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Handball: "On manque de courage", Canayer réclame plus de changements chez les Bleus

Le Mondial de handball démarre mercredi en Egypte et l’équipe de France disputera son premier match jeudi soir contre la Norvège. A quelques heures de la compétition, Patrice Canayer, entraîneur de Montpellier, livre son sentiment pour RMC Sport. S’il croit cette équipe capable de rebondir il regrette le manque de stratégie claire de la Fédération pour le futur. Battu lors des précédentes élections fédérales par la liste de Philippe Bana (il était sur la liste de Jean-Pierre Feuillan), le manager regrette que la priorité ne soit pas donné aux jeunes et aux Jeux  olympiques de Paris en 2024.

Qu’est-ce que vous attendez du mondial qui débute cette semaine?

J’espère que le handball masculin, je dis bien masculin car chez les féminines il n’y a absolument rien à dire ni sur les résultats ni sur la forme, va rebondir. C’est une nécessité importante. L’équipe de France est la locomotive du handball français. Depuis deux ans, on n’y est pas. On n’est pas dans la dynamique. On a beaucoup de mal depuis deux ans à savoir où les gens en responsabilité veulent aller. Est-ce que l’on gère le court terme, le moyen terme, le long terme? Est-ce que l’on renouvelle l’équipe nationale? Est-ce que l’on fait de la continuité tranquille?

Et à un moment donné on ne peut pas tout faire, ce n’est pas possible. L’histoire des équipes de France de handball sont faîtes de ruptures. Et à un moment donné, il faut savoir provoquer les ruptures. Et les ruptures, ce n’est pas toujours un changement d’entraîneur surtout si c’est pour prendre l’adjoint. Quand on veut faire une vraie rupture on fait une vraie rupture. Aujourd’hui, on manque de courage. Moi ce que j’entends c’est que l’on essaye de replâtrer depuis des années, mais plutôt que replâtrer, est-ce qu’il ne faut pas reconstruire? La stratégie autour de l’équipe de France masculine n’est pas claire. Olivier Krumboltz l’a fait avec les filles. Il s’est tourné vers le futur avec une stratégie claire. Après elle est bonne ou mauvaise mais elle est affichée. Là ce que je regrette c’est que je ne vois pas de stratégie et on donne l’impression de ne pas savoir où l’on va.

Vous auriez aimé un renouvellement plus important au sein de l’équipe de France?

Ce n’est pas un problème de renouvellement, c’est un problème de dynamique. Je pense qu’il faut se projeter sur 2024 qui sera un moment extrêmement important pour le sport français. On sait, et c’est cela qui me fait mal, que l’expérience des Jeux olympiques est indispensable pour réussir. Bien sûr, il faut se qualifier pour les Jeux de Tokyo mais une fois que l’on est à Tokyo, le résultat ce n’est pas l’essentiel.

Par contre, donner un nouveau souffle à l’équipe de France et de l’expérience à des joueurs qui seront les joueurs cadres de 2024, pour moi c’est une erreur de ne pas le faire. Après attention, il ne faut pas lancer des jeunes, pour lancer des jeunes. Il faut les encadrer. Moi je ne dis pas qu'il faut virer tout le monde et prendre les jeunes. Cela serait stupide et voué à l’échec. Il faut inverser la dynamique. Il faut mettre les jeunes en situation de responsabilité et les encadrer, pas l’inverse.

Du coup, confier le brassard à Michaël Guigou n’est pas le meilleur signal envoyé aux jeunes?

En fait tout tourne autour de ça. Est-ce que cette année, et c’est le cas depuis un an, un an et demi, on remercie les joueurs qui ont porté haut le handball français et on les accompagne tranquillement. Ils sortent au moment où ils ont envie de partir.

Moi je comprends que les joueurs aient envie de jouer jusqu’à cinquante ans. Il n’y a pas de problème. La question est: on doit tout organiser pour préparer leur jubilé ou faire des choix, parfois douloureux, pour préparer l’avenir? On doit assurer la pérennité de notre sport et le haut niveau c’est ça.

On vous sent inquiet sur le potentiel de cette équipe à quelques heures du début du Mondial?

Ah non pas du tout. Je pense que cette équipe peut faire un résultat. Mais pour moi, sur des postes clés il y a de vraies interrogations, et on devrait déjà préparer la suite. Après je ne dis pas que tous les joueurs de plus de trente ans doivent arrêter. Ce n’est pas du tout ça. Je pense qu’il faut inverser la dynamique.

On doit garder deux ou trois anciens dans des conditions très précises, avec un cahier des charges très précis. Il faut tourner résolument la page pour se projeter vers le futur et mettre les jeunes en situation de responsabilité. Pour le moment, ils se planquent derrière des joueurs qui n’ont plus forcément les compétences pour assurer l’essentiel.

Sur quels postes l’équipe de France a des problèmes selon vous?

Je pense qu’aujourd’hui, on a plus un problème de leadership que de poste. Qui sont les leaders de cette équipe? S’il y en a un qui est incontestable quand il est là, c’est Nikola Karabatic. Pour moi, il fait partie des gens qui doivent assurer la transition des générations avec un rôle très précis. Mais si on ne fait pas la place pour les jeunes joueurs maintenant, jamais ils ne prendront le leadership demain.

Il y a des joueurs qui sont capables, ils sont très peu, de prendre le leadership même quand il y a des vieux et ils font taire tout le monde. Avec leur talent, ils s’imposent. On a beaucoup de très bons joueurs mais on n’a très peu de grands leaders qui arrivent. Je n’en vois pas. Peut-être Ludovic Fabregas ou Valentin Porte mais il est entre deux générations.

Donc il faut placer les jeunes en situation de travailler le leadership et en situation de responsabilité. Tant qu’ils se planqueront derrière les vieux, ils se n’exprimeront pas. C’est pour cela qu’il faut leur faire un peu voire beaucoup de place pour les mettre en situation de responsabilité. Il faut être capable d’assumer des mauvais résultats pendant une paire d’années, et ce n’est même pas sûr, et après on en tirera profit en 2024 qui est une échéance majeure pour le handball français.

Vous parlez de manque de leaders en devenir, pourtant les équipe de France jeunes ont gagné toutes les dernières compétitions internationales?

Le Portugal, pendant des années, était champion de toutes les équipes. On se foutait d’eux en disant ils sont bons en jeunes mais ils ne gagnent jamais rien. On a des joueurs talentueux mais qui manquent de caractère et de leadership.

C’est un travail qui doit être fait en club et en équipe nationale pour les aider et arriver à construire un leadership. C’est à nous de leur forger le caractère et le faire sortir.

Propos recueillis par Julien Landry