Une victime d'un ancien recruteur de Ligue 1 condamné pour viols brise le silence

"J’avais envie d’oublier cette nuit." Les mots de Guillaume* sont forts. A 25 ans, l’ancien footballeur prend la parole pour la première fois au sujet d’une scène qui a changé sa vie. Après avoir lu des articles sur l’affaire concernant Ahmed G., début mars, Guillaume décide de briser le silence et d’accorder ses premiers mots à RMC Sport. "Je voulais laisser cette histoire derrière moi, décrit l’ancien de l’INF Clairefontaine. Quand j’ai arrêté le football, j’ai tout coupé. Du coup, je me suis dit que c’était ma vie d’avant. Maintenant que je me suis construit en tant qu’homme, je peux faire cette interview. Quand j’ai lu les articles, j’ai été choqué, ça m’a fait remonter des souvenirs et des émotions."
L’affaire qui va suivre n’a jamais été portée à la connaissance de la justice française. Quand Ahmed G. est condamné en première instance début mars, Guillaume ne fait pas partie des victimes. L’ancien joueur de Bussy-Saint-Georges se remémore l’ensemble des détails de cette nuit qui a changé sa vie. A l’âge de 11 ans, Guillaume se déplace à Auxerre pour un stage dans le club de Ligue 1 à l’époque. Pour l’accompagner dans cette détection, Ahmed G., recruteur pour plusieurs clubs professionnels (Angers SCO, FC Nantes ou encore l'AJ Auxerre) dans la région parisienne.
Un stage à l’AJ Auxerre pour débuter
Lors d’un premier match face au club amateur d’Ahmed G., Guillaume voit le recruteur du FC Nantes se présenter à la fin de la rencontre face à ses parents en donnant un papier officiel du club professionnel. "On savait qu’Ahmed était quelqu’un qui connaissait du monde dans le milieu du football, confie Guillaume. La première approche était très factuelle. J’avais fait un bon match, il est venu me voir. Il n’y avait rien de bizarre à ce moment. Et ça a commencé comme ça… Il m’avait dit de venir dans son club de Bussy-Saint-Georges qui pouvait être un bon tremplin pour signer dans un club de Ligue 1 ."
Au fil des mois, Ahmed G. se rapproche du jeune joueur. "Il venait voir mes parents assez régulièrement, détaille Guillaume. Il avait promis à mes parents qu’il allait m’emmener en stage de détection à l’AJ Auxerre (club pour lequel il était aussi recruteur, ndlr). A la mi-juillet, tous les deux en voiture, nous prenons la route pour ce stage. Avec du recul, je me souviens de l’ensemble des détails sur le parcours. A l’aller, il avait évité l’autoroute pour passer par des petites routes de campagne."
Guillaume décrit l’emprise d’Ahmed G. sur plusieurs joueurs du club amateur. La même technique qui a été expliquée lors du procès au mois de mars. Au fil de l’enquête, les policiers ont retracé la vie de l'accusé et découvrent plusieurs messages adressés à d'autres jeunes garçons. Un même procédé est utilisé pour l'ensemble de ses victimes. L'homme repère ses "proies", se présente comme un recruteur d'un grand centre de formation (ce qui était vrai dans certains cas) et installe rapidement une relation de confiance avec les jeunes joueurs.
"Pendant les deux semaines à Auxerre, il était très proche de moi, explique Guillaume. Il me faisait des câlins et des bisous. C’était un peu comme mon père, il pouvait m’acheter ce que je voulais comme des confiseries et des crampons." A 11 ans, le jeune passionné de ballon rond ne comprend pas immédiatement l’emprise du technicien. Ce dernier essaye de conditionner mentalement le garçon : "Un élément important, dans la voiture, il aimait beaucoup me rappeler que mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent. Et qu’il était le seul à pouvoir sortir ma famille de la galère grâce au football."
