Premier League: on a vécu Crystal Palace-Bournemouth à Selhurst Park

Lorsque la température descend sous la barre du zéro degré, vous n’avez qu’une hâte: que l’entrain gagne les tribunes pour vous lancer dans un accompagnement plus ou moins effréné des chansons locales, en tapant dans vos mains et chantant à tue-tête. Pas toujours évident par un mardi de décembre, pour un match que peu qualifieront de sexy sur le papier comme cette rencontre entre Crystal Palace et Bournemouth.
C’est ce petit doute qui vous saisit au moment d'entrer pour la première fois dans l'overground londonien, le métro aérien bondé - sans bousculade, politesse anglaise oblige - aux environs de 17h heure locale. Ne pas se tromper de branche: choisissez Norwood Junction plutôt que la station Crystal Palace pour vous épargner un quart d'heure de marche supplémentaire pour arriver à destination. Une demi-heure de trajet depuis Canada Water, à deux stations de métro de London Bridge, avant de débarquer dans la gare de ce quartier résidentiel, populaire et un brin uniforme, presque morose.
Aucun risque de se perdre, tout est balisé
Peu de risques de ne pas trouver son chemin: la route est balisée de panneaux géants à l'effigie de Wilfried Zaha, Cheikhou Kouyaté, Patrick van Aanholt ou Andros Townsend, qui vous indiquent le chemin à suivre. Les rues les plus proches de l'enceinte viennent de fermer à la circulation tandis que vous suivez la foule des supporters - et quelques touristes, y compris une fratrie française qui venait de faire une tournée des stades de la capitale anglaise - en direction du Graal.

Il apparaît après deux virages à droite, dans la nuit. Les projecteurs sont le principal signe de modernité, autour d'un bâtiment que vous imaginiez plus grand. Selhurst Park joue les modestes: construit en 1924, d'une capacité d'environ 25.000 spectateurs, il nous ferait presque penser à un joli stade de Ligue 2. Ne vous y trompez pas: le petit joyau du South London abrite l'une des plus belles ambiances de Premier League.
Vous avez l'air un peu perdu et tentez de repérer la bonne entrée. "Avez-vous besoin d'aide?", demande un homme qui a perçu vos quelques secondes d'hésitation. Armé de ses moufles et de son bonnet bleu marine, vêtu d'un gilet orange, il travaille sur place les soirs de match.Il vous indique alors le chemin sur le plan, accroché à la porte juste derrière lui. Pour vous ce soir, ce sera le Main Stand - la tribune principale - côté Glaziers Lounge, porte 9.

Vous longez, depuis l'extérieur de l'enceinte, la tribune des Ultras - seul groupe du genre en Angleterre - et tournez à droite vers l'entrée principale. Pour une fois, on vous demande de ne pas marcher à gauche en passant le portail. Pour éviter les voitures... des joueurs, qui s'arrêtent dans ce petit bras de rue privée pour rejoindre la briefing room. A l'ancienne, on vous dit. Vous arrivez quelques secondes après Wilfried Zaha, qui ferme à peine la porte du bâtiment derrière lui et que vous apercevez à travers une fenêtre, le temps qu'un stadier aille garer sa splendide voiture de sport d'un noir mat du plus bel effet.
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Une proximité avec les joueurs qui détonne
Vous pourriez tout à fait toucher le véhicule, vous auriez parfaitement pu demander un autographe aux joueurs cheminant vers le stade. Vous avez déjà compris: Selhurst Park est une enceinte humaine. A taille humaine, à esprit humain, à géographie humaine. Comme si la Premier League n'avait pas effacé le côté bon enfant d'un football de cours d'école... devenu professionnel sans jamais se couper du public.
Vous continuez votre chemin. A gauche, sur le parking, un ensemble important de pré-fabriqués forment une cours rectangulaire, dont l'arche d'entrée jouxte une photo des joueurs stars du clubs. A l'intérieur, les mascottes prennent la pose, les touristes filent acheter maillots et écharpes, les habitués entament l'apéro-bière. Tout y est parfaitement organisé, indiqué, fléché, dans un étonnant mélange entre le professionnalisme d'une machine anglaise commercialement parfaitement huilée et amateurisme tant aimé des petites virées stadières du week-end (en l'occurrence de la semaine), toutes divisions confondues.

