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Premier League: Les secrets de la méthode Sarri

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Dans sa thèse publiée en 2007, Maurizio Sarri, le nouvel entraîneur de Chelsea, détaille sa méthode d’organisation de la semaine d’entraînement. Plongée au cœur de la pensée de l’un des techniciens les plus en vogue du moment.

C'est l'une des attractions de La Premier League qui débute ce vendredi en exclusivité et intégralité sur RMC Sport. Maurizio Sarri débarque sur le banc de Chelsea auréolé d'une flatteuse réputation après son passage à Naples. Sa thèse, rédigée il y a une décennie, en dit beaucoup sur sa méthode. 

C’est un document de quarante-deux pages accessible à tous sur le site de Coverciano, le réputé centre de formation des entraîneurs italiens. La concrétisation du cursus de Maurizio Sarri, et un exercice obligé pour tous les étudiants qui en sortent diplômés. Massimiliano Allegri a décrypté les "caractéristiques des trois milieux centraux dans un milieu à trois". Antonio Conte a travaillé sur le 4-3-1-2 et l’"utilisation didactique de la vidéo". Sarri, lui, a choisi de détailler sa préparation hebdomadaire du match.

"Dans un football toujours plus préparé d’un point de vue tactique et physique, il est d’une importance fondamentale de préparer chaque match jusque dans les plus petits détails", écrit-il en préambule. Ce qu’il développe ensuite éclaire son approche minutieuse, sa poursuite quotidienne de l’objectif classique devenu cliché professionnel: "mettre toutes les chances de son côté". En sept chapitres, un par jour de la semaine, Sarri dévoile tout de son organisation, de la structuration et des objectifs très précis et systématisés de ses séances d’entraînement, schémas d’exercices à l’appui.

A l'époque, Sarri avait déjà pris la suite de Conte

Précision d’importance: cette semaine-type s’inscrit dans une configuration d’un seul match dans la semaine, disputé le dimanche à 16 heures. Cette saison-là, en 2006/07, Sarri était sur le banc d’Arezzo, en Serie B, dans une étrange alternance avec Antonio Conte (qui a commencé et terminé la saison, achevée sur une relégation en troisième division). La participation de Chelsea à la Ligue Europa impliquera un séquençage nécessairement différent. "Ce mode de préparation du match est très différent d’il y a quelques années, explique-t-il en conclusion. J’espère aussi qu’il sera différent de ce que je ferai dans quelques années, ce qui signifierait que ma volonté d’avancer et de progresser ne se sera pas épuisée, comme mon amour et ma passion pour ce jeu merveilleux." Ce qui n’empêche pas d’en retirer des clés de compréhension de l’approche du nouvel entraîneur des Blues.

Début la semaine: travailler les lacunes du match précédent

Le lendemain du match, les joueurs sont au repos, mais pas le staff: l’heure est à l’analyse vidéo, pour "vérifier les différences entre le match préparé et celui effectivement joué". Sarri distingue ainsi la "tactique de principe", celle qui est travaillée à l’entraînement en amont, et la "tactique appliquée". L’Italien s’appuie beaucoup sur son adjoint, à la double fonction matérielle (écriture et mise en place des séances d’entrainement) et de gestion humaine (faire le lien entre les joueurs et l’entraîneur). "Je pense que le collaborateur idéal est celui avec lequel il y a une unité de pensée et une unité d’intention", précise Maurizio Sarri.

Deux jours après le match, le matin, l’analyse vidéo est assemblée dans les différentes phases de jeu :
- phase défensive en zone haute, en zone médiane, en zone basse
- phases arrêtées défensives
- phase offensive en zone basse, en zone médiane, en zone haute
- phases arrêtées offensives

Sarri décortique ainsi le jeu à partir d’un découpage du terrain en trois parties. La vidéo présentée aux joueurs l’après-midi ne dépasse pas la douzaine de minutes, afin de "maximiser l’attention des joueurs". Le choix des séquences exposées est aussi adapté en fonction de l’état psychologique de l’équipe. Dans une situation de crise de confiance, l’entraîneur insistera plus volontiers sur ce qui a bien marché.

Après cette séance vidéo du début d’après-midi, un entraînement à la carte est préparé en fonction du temps de jeu de chaque joueur le week-end précédent. Chacun a également un programme physique et technique individualisé, en fonction de carences constatées ou d’un historique de blessures, par exemple, nécessitant un travail ciblé. Ce travail s’effectue deux fois par semaine dans chaque domaine. Le soir, Sarri et son staff entament l’étude des quatre dernières rencontres du prochain adversaire.

