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JO 2021 (natation): "Ces Jeux ne seront pas équitables" selon Chad Le Clos

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Champion olympique du 200 mètres papillon en 2012 en battant Michael Phelps, Chad Le Clos s’est qualifié pour les demi-finales sur cette distance à Tokyo (disputées la nuit prochaine) en signant le seizième temps des séries. Le Sud-Africain, quatre fois champion du monde en grand bassin sur 100 et 200 pap, ne devrait pas être dans la course pour la médaille. Mais celui qui a été l'un des deux porte-drapeaux de sa délégation lors de la cérémonie d'ouverture sait pourquoi, après une année très compliquée pour s’entraîner en raison de la pandémie de Covid. Entretien.

Chad Le Clos, comment se sont passés les derniers mois pour vous avec la crise du Covid?

Ça a été très, très difficile, un véritable défi. Pas simplement pour moi mais pour beaucoup de monde. Le plus dur était de ne pas pouvoir être avec mon entraîneur et mon équipe. La gestion en Afrique du Sud de la crise du Covid n’a pas été super… J’étais bloqué en Afrique du sud de décembre à mai. Ça a été plutôt difficile. Je n’ai retrouvé mon coach qu’à la fin du mois de mai. Les choses n’ont pas été facile pour moi, personnellement. Mais il faut tirer le meilleur de chaque situation et ne pas se chercher d’excuses. On vient pour faire des courses, essayer de gagner. Les Jeux Olympiques sont une opportunité d’essayer de créer du positif dans cette situation mauvaise et c’est mon but.

Aviez-vous de bonnes conditions pour vous entraîner en Afrique du Sud?

(Il coupe.) Non, non, non! (Rire.) C’était très dur. Nous n’avons pas de bassin de 50 mètres pour nous entraîner, donc j’ai voyagé sur cinq sites. Un dans les montagnes à une heure de route avec une équipe. Un autre avait un bassin de 50 mètres, mais le problème était que nous n’étions autorisés à y aller qu’à certains moments. Et parfois, ils ne nous ouvraient pas les portes. On avait par exemple rendez-vous à 9h, j’étais là à 8h45, je frappais à la porte mais personne n’ouvrait. 9h15, toujours personne… Les portes étaient fermées. Je me suis entraîné beaucoup en bassin de 25 mètres, ce qui n’est pas bon pour moi. Mais les choses sont ainsi. Comme je dis, nous avons assurément connu la situation qui nous a le plus mis au défi cette année. Pour moi, ma famille, mon équipe. Je suis juste heureux d’être de retour en compétition.

Avez-vous ressenti l’envie d’abandonner devant ces épreuves?

Non. Je viens d’un endroit où les conditions sont difficiles. Je traverse le chaos car je ne viens pas d’un endroit où il y avait beaucoup de moyens. J’essaye de gagner à chaque fois, j’essaye d’être au meilleur niveau que je peux. Je ne me cherche pas d’excuses. Beaucoup de gens se cherchent des excuses en permanence: "J’ai fait un mauvais départ, une mauvaise arrivée, mauvais virage, mauvaises conditions…" Mec, la course parfaite ça n’existe pas! Tu dois faire ta course et faire du mieux que tu peux. Tu baisses la tête et tu y vas. Pour moi, c’est le plus important. Je crois au fait qu’à la fin, la difficulté va passer. Dans la vie, vous devez perdre plus que vous ne gagnez. Vous perdez votre famille, votre maman, vos cheveux même. (Il passe sa main dans ses cheveux avec un sourire.) Vous devez apprendre à perdre avant de gagner. C’est une leçon que j’ai apprise depuis que je suis jeune. Rien n’est donné gratuitement, il faut travailler dur. Pour moi ça a été un très gros défi cette année, mais il faut toujours en tirer le meilleur et ne pas pleurer et se trouver des excuses.

Avez qui nagiez-vous en Afrique du Sud? Suiviez-vous les entraînements de votre coach James Gibson?

Ça faisait partie des choses difficiles. On était en contact permanant avec James parce qu’il voyageait beaucoup et le soir on était en contact. Bien sûr, il m’envoyait un programme. Parfois, je m’entraînais avec un groupe avec deux jeunes garçons qualifiés pour les Jeux Olympiques donc c’était super. Un gars qui nage 1’56’’ au 200 mètres papillon, ce qui est pas mal, et un autre à 1’57’’ sur le 200 mètres quatre nages. Les deux ont 17 ans donc c’est cool. J’avais de bons partenaires d’entraînement mais le problème était la régularité. C’est comme si il y en avait un à Paris, un à Canet et qu’on devait se retrouver pour nager à Montpellier… Ce n’était pas facile.