Aucun problème d'accessibilité, y compris pour les personnes à mobilité réduite, et un constat: l'organisation y est remarquable. Vous vous décidez à rentrer dans votre tribune. Une fouille assez soft et un passage dans le tourniquet post scannage de billet plus tard, vous voici prêt à monter. Avant de prendre place, vous optez pour un soda light au bar. Là encore, tout est fluide: paiement sans contact sur des bornes ultra rapides, personnel nombreux et accueillant, offre assez diversifiée... rien à voir avec le bazar devenu presque traditionnel de nombreux stades français. Ici, on sert toujours de la bière en bouteilles de verre (bière et verre sont devenus proscrits chez nous).
Proche du terrain, des joueurs, de l'atmosphère
Il est temps de vous immerger dans le stade. Il fait ancien - il l'est - et surtout authentique. C'est encore calme et vous pouvez à loisir vous rapprocher de la pelouse. Les premiers rangs de sièges ne sont distants que de quelques mètres du rectangle vert. Pour les spectateurs proches du coin rapprochant la Main Stand de la tribune des Ultras, il est même possible d'approcher le couloir d'entrée des joueurs à moins de dix mètres.
Une proximité de chaque instant. Les enfants regardent Nathan Aké et ses coéquipiers de la défense de Bournemouth s'exercer à la relance à une touche, tandis que les intendants en charge du terrain discutent près des journalistes et des staffs. Ici, on boit du café et du chocolat Cadbury en gobelet violet.

Votre siège se situe en rangée 33, soit la plus haute de la tribune. En allant vous installer, vous constatez pourtant une visibilité impeccable - à l'exception d'un ou deux poteaux fins qui soutiennent ce toit qui vous épargnera du vent froid britannique. Pour les jambes en revanche, il va falloir oublier le confort: le quasi centenaire de ce stade va visiblement de pair avec l'oubli des plus grands gabarits. Pas grave, il n'y a personne sur le strapontin à votre droite et vous allez pouvoir vous mettre légèrement de biais.
Le retour de Sakho
Cette fois, c'est l'heure. Le stade s'est rempli. Pour un mardi soir à 19h30 heure de Londres, c'est même bien plein. La musique de la Premier League retentit tandis que les joueurs des deux équipes pénètrent sur la pelouse. A droite de votre rangée, deux trentenaires tournent une vidéo - sans doute pour YouTube - en annonçant un score de 3-1. Il y aura moins de vibrations de filets ce soir.
Le protocole achevé, l'aigle envolé (au sens propre), vous vous attardez sur les compositions des deux équipes: Mamadou Sakho est de retour et va connaître sa première titularisation de la saison. Votre amour de la Ligue 1 (si, si) vous impose aussi de suivre de près l'ancien Marseillais Jordan Ayew. Les voici en place. Le coup de sifflet retentit tandis que le rang devant vous se garnit d'un duo de quadragénaires, hot-dog à la main, qui vont faire votre soirée en râlant sur l'arbitre. Comme quoi, il y a des traditions qui se partagent partout en Europe...
C'est donc parti pour le match de la peur pour les Cherries, à la lutte pour le maintien, et celui qui peut permettre à Palace d'enchaîner un deuxième succès de suite et de flirter avec le top 6. Et les choses commencent bien pour les locaux, avec un coup franc dès les premières minutes. De quoi chauffer les travées, avec quelques cris de désespoir face à la tentative complètement loupée de Luka Milivojević.
Un public varié pour un club mi-popu mi-bobo
Les retardataires des (très) nombreux bars du stade s'installent. Pas vraiment dans la discrétion. Ici, c'est bonne franquette, ça sent les frites et la bière. Le public est hétéroclite: se côtoient les classes aisées, les bobos londoniens qui ont opté pour un club plus hype et moins classique que Tottenham, Arsenal ou Chelsea, mais aussi des groupes plus populaires, de ceux qui sortent du boulot plus tôt pour venir honorer leur sortie de la semaine. A l'arrivée, c'est un public amoureux du ballon rond et attentif à chaque action. Au point de plonger le stade dans le silence sur certaines actions plus construite de Crystal Palace.

Dans la tribune de gauche, celle qui fait face à la tribune des Ultras, quelques dizaines de supporters de Bournemouth donnent de la voix pour tenter d'exister. Et ils y arrivent plutôt bien. Mais le moindre emballement des supporters des Eagles les réduit au silence.
Tandis que vous vous attardez sur ce gamin qui refuse obstinément de garder le bonnet bleu et rouge que son père lui impose (il n'en est pourtant pas encore à sa crise d'ado), Callum Wilson cause quelques misères à la défense de Palace. Deux ou trois dribbles qui aboutissent finalement à un très joli contre mené par Jordan Ayew et Patrick van Aanholt. A la réception d'un ballon mal dégagé par Bournemouth, James McArthur ne cadre pas.
