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JO 2021: "Pour vous égaler, pour réaliser le rêve de toute une vie", lance Riner à Nomura

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En lice vendredi aux Jeux olympiques de Tokyo 2021, Teddy Riner a pour ambition d'égaler les trois sacres olympiques de la légende Tadahiro Nomura. En 2018, les deux hommes avaient échangé sur le judo et leur trace dans l'histoire.

En 2018, la télé japonaise Fuji TV est en visite à Paris pour un long reportage sur le judo français. Passage à l’INSEP, interview avec les champions français sur la réussite du judo tricolore et, bouquet final, rencontre entre Tadahiro Nomura, seul triple champion olympique de judo, et Teddy Riner dans l’école montée par le Guadeloupéen, School of Sports.

Le Français a toujours voué une grande admiration à la légende de l’université de Tenri. Lors d’un tournoi en Allemagne en 2007, Riner, balbutiant en anglais, avait tenté un rapprochement. Le Nippon n’avait rien compris. Nomura, devenu consultant, salue à chaque fois les atouts du Français, sa force mentale, physique et ses qualités techniques.

Au moment de cette rencontre filmée, Teddy Riner est dix fois champion du monde, double champion olympique et se repose. Il a déjà en tête l’objectif d’égaler, à Tokyo, les trois sacres olympiques de Nomura. Entre admiration mutuelle et blague, deux des plus grands champions de l’histoire vont se découvrir. Nomura lance l’interview, que vous propose de découvrir RMC Sport, avec: "Il ne faut pas arrêter tout de suite…"

Nomura: Depuis novembre 2017, vous n’avez participé à aucune compétition, quelle vie avez-vous menée? 

Riner (il rit): Pour moi, c’était important d’avoir cette coupure. Quand j’ai commencé le haut niveau, c’était en 2004. Le circuit senior dès 2007. J’avais besoin de couper après cet enchaînement, après ce dixième titre mondial. Faire un point, m’occuper de ma famille, régler quelques petits bobos, avant de repartir...

Nomura: Mais je vois sur votre compte Instagram que vous vous entraîniez quand même… 

Riner: Oui, c’était important. Et c’était le deal avec mes entraîneurs, qu’au moins une fois par jour, je continue un peu à m’entraîner. 

Nomura: Du judo ou juste du physique? 

Riner: Parfois de la préparation physique, parfois de la technique. Lorsque ça me démangeait, il y avait quelques randoris aussi. 

Nomura: Depuis dix ans, vous sentiez-vous fatigué? 

Riner: Oui et non. Je ressentais surtout l’envie de souffler, de profiter de ma famille. De faire un break. 

Nomura: En prenant du recul avec le judo et les compétitions, n’avez-vous pas peur de perdre des sensations? 

Riner: Non, je n’ai pas peur. J’aime le judo. Une chose a toujours été importante pour moi, c’est l’entraînement. Quand l’entraînement va, tout va. Et vous savez de quoi je parle parce que vous vous entraîniez comme un malade. 

Nomura (il rit): Pendant plus de deux ans, j’avais moi aussi pris du recul (entre fin 2000 et 2003)

Riner: Mais vous vous entraîniez encore! 

Nomura: C’était des vacances. Quand je suis revenu, j’ai enchaîné les défaites (Riner, après deux victoires à Montréal et Brasilia, a connu sa première défaite à Paris, en février 2020, face au Japonais Kokoro Kageura, après 154 victoires consécutives). Qu’avez-vous fait à Tengri (site de l’université de Tenri)

Riner: Je suis venu chercher le beau temps (rires). Non, j’étais venu pour une pré-reprise et ça m’a fait beaucoup de bien. Quand j’étais plus jeune, c’est là que j’ai fait mes premières gammes en Asie. Je me souviens que je vous voyais enchaîner les heures d’entraînement au bout du tapis et c’est vrai que, quand on est un jeune judoka et qu’on voit un champion s’entraîner autant, on sait ce qu’on doit faire pour devenir, nous aussi, un champion. Moi, je n’étais que cadet, j’ai voulu y revenir parce que la beauté de votre judo, ce que vous y mettiez pour devenir champion, a été une inspiration. Un petit jeune comme moi, même grand de taille, avait envie de devenir un beau champion comme vous. 

Nomura: Je garde beaucoup de photos de quand vous étiez jeune… 

Riner: Moi aussi. 

Nomura: Parce que je vous les ai envoyées… Quand vous participez à une compétition, qu’est-ce qui vous anime? La victoire? 

Riner: Bien sûr. J’ai toujours aimé gagner. Si je participe, c’est pour gagner. 

Nomura: Quel regard portez-vous sur les jeunes poids lourds, à l’image du Géorgien Guram Tushishvili (champion du monde en 2018)? 

Riner: C’est un super judoka. J’avais annoncé avant ces Mondiaux à Bakou que c’était certainement lui le prétendant au titre. Qu’il ait gagné là, ou qu’il gagne demain, c’est le jour J que ça se passe. Vous le savez comme moi, tu as beau être le plus fort, être le meilleur sur le circuit et sur toute la saison, si tu n’es pas là le jour J, c’est fini. 

Nomura: Quelle différence existe-t-il entre le judoka que vous étiez jeune et celui que vous êtes aujourd’hui? 

Riner: Il y a des moments bien précis dans ma carrière où, chaque fois, j’ai su évoluer, où mon judo a changé, où je me suis réinventé. Parce que mon judo, je le fais au feeling, à la sensation. Mes entraîneurs vont me dire de travailler mais, dès que je sens quelque chose dans le judo ou à l’entraînement, je vais le faire, si je vois quelque chose qui me plaît, je vais l’essayer. 

Nomura: Progressez-vous encore? 

Riner: Oui. C’est ce qui me fait continuer le judo. Je sens et je sais que je peux encore progresser, apprendre des choses. Le jour où je n’aurais plus rien à apprendre, ou que je serais lassé (il frappe des mains), j’arrête.  

Nomura: Quelle analyse faites-vous de la catégorie des poids lourds chez les Japonais? 

Riner: Si je peux me permettre, le vivier des lourds au Japon est énorme. Ce qui va être difficile, c’est de choisir le lourd qui pourra aller chercher le titre, ou la médaille. Si ça ne tient qu’à moi, je crains surtout Nomura, en lourd (rire général, mais on sait que le choix s’est porté sur Hisoyoshi Harasawa, battu par Riner en finale des Jeux à Rio). Ce qu’il manque à vos lourds aujourd’hui, ce peut être le mental. Surtout, il n’y a plus seulement les Japonais. Un coup c’est le Géorgien qui gagne, un coup le Japonais, un coup le Brésilien (au moment de l’interview, personne ne savait que le Tchèque Lukas Krpalek, champion olympique en -100kg en 2016, s’avancerait à Tokyo avec le statut de n°1 et le titre de champion du monde des +100kg). C’est devenu hétérogène, et ce n’est pas le fait des Japonais. