"Tout ça, c’est fini", quels sont les changements à attendre avec l'affaire Diarra?

Vendredi dernier, le monde du football a connu une journée importante concernant le fonctionnement du marché des transferts. L'arrêt de la CJUE est tombé dans l'affaire Lassana Diarra. La Cour de justice de l’Union européenne explique que certaines règles de la Fifa sur les transferts de joueurs enfreignaient le droit de l’UE. Cette décision est jugé par certains comme historique, un peu moins par d'autres. En tout cas, elle ne laisse pas insensible. Sur RMC Sport, Antoine Duval, chercheur senior au Centre de droit international et européen du sport de l'Institut ASSER, donne un éclairage important de la situation quelques jours après la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.
Antoine Duval, comment regarder, analyser cette décision de la CJUE dévoilée la semaine dernière dans le dossier Lassana Diarra?
A mon sens, cette décision va changer beaucoup de choses. Mais je pense qu’il faut repartir du début en expliquant ce qu’est un transfert. C’est une transaction entre deux clubs pour régler un conflit en quelque sorte entre un club et son joueur, parce qu’il y a eu une rupture d’un contrat de travail à durée déterminée. Le club ne possède rien. Il possède le droit de demander une indemnité pour une rupture de contrat de travail à durée déterminée. Et au final, qu'est ce qui se passe quand il y a un transfert? Le nouveau club s'arrange avec l’ancien club pour que celui-ci renonce à ce droit. C’est le transfert et c’est très important de l’expliquer. C'est la base de ce dossier.
Pourquoi le nouveau club fait ça?
C’est simple, contrairement au droit commun, donc vous et moi, quand on veut rompre notre contrat de travail à durée déterminée, notre ancien employeur peut demander des dommages et intérêts, s'il y a eu des dommages. C'est très difficile d'obtenir beaucoup d'argent. Il faut que l'ancien employeur prouve des dommages très concrets. Et, notre nouvel employeur ne sera jamais responsable financièrement. Dans le football, jusqu’à vendredi, ça a fonctionné de manière très différente. On avait donc un marché des transferts qui existe parce que la Fifa a en quelque sorte mis en place, pour les transferts internationaux, un droit du travail exorbitant du droit commun. Je trouve ça fascinant d'un point de vue universitaire et c’est ce que je trouve intéressant dans ma recherche, comment les acteurs privés peuvent créer une régulation économique transnationale.
"L’ancien club peut se retourner uniquement contre le joueur"
Le système de la Fifa est quand même très efficace…
Le système de la Fifa est très centralisé et il a aussi les moyens institutionnels pour résoudre des litiges. Mais pour revenir au point de départ et savoir pourquoi on avait un marché des transferts, c’est surtout parce que la Fifa a introduit l’article 17, il est très important. C’est pour cette raison que l’affaire Diarra va entraîner des changements conséquents. L’article 17 est exorbitant du droit commun sur deux points.
Lesquels?
D’une part, sur la manière dont est calculée une indemnité de rupture. Si un joueur rompt son contrat, contrairement au droit commun, il va devoir non seulement payer des dommages et intérêts qui peuvent être équivalents au salaire restant dû, ce qui est un peu l’idée de la valeur du joueur pour l’entreprise. Ce débat a déjà eu lieu devant le TAS qui reconnaît désormais une spécificité du sport avec une interprétation de la notion de critères objectifs de manière assez large pour inclure notamment les frais de transfert déjà payés.
Mais cet arrêt laisse place au doute, non?
Non, la Cour est très très négative. Elle n'est généralement pas aussi négative. Cet arrêt ne laisse pas beaucoup de place au doute. La Cour, de manière très négative, attaque le fait qu'à travers cet ensemble de critères, d’une part la compensation semble déconnectée du dommage actuel causé et notamment des salaires étant dus. Mais en plus, elle est extrêmement incertaine, vague, on ne sait pas très bien anticiper. Et ça, c’est très important dans l’opération du marché des transferts. Parce que c’est une incertitude qui pousse les clubs à ne pas prendre le risque d’aller devant le tribunal de la Fifa ou le TAS. On ne sait jamais combien on devra payer. La Cour s’attaque donc à cette idée-là.
Et que demande-t-elle à la Fifa?
La Cour n’a pas de problème avec l'idée qu'il y ait une indemnité, c'est le droit du travail commun en quelque sorte. Mais elle demande à ce que cette indemnité soit calculée, soit alignée sur le droit du travail commun. C’est donc un premier élément que la Cour a attaqué en essayant de diminuer l'incertitude autour de l'indemnité due et en même temps de limiter le montant de cette indemnité à des frais raisonnables, qui n’incluent pas, par exemple, les frais de transferts payés. En cas de dispute, les montants seront bien inférieurs et bien plus prévisibles.
