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Riolo : "Trezeguet/Riquelme, un 9 et un 10…"

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Retour sur les retraites de David Trezeguet et Juan Roman Riquelme…

Ils n’ont jamais joué ensemble, mais avouez que ça aurait eu de la gueule, non ? Un vrai 9 et un vrai 10 associés. Un régal assurément. Vous avez remarqué le paradoxe ? Quand on parle de ce type de joueur, on dit : un « vrai » et on ajoute le numéro de maillot. On dit « vrai » alors que ça n’existe pourtant plus. Ni les numéros de maillot, ni les postes aussi clairement définis.

Vous donneriez quel numéro de maillot à nos deux stars mondiales Ronaldo et Messi ? On les aime aussi, mais le passionné de foot étant nostalgique par nature, on adore les deux qui viennent de quitter la scène. Leur style bien caractéristique et ce foutu numéro qu’on a envie de leur accrocher dans le dos !

Riquelme était-il le dernier 10 ? J’ai la sensation qu’on a déjà dit ça pour d’autres. Mais qui ? C’est quoi le 10 ? Où plutôt c’était quoi ? Une photo avec Platini en blanc et noir et Maradona en bleu ciel. Ariston contre Buitoni. Un meneur, un organisateur. Il est libre, tire les coups-franc, fait les passes, marque des buts souvent plus beaux que ceux inscrits par le 9. L’esthétique est primordiale. Il doit être le meilleur de son équipe. C’est ce qui justifie que les autres travaillent pour lui. Un 10 anticipe, et voit le jeu. Il distribue. Pour ça, il lui faut des solutions. Deux attaquants, voire deux ailiers et une pointe, mais ça c’était encore avant. Le 7, le 9 et le 11 qui s’en souvient encore ?

Riquelme était donc un 10. Une légende de Boca Juniors, son club, où il a quand même réussi à supplanter Maradona ! Un joueur anachronique dans les années 2000. Il n’y a qu’en Argentine, ou dans la formation, les numéros ont encore un sens, qu’il pouvait s’épanouir. Le « vrai » 10 ne défend pas. Il n’est pas là pour les basses tâches. Le foot dit « moderne » (concept difficile à dater) est collectiviste. Le travail est plus équitablement réparti. Il y a moins de classes, de noblesse. Autre paradoxe. Dans un foot ultra-business, l’équipe devient presque socialiste. Mais je m’égare.

On dit souvent que Riquelme a échoué au Barça. Mais sous les ordres de Louis van Gaal, comment pouvait-il réussir ? L’Argentin est à l’opposé de ce que demande le coach néerlandais. Dans le foot européen, il n’y a plus de place pour ce type de joueurs. La révolution a été faite, il y a longtemps. Les Pays-Bas avaient initié le mouvement avec le foot total. Et ce même si l’un des derniers 10 a pourtant été Sneijder. Ailleurs, la trace du 10 est restée plus profonde. Puis le 10 a bougé. Il a reculé, il s’est mis sur un côté. Baggio, Zidane, Totti, Pirlo, Ronaldinho, James (je ne peux pas tous les citer) sont des exemples de 10 non-aboutis. Platini avait lui même inventé l’expression de 9 et ½ !

Javier Pastore, Argentin forcément, pourrait être le dernier. Mais on voit bien la difficulté à utiliser un joueur trop libre, pas assez replacé, pas assez défensif. Donner les clefs à un seul joueur, ça semble impossible dans le foot européen. Le 10, c’est un peu le serveur-volleyeur au tennis. Mac Enroe, Edberg, Rafter… L’entre deux serait Federer/Messi contre Nadal/Ronaldo.

Tout comme le 10 dans le dos de Riquelme, le 9 façon Trezeguet ne peut pas plus exister aujourd’hui. Le joueur de surface, braqué uniquement sur la finition, le but, est voué à disparaître. Trezeguet, ce n’était pas des beaux buts, c’était des buts avant tout ! En cascade. Là encore, une tradition argentine (Bianchi, Onnis, Crespo, Batistuta… ) Jouer avec un tel 9, ça suppose un schéma de jeu qui va faire en sorte que l’action se termine sur lui car il ne sera utile au jeu qu’en tant que buteur ! Et il ne sera apprécié et jugé qu’en fonction du nombre de buts marqués. Or, aujourd’hui, comme les autres, l’attaquant est polyvalent, il défend, va sur le côté, saute, garde le ballon, frappe de loin, de près. Là encore, il est plus athlète. Marco van Basten avait assuré la transition. Des joueurs comme Vieri, Henry, Drogba, Eto’o ont participé à la mutation du 9. 

Au final, on se dit que c’est d’abord l’exigence physique qui a eu raison du 9 et du 10… Cette même exigence a eu des effets semblables au tennis, eu rugby… le muscle a gagné.

Riquelme et Trezeguet, c’est en effet l’image d’un foot plus lent alors qu’il repose aujourd’hui principalement sur la vitesse et la densité physique. 

Mieux ou moins bien, là n’est pas vraiment le sujet. Il est juste de bon ton, je crois, de saluer la retraite de ces deux immenses joueurs. Ils appartiennent à la classe de ceux qui communient avec le public.

Après, la nostalgie d’un autre foot ne doit pas forcément nous empêcher d’aimer son évolution. Sous réserve, comme le disait celui qui débuta sa carrière comme journaliste « agité », Désirée Nisard : « que le progrès respecte ce qu’il remplace… »

Daniel Riolo