À J+3, l’entraînement matinal a un objectif exclusivement physique, mais il ne s’effectue pas sans ballon pour autant. Sarri détaille ainsi l’exemple d’une opposition à cinq contre cinq avec cinq joueurs en appui autour du terrain par équipe, avec trois touches de balle autorisées et les buts à inscrire en une touche, effectuée en fin de séance. L’après-midi, l’entraînement est consacré à la correction des phases qui ont mal fonctionné lors du match précédent. Il s’effectue à haute intensité. Cette semaine, par exemple, les Blues ont peut-être retravaillé leurs situations de pressing haut qui ont manqué de coordination et d’efficacité contre Manchester City (notamment sur l’ouverture du score) lors du Community Shield (0-2), dimanche, ou encore leurs enchaînements dans les trente derniers mètres, peu déstabilisants.

Fin de la semaine: répéter les adaptations spécifiques au prochain adversaire

La projection, sur le terrain d’entraînement, vers le prochain match ne s’effectue qu’à J-3. Le matin, une dernière séance, plus didactique et moins intense, est encore consacrée aux problèmes propres au match précédent. L’après-midi, une première séance vidéo entame la présentation du nouvel adversaire, focalisée sur ses mécanismes offensifs. Dans la foulée, l’entraînement est ainsi exclusivement centré sur le travail défensif pour les contrecarrer, d’abord à faible intensité pour bien les intégrer, avec d’entrer dans les détails pour chaque tiers du terrain.

J-2. Un seul entraînement programmé, l’après-midi, dédié cette fois au travail offensif, après une réunion vidéo dédiée au système défensif adverse. Cette séance s’effectue en deux temps. D’abord un travail générique, sur les principes de jeu généraux indépendants de l’adversaire. Sarri évoluait alors systématiquement en 4-2-3-1, comme le 4-3-3 est devenu son système fétiche à Naples et est parti pour l’être à Chelsea. Ensuite, un travail spécifique au match, détaillé pour chaque tiers du terrain. Un objectif physique, axé sur la vitesse, est également intégré.

Veille de match. La matinée est dédiée aux phases arrêtées, étudiée en vidéo puis préparées sur le terrain, avec des exercices de réactivité physique en complément. Le soir, une nouvelle réunion d’équipe présente aux joueurs les caractéristiques individuelles de chaque joueur adverse.

La semaine d’entraînement typique de Maurizio Sarri était donc systématiquement composée, à l’époque de l’écriture de sa thèse, de deux séances physiques, de deux autres visant à corriger les erreurs du match précédent, et de trois dédiée à la rencontre à venir, toujours dans le même ordre de travail (phase défensive, phase offensive, coups de pied arrêtés).

Deux causeries le jour du match

Le jour de match est lui aussi séquencé avec précision. À sept heures du coup d’envoi, après la collation (pour un match à 16h), le staff peaufine les derniers détails, comme le rôle de chaque joueur sur coups de pied arrêtés, et prépare les deux causeries d’avant-match. La première s’effectue à quatre heures environ de l’échéance, juste avant le déjeuner: les idées de la semaine sont rapidement rappelées, comme le contexte du match et les aspects mentaux, comportementaux et tactiques.

L’arrivée au stade est prévue à une heure trente du début du match. Maurizio Sarri ne dévoilait sa composition d’équipe qu’à ce moment-là. "Je pense que chaque convoqué a le devoir, mais aussi le droit, de se sentir impliqué dans le match jusqu’au dernier moment", justifie-t-il. L’occasion pour une ultime causerie, axée cette fois sur le plan individuel, tant tactiquement que mentalement: les tâches et mouvements offensifs et défensifs de chacun sont rappelés, avec un mot de motivation personnel lié à la rencontre.

Les joueurs, les vrais acteurs du match

Maurizio Sarri quitte alors le vestiaire "pour que chaque joueur se sente libre de vivre les moments qui précèdent le match de la manière qui lui convient le mieux et dont il a l’habitude". Il ne suit que de loin l’échauffement, pris en charge par le préparateur physique. Il a alors tout fait pour préparer le match de la manière optimale, mais… "J’ai conscience que sur le terrain, il y a toujours des situations imprévues qui se présentent rapidement à l’entraîneur, mais surtout aux joueurs, qui sont les vrais acteurs du match, et qu’ils devront affronter", concède-t-il. Pendant la rencontre, pour ce qu’il appelle la "lecture du match", Sarri sera focalisé sur son équipe et la bonne application des consignes et schémas de jeu travaillés. Son adjoint sera concentré sur l’adversaire, pour pointer toute différence avec ce qui était prévu.

Ce n’est que si les joueurs ont bien intégré chaque principe de son jeu, conquérant offensivement comme défensivement, avec une volonté d’aller chercher haut puis de redoubler les passes rapides pour faire la différence, qu’ils seront capables, par eux-mêmes, de trouver les bonnes réponses. À en juger par la défaite contre City lors du Community Shield, il y a encore du travail. Mais après tout, le jeu flamboyant de Naples ne s’était pas construit en trois semaines, aussi bien organisées soient elles.

Julien Momont