"Il se frottait contre moi"
Les deux semaines de stage se déroulent très bien pour Guillaume. Le dernier jour, il monte dans la voiture d’Ahmed G. pour regagner la région parisienne. Sauf que le trajet ne va pas se dérouler normalement. Vers 20h, à la moitié du parcours, l’ancien technicien considère qu’il est tard pour rentrer à Paris, la voiture s’arrête dans un hôtel. Ahmed G. demande à Guillaume de rester dans la voiture pendant qu’il s’adresse à la réception pour savoir si deux chambres sont disponibles. "Il m’a demandé de rester à l’extérieur de l’hôtel. A son retour, il me dit qu’il n’y a qu’une chambre de libre avec un lit deux places. A ce moment-là, je ne me doute de rien et j’accepte", affirme Guillaume.
"Lorsque je vais me coucher, c’est là que ça commence, décrit le jeune homme de 25 ans. Il est monté sur moi, il se frottait contre moi. J’étais sur le dos et pendant cette scène, il disait des phrases comme ‘Ne t’inquiète pas, tu es super fort, tu vas signer à Auxerre et je vais t’emmener à Nantes. Tes parents auront des grosses primes’. Pendant ce temps, il m’embrasse, cet acte va durer 30 secondes."
A 11 ans, Guillaume trouve la force de se débattre face à son agresseur : "Je me suis retourné et c’est à ce moment qu’il me met sa main sur mes parties. Ça me fait réagir et j’ai donc crié : ‘Ahmed arrête’." Dans les minutes qui suivent, Guillaume se réfugie dans la salle de bain de la chambre d’hôtel. Des minutes qu’il décrit comme un "trou noir" avant de revenir se coucher dans le lit. Le reste de la nuit va se dérouler "normalement". Le lendemain matin, les deux hommes sont "repartis comme si de rien n’était". Sur le coup, Guillaume avoue se "sentir honteux". Après deux semaines de stage, "je voulais juste effacer cette soirée de mon cerveau pour continuer dans mes ambitions et dans mes rêves", dit-il. Par la suite, Guillaume, sans rien dire à ses parents, est resté sous les ordres d’Ahmed G. dans son club de football. Même si, avec la présence permanente de son père, l’entraîneur n’a plus rien tenté sur le jeune garçon.
"Je témoigne pour libérer cette parole"
Prendre la parole treize ans après les faits n’est pas simple pour Guillaume. Son objectif ? Briser le silence pour pousser d’autres victimes à raconter leurs histoires. Les avocats des victimes lors du procès ont rappelé que plusieurs autres jeunes footballeurs auraient pu être visé par Ahmed G.. "Témoigner aujourd’hui est une décision personnelle. Je témoigne pour libérer cette parole, affirme Guillaume. C’est tabou de parler dans le milieu du sport. Ces paroles peuvent être détournées dans la tête des jeunes. Ça peut aussi dire que tu n’es pas assez fort et donc tu as subi les choses. En réalité, c’est le fait de pouvoir parler qui est fort."
Devant la justice, et après plusieurs années d’enquête, neuf jeunes footballeurs ont décrit leurs histoires. Guillaume n’a jamais porté son histoire devant la justice. Pendant treize ans, le jeune garçon s’est construit. "Le fait de pouvoir en parler maintenant, ça m’a libéré. J’ai arrêté de culpabiliser. Ça donne aussi une excuse de mon mal-être dans certains centres de formation par la suite. Peut-être que j’ai eu une méfiance sur les entraîneurs… Ça a joué clairement."
En treize ans, Guillaume n’avait jamais eu la force de témoigner face à ses parents. Le jeune homme a pris la parole pour la première fois il y a deux semaines devant sa mère et son père. "Ils étaient tristes et en colère. Tristes d’avoir pu faire confiance à cette personne et en colère, pas contre moi, mais de l’apprendre que maintenant." Guillaume avoue que son père avait eu des doutes il y a cinq ans lorsque l’histoire a éclaté dans la presse. A ses questions, l’ancien footballeur lui avait simplement répondu "non".
Dans cette affaire, qui ne concerne donc pas Guillaume*, l'avocat général avait requis 15 ans de réclusion. Les jurés de la Cour d'assises de Paris ont donc pris une décision encore plus importante en condamnant l’ancien recruteur à 18 ans de prison. Depuis, Ahmed G. a fait appel, un nouveau procès aura donc lieu. L’ancien recruteur était accusé de "viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité" sur mineurs de moins de 15 ans et tentatives, "propositions sexuelles par voie électronique" et "corruption de mineurs".
*Le prénom a été modifié