Et la deuxième conséquence?
Elle est peut-être encore plus importante et plus décisive pour l’avenir du marché des transferts. Ce marché fonctionnait parce que le nouveau club était automatiquement coresponsable de la rupture du contrat de travail. Et là, ce n’est plus le cas, c’est mort. Il faudra désormais démontrer que le nouveau club joue un rôle très clair dans la rupture. C’est très difficile à faire, même impossible d’apporter des preuves. Donc l’ancien club peut se retourner uniquement contre le joueur. Il pouvait même y avoir des sanctions sportives. En clair, cet arrêt diminue les risques du nouveau club, mais aussi les risques financiers pour le joueur. C’était un système qui était fondamental pour créer et pour mettre en place le marché du transfert tel qu'on le connaît pour transformer, non pas les joueurs, mais la rupture, le droit à l'indemnité de rupture en une créance sur laquelle on peut spéculer. Le marché des transferts est une grande bulle spéculative. Tout ça, c’est fini.
Comment cela peut fonctionner maintenant?
Il va falloir se mettre d’accord. Il y avait quand même une fonction qui était positive, c’est la redistribution. Une redistribution transnationale. Si vous regardez les chiffres, en particulier les clubs de la Premier League, qui de manière structurelle, dépensent plus en transfert que ce qu'ils reçoivent. Ces clubs redistribuent vers le monde du football international. On peut évoquer la situation de la France qui est très différente mais la situation sera aussi bien plus dramatique pour les Pays-Bas, la Belgique ou le Portugal. Parce que ces pays ont des revenus bien inférieurs à la France. Donc le déséquilibre financier qui était en partie comblé par le marché des transferts sera chamboulé. Il y avait une sorte d’un mécanisme très imparfait de redistribution. Si on voulait faire un mécanisme parfait de redistribution, on ne l'organiserait pas comme ça, mais c'était un mécanisme de redistribution. Ce mécanisme-là est maintenant très gravement menacé. Cet arrêt menace en tout cas tous les clubs qui dépendent des transferts pour équilibrer leurs comptes. Il faut très rapidement travailler au niveau européen pour essayer de mettre en place un système qui permettra de garantir une méthode alternative pour redistribuer des fonds ou si accord avec la FIFPro de maintenir une forme de système des transferts.
"Il faudrait une taxation des clubs les plus riches"
Mais il faudra le négocier collectivement…
La FIFPro sera impliqué dans toutes les négociations. Parce que, notamment en droit de l’Union Européenne de la concurrence, il y a une exception qui est prévue pour les accords collectifs qui ne sont pas soumis au droit de la concurrence. Si on veut maintenir un système qui puisse à la fois garantir une meilleure redistribution des fonds au niveau européen pour faire en sorte d’avoir un minimum d'équité financière et qui protège mieux les droits des travailleurs, il faut tout remettre à plat très vite au niveau européen avec des négociations collectives. Pour arriver à un accord qui soit un véritable accord collectif.
Dans tous les cas, les montants des potentiels transferts seront moins importants?
Il est très improbable qu’on conserve un marché des transferts avec des montants aussi déconnectés des salaires résiduels dus aux joueurs. On pourrait aussi s’orienter vers des indemnités de formation plus renforcées. Mais moi, personnellement, si on devait mettre en place un système pour compenser les inégalités entre les clubs, je pense qu'il faudrait une taxation des clubs les plus riches qui participent à la Ligue des champions afin de permettre une redistribution. Alors évidemment, il y a le danger de l’arrêt Super League avec des clubs qui pourraient créer une compétition parallèle.
Mais on voit que la Super League est très difficile à organiser pour les clubs…
C’est pour ça qu’un des moyens de faire c’est de passer à un modèle de taxation. On pourrait donc organiser une solidarité de manière beaucoup plus rationnelle avec un modèle de taxation des plus riches pour distribuer aux clubs les plus pauvres.
Il y a une autre complexité, c’est d’appliquer un droit du travail qui est différent dans de nombreux pays européens...
C’est en effet une complexité importante. Si on en reste là, le calcul de l'indemnité de rupture va se baser sur le droit du travail applicable au contrat de travail du joueur en question. Et donc en France, le droit français s’applique, en Italie, le droit italien etc…C’est pour cela qu’il y a un intérêt très clair à négocier. Car il est possible que dans certains droits du travail nationaux, une certaine manière de marché des transferts puisse être préservée. Mais il me semble très peu probable qu'il y ait beaucoup de droits du travail nationaux qui ouvrent la possibilité à une demande d'indemnité qui soit aussi importante que maintenant. Il faut rappeler que toutes les parties ont intérêt à trouver une solution.