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JO 2021 (athlé): le vibrant discours contre le dopage de Mayer, qui raconte son argent dans la douleur

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Favori pour l’or, Kevin Mayer a finalement pris la médaille d’argent sur le décathlon olympique ce jeudi à Tokyo, comme en 2016 à Rio. Mais vu les circonstances, avec un dos bloqué il y a une semaine, l’athlète français se dit surtout heureux d’avoir pu aller chercher cette breloque. Et donne déjà rendez-vous pour la suite, dont Paris 2024.

L’argent frustrant. Mais l’argent content vu la façon de l’obtenir. Très diminué physiquement (dos bloqué) et seulement cinquième à l’issue de la première journée du décathlon, alors qu’il était le grand favori de l’épreuve s’il était en pleine possession de ses moyens, Kevin Mayer a réussi à se remobiliser pour aller chercher la médaille d’argent ce jeudi à Tokyo à l’issue d’une seconde journée où il a matérialisé sa remontada grâce à la perche (5,20 mètres) et surtout au javelot avec un nouveau record personnel à 73,09 mètres qui lui permettait de doubler l’Australien Ashley Moloney (médaillé de bronze) et le Canadien Pierce Lepage pour finir derrière un autre Canadien, Damian Warner, quatrième homme à passer au-dessus des 9000 points (9018). De quoi aborder un sourire, et même un large.

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"C’était un décathlon tellement long et dur que c’est juste incroyable, savoure le recordman du monde (9126 points) au micro de RMC Sport. Pour être honnête, quand je me suis bloqué le dos il y a une semaine, je me suis dit: 'Ça y est, c’est fini, tant d’années à bosser pour ne pas pouvoir m’exprimer le jour J…' Ça a été un peu vrai. A chaque épreuve, j’étais déçu de mes performances car je sentais que je ne pouvais pas mettre 100% de ma forme. Mes coaches et mon entourage m’ont remotivé." Pour un résultat final qui le rend tout sauf déçu.

"Je suis super heureux, franchement, car je partais avec un handicap. Quand je me suis bloqué le dos, je n’imaginais pas finir mon décathlon. On sait que la moindre petite douleur va augmenter de façon exponentielle jusqu’à la fin du décathlon donc j’ai mal vécu cette dernière semaine, c’était une attente interminable, surtout que nos Français faisaient plein de bons résultats et franchement ça me stressait. Quand je suis arrivé au bout de ma première journée, que j’avais fait un 50’ horrible au 400 et que j’avais des points de retard, je me suis dit que j’allais tenter une remontada pour faire l’or. Malheureusement, c’était quasiment impossible mais je pense que peu de Français avaient foi en moi pour aller chercher l’argent et je suis content de leur avoir apporté ça même s’ils n’ont pas cru en moi."

Sa mère, Carole, évoque un argent "qui a un goût d’or". Jérôme Simian, un de ses coaches, évoque de son côté "une médaille au goût doux et amer, amer car on venait pour l’or, qu’on voulait offrir à tout le monde une bataille royale avec Warner et qu’il était en grande forme jusqu’à une semaine avant, et doux car on a quand même une médaille pour la France et pour la Fédération qui nous aide beaucoup donc ça valait le coup de se battre". Et le coach de résumer: "Obtenir cette médaille d’argent de haute lutte, avec des conditions de départ pas favorables, il peut être satisfait. On finit sur une bonne note avec un très bon javelot, qui a montré tout le travail qu’il avait fait. Il va pouvoir dormir tranquille."

"Que de l'euphorie"

Le tournant aura été ce javelot. Où sa joie après son nouveau record personnel permettait de comprendre son importance. "Après la perche, où on a passé trois heures dehors sous 40° en plein soleil, on a attendu six heures en chambre d’appel et pendant tout ce temps, je me suis dit qu’il fallait que je mette dix mètres à l’Australien et au Canadien pour être sûr de l’argent. Quand je fais 64 mètres à mon premier essai, je me dis: 'Je sais que je n’ai pas les jambes pour le 1500 mètres, je suis beaucoup trop fatigué, je ne pourrai pas aller chercher une médaille'. Sur le deuxième essai, j’ai essayé de tout bien faire techniquement car je n’avais plus de jambes. Je pensais à 69 mètres mais quand j’ai vu le résultat, 73 mètres, et dans cet état-là… Je savais que j’avais beaucoup travaillé et que ça allait sortir mais je ne pensais pas que ça allait sortir à ce moment-là. Après, je pouvais courir et me faire plaisir au 1500 mètres."

Avec le sentiment de la mission accomplie. "Ces six heures en chambre d’appel étaient interminables car je savais que je jouais une médaille et que c’était la seule médaille d’athlétisme possible pour la France. Je me sentais vraiment un devoir de le faire. Là, maintenant, ce n’est que de l’euphorie. Le seul truc qui m’empêche de profiter à fond, c’est que j’ai juste envie de prendre un avion pour sauter dans les bras de mes proches." Pour monter sur le podium, le Drômois aura dû se résoudre à un petit coup de pouce médical, lui qui n’est surtout pas habitué à ça.

Mais peu importe. "J’ai pris des anti-inflammatoires alors que je n’en prends pratiquement jamais donc ça a eu un effet dingue sur moi et je n’ai pratiquement pas senti mon dos après. Malheureusement, quand on a un défaut physique comme ça, même s’il n’y a pas de douleurs, les performances physiques n’étaient pas là. Mes plus grosses perfs ont été là où je ne faisais pas de sprint à 100%, à savoir le saut en hauteur et le javelot. J’ai montré mon vrai potentiel sur ces épreuves et ça promet pour les prochaines compétitions."

Il y aura les Mondiaux l’an prochain, déjà, et surtout les Jeux de Paris en 2024. Où remporter enfin l’or aurait une saveur encore plus particulière après avoir pris deux fois l’argent. "Complétement, confirme-t-il dans un sourire. Après, je vous avoue, les Jeux ne sont pas souvent donc quand on peut prendre l’or, il faudrait le faire. Mais c’est le décathlon. On s’entraîne tellement pour pouvoir résister pendant deux jours qu’on est toujours à la limite des blessures. Je ne me suis pratiquement pas blessé de l’année, à part une déchirure en juin, et là, après un voyage, le lumbago, le truc le plus banal au monde qui m’arrive… C’est comme ça, c’est de l’expérience, beaucoup d’expérience que je vais bien sûr utiliser à Paris."

Fier d’avoir surmonté les épreuves, Kevin Mayer avait aussi un message à adresser aux jeunes générations et aux cyniques, exprimé au micro de France Télévisions: "A tous les enfants qui nous regardent: j’étais comme vous quand j’étais petit. Dès qu’il y avait une grosse performance, beaucoup de gens autour de moi disaient qu’ils étaient dopés. Quand j'ai commencé l'athlé, je n’ai jamais voulu faire de sport pour le haut niveau parce que je croyais qu'il fallait être dopé pour le faire. Mais je vous assure qu'en travaillant bien et en travaillant plus que les autres, on peut y arriver, par d'autres chemins. A tous les enfants qui ne croient pas à la haute performance à cause de leur entourage: croyez-y, il faut y aller à fond, se donner, aimer assez son sport pour faire tous les sacrifices qu’il faut. Mais au bout du compte, on s’y retrouve car quand on a l’amour d’un sport, on donne tout pour ça et il vous le rend bien." Si le décathlon peut lui rendre à Paris dans trois ans, personne ne s’en plaindra.

Alexandre Herbinet avec Aurélien Tiercin