des gamins qui font mieux que tenir leur rang quand ils doivent se mesurer au monde extérieur, des gamins qui valent la peine qu’on ait confiance en eux comme, encore une fois, des managers comme Pochettino, Koeman l’ont fait à Southampton, Tottenham et Everton, et sans avoir à s’en plaindre. Il n’y a pas de fatalité de l’échec pour cette génération.

Comme tout lecteur de G.K. Chesterton l’a découvert, ce qu’on qualifie de paradoxe n’est le plus souvent qu’un éclairage inhabituel qui révèle un sens commun, pas une contradiction. En ce sens, le football anglais de 2017 est paradoxal, et pourrait s’en porter bien mieux à l’avenir en conséquence.

Philippe Auclair