Le temps que le jeu s'installe, vous vous refroidissez un peu. Il faut dire que la température avoisine le zéro degré, qu'il fait nuit noir et que vous ne pensez qu'au café tout frais repéré à l'étage inférieur, sur le comptoir de la buvette, dans des gobelets façon Starbucks qui vous laissent désormais rêveur.
Le rouge de Sakho réveille tout le stade
Les joueurs de Roy Hodgson viennent de piteusement gâcher deux coup francs d'affilée et le dernier rang de la tribune soupire devant ce premier quart d'heure bien calme, pour ne pas dire soporifique. Mais après un premier joli raid de Cheikhou Kouyaté, un coup du sort sort tout Selhurst Park de sa torpeur: Le long de la ligne de touche qui longe votre tribune, Mamadou Sakho vient faucher Adam Smith sans prendre de gants (19e minute).
De votre siège, vous n'êtes pas certains que le défenseur français y met la semelle mais une chose est sure, le tacle n'est absolument pas maîtrisé. L'arbitre n'hésite pas à sortir le carton rouge, sous les huées presque délirantes de la foule. Et tandis que Smith se fait soigner une entaille au genou, voilà qu'intervient la douce incertitude du VAR.
Le flou du VAR et l'absence de communication dans le stade
Après avoir exprimé toute sa stupeur et devant l'incompréhension de ses coéquipiers, Mamadou Sakho se dirige vers le couloir menant au vestiaire... et patiente finalement au coin du terrain. Le jeu n'a toujours pas repris, malgré une interruption de plusieurs minutes. Il s'avérera que l'assistance-vidéo était à l'oeuvre. Mais dans le stade, pas la moindre indication, ni de la part du speaker, ni sur un écran. Rien.
C'est finalement la reprise du match et la rentrée définitive du Français au vestiaire qui fera comprendre au public que la décision est maintenue. Le coup d'envoi d'une demi-heure de noms d'oiseaux et doigts d'honneur descendant des tribunes, contre l'arbitre mais surtout contre Adam Smith. Lequel sera sifflé durant tout le reste du match.
On continue dans les ennuis pour Crystal Palace, qui voit Patrick van Aanholt contraint de sortir sur blessure (29e muinute), remplacé par Jeff Schlupp. Votre voisin de gauche checke la feuille de match de Manchester City à Burnley, votre youtuber de droite se refait une petite vidéo qui n'a pas vraiment l'air passionnant. Mais les travées reprennent vie à la 37e, sur la grosse occasion de Kouyaté. Malgré son infériorité numérique, l'équipe du South London a du coeur.
A la pause, ruée sur la bière
C'est donc à 0-0 que la mi-temps est sifflée, après une première période moyenne. Le café vous tend les bras mais à la buvette, c'est heure d'affluence. Dans le calme toutefois, british touch oblige. Les rangs sont disciplinés, chacun attend son tour. Pas de cris, pas de gestes brusques ni de bousculade. Reposant.
Un panneau vous interpelle, la foule qui emprunte ce chemin aussi. Un escalier couvert plus tard, vous voici dans le Glaziers bar: grand, beau, dans les tons beige-crème. "Welcome to the Glaziers' bar" indique l'écriteau au dessus du stands d'alcool. Bière et alcools plus ou moins forts y sont servis derrière le comptoir, tenu par autant de femmes que d'hommes. Ici, on ne peut payer que par carte et le paiement sans contact y est ultra rapide. La seule condition: on ne sort pas en tribune avec son verre d'alcool, c'est interdit. Il y a en revanche de nombreuses tables pour s'asseoir, toutefois relativement prisées.
De l'autre côté de l'immense pièce traversante, une file d'une vingtaine de personne attend pour manger. On sert ici les mêmes plats qu'à la buvette (hot-dogs, pizzas, frites, burgers) mais aussi quelques plats en sauce, à l'assiette. Une sorte de mini buffet façon aire d'autoroute. Les prix des plats vont de 5 à 10 euros environ. Aux murs, des écrans montrant l'analyse de la première période sur la télévision anglaise, bien que l'un d'eux soit consacré au canal interne du club.
La montée en puissance de l'ambiance
C'est déjà l'heure de regagner votre place, réchauffé par ce café plutôt pas mal pour un jus de stade. Ayew répond à l'énorme raté de Wilson par un poteau frôlé qui fait vibrer les spectateurs. Le niveau sonore augmente assez brutalement et les chants descendent de plus en plus des tribunes. "The pride of South London, South London's number one, you know it's true, we're red in blue" (la fierté du sud de Londres, le numéro 1 du sud de Londres, tu sais que c'est vrai, nous sommes rouge et bleu) résonne dans Selhurst Park, lancé par les Ultras, repris par votre tribune.