Vous prenez toujours le côté positif des choses mais pensez-vous que ce seront des Jeux équitables sportivement?

Non, absolument pas. Ces Jeux ne seront pas équitables du tout. Parce que regardez dans des pays comme la Suède, ils n’ont jamais eu de confinement. Sarah (Sjöström) s’est malheureusement cassé le bras, mais avant ça elle pouvait s’entraîner tous les jours. Katinka (Hosszu), en Hongrie, s’est entraînée tous les jours. Milak, Cseh, tous ces gars ont pu s’entraîner tous les jours. Bien sûr que ce n’est pas juste, mais la vie n’est pas juste. Je préfère avoir des Jeux qui ne seront pas forcément équitables que ne pas avoir de Jeux du tout. Parce qu’on travaille dur pour ça, et que c’est une plateforme pour se faire un nom. Pas pour moi mais pour la nouvelle génération. Il y a un tas de gamins qui bossent très dur. Je suis dans une position où j’ai déjà gagné les JO, je suis très chanceux d’avoir gagné quatre médailles olympiques. Certains n’ont pas eu cette opportunité et je suis désolé pour eux. Moi, je trace ma route. Il faudra venir me chercher je ne donnerais rien, jamais. Je ne serai pas le favori mais ça ne veut rien dire pour moi. Je nage pour essayer de gagner. Sur le papier, c’est peut-être impossible. Mais s’il me reste 1% de chances, pas de problème.

Vous avez tout gagné en carrière et vous avez vingt-neuf ans. Que représente encore la natation pour vous aujourd’hui?

Pour moi, maintenant, c’est l’héritage, la transmission. Si je peux gagner une autre médaille aux Jeux, ce serait formidable pour moi, peu importe quand d’ailleurs, peut-être à Paris! Mais mon but a toujours été d’être le meilleur que je pouvais le plus longtemps possible. Ça dépendra de mon corps, qui lâchera peut-être avant ma tête. Tous ces jeunes qui arrivent sont exceptionnels, ils sont bien plus rapides que moi au même âge et ça va devenir de plus en plus dur. Je vais peut-être me focaliser plus sur le 100 mètres papillon les prochaines années et aussi le 100 mètres nage libre. Je crois encore que je peux gagner. En petit bassin, je suis sûr que je suis encore un des meilleurs nageurs au monde. En grand bassin, il faut faire des petits changements et voir ce qu’il se passe. Mais on aura une autre chance. A Paris, je serai compétitif à 100%, je ne serai pas là juste pour prendre des photos. J’ai déjà été à la Tour Eiffel, je connais. SI je suis à Paris, c’est que je pourrai encore gagner.

"Manaudou, je suis sûr qu’il sera dans la course pour la médaille"

Que pouvez-vous nous dire sur Florent Manaudou, qui vous avait rejoint dans le groupe de James Gibson pour son retour?

C’est un gars incroyable. On s’entendait super bien, j’étais très heureux qu’il vienne s’entraîner avec nous. Je ne le connaissais pas personnellement et on est devenus vraiment bons de bons amis. C’est un mec marrant, on a passé pas mal de bon temps ensemble à jouer au billard, à FIFA, au poker… C’est un incroyable athlète. Il s’est arrêté trois ans, il revient et il nage à nouveau 21’’ au 50 mètres, c’est incroyable. Je pense qu’il peut être une vraie force sur qui on peut compter à Tokyo. Je ne sais pas exactement comment a été sa préparation. Avec le Covid, elle a aussi peut-être été difficile, donc ce n’est pas forcément facile pour lui, mais je suis sûr qu’il sera dans la course pour la médaille. Je pense qu’il peut gagner parce que c’est un grand talent, un gars super fort. Et j’espère qu’il va le faire. Je suis à fond derrière lui.

Avez-vous une anecdote sur lui que vous ne pouvez pas raconter?

(Rire.) On s’est bien marrés en Turquie, ça c’est sûr. Il y a eu quelques samedis soir tous les deux mais je ne peux pas en dire plus. Vous pourrez lui demander la prochaine fois que vous le voyez au sujet du poker. Je le battais à chaque fois et il n’était pas très content. C’était super de l’avoir avec nous. Un si grand champion, avec une telle personnalité, c’est important.

Julien Richard