Zaha, dribbleur omniprésent
Au départ, vous galérez un peu sur les paroles et trichez en regardant sur votre téléphone. Deux refrains plus tard, vous avez adhéré au mouvement. Vous vous focalisez alors sur Wilfried Zaha: il vous faisait déjà forte impression derrière votre écran, il est encore plus impressionnant depuis le stade. Outre sa folle capacité à éliminer un joueur en un-contre-un et sa variété de dribbles - vous êtes en furie devant son combo petit pont-grand pont sur son aile gauche - l'ailier est d'une générosité remarquable. Il court, il défend, il repique, il se replie, il communique. Et il dirige, en leader, donnant des consignes à un Jordan Ayew volontaire mais pas toujours juste dans son dernier choix.
L'heure de jeu est passée et Crystal Palace se rapproche de plus en plus du but de Ramsdale. Sur une nouvelle inspiration de Zaha, Wilson et Francis coupent l'action sur le fil. Dans la minute qui suit, l'Ivoirien s'offre une superbe percée dans la surface et tombe au contact de Mepham. L'arbitre ne siffle pas penalty (70e) et le public hurle sa rage. Le retour des doigts d'honneur. Les trois rangs devant vous ne s'assoient même plus, conscient que le match bascule, malgré l'infériorité numérique des Eagles.
Guaita sauve tout de même les siens à plusieurs reprises sur des contres pas toujours bien négociés de la part de Bournemouth. Et si Roy Hodgson ne bouge pas d'un décimètre dans sa zone technique, Eddie Howe est de plus en plus agité. Et sort même de son rectangle blanc le temps de donner quelques consignes.
Le but de Schlupp met le feu aux tribunes
76e minute. Après un raid de Zaha repoussé, McArthur lance Schlupp dans la profondeur. Lequel s'offre un joli raid en solitaire, avec une feinte de corps et un crochet gauche à l'appui, pour placer sa frappe et faire trembler le filet. 1-0 Palace, à dix contre onze. Le stade prend feu. "We love you, we love you, we love you and when you play we follow, we follow, we follow ; cos we support the Palace, the Palace, the Palace, and that's the way we like it" (on t'aime et quand tu joues, on te soutien, parce qu'on supporte Palace et c'est ce qu'on aime) est repris trois fois d'affilée.
Il est visiblement de coutume de faire tourner son écharpe ou de faire un bras dessus bras dessous avec son voisin. Il faut dire que le but est beau, que les éléments semblaient contre les Eagles et... qu'il fait très froid. Schlupp est lui presque enseveli par les Ultras, après être venu célébrer son but avec la foule, au bord de la tribune. Là encore, la proximité vous saute aux yeux car ni les stadiers ni les joueurs ne semblent inquiets vis à vis d'un éventuel débordement ou envahissement de terrain.
Dans la foulée, le 2-0 n'est pas loin sur une tentative de McArthur. Le 1-1 non plus avec une frappe lointaine de Lerma. On en restera finalement là, après un temps additionnel en forme de gestion. Nouvelle explosion de Selhurst Park, qui chante encore plus fort son "We love you". Les spectateurs s'attardent pour raccompagner leurs joueurs, leurs héros de South London qui frôlent désormais le top 6 avec cette deuxième victoire d'affilée, après un mois de novembre compliqué.
La sortie du stade fluide et calme
Il est temps de partir. Dans le calme toujours, chacun laissant le soin à l'autre de passer pour prendre l'escalier. L'euphorie n'est pas descendue, mais elle se lit sur les visages plutôt qu'elle ne s'entend. La sortie des tribunes puis du stade est fluide, elle vous prend moins de cinq minutes. La foule se scinde en deux, entre ceux qui rejoignent la station de Crystal Palace et les autres qui, comme vous, avaient opté pour Norwood Junction. Certains s'arrêtent en route pour un kebab ou deux-trois courses chez Aldi, la plupart filent vers l'overground.
Pour l'occasion, les portiques sont ouverts, histoire de ne pas bloquer la foule, et des trains spéciaux pour London Bridge circulent. Pour vous, c'est direction Whitechapel. Vous parvenez à vous asseoir dans ce large train propre et bien entretenu, bien que pas tout neuf. A votre gauche, un homme en costume qui appelle sa compagne pour lui dire qu'il rentre et qu'il "ramène le programme du match" à son fils, qui semble se prénommer Tommy. A votre droite, un petit groupe de touristes hispanophones qui portent tous une écharpe ou un bonnet du club. Il est moins de 23h et vous voici rentré. Avec les yeux rouge et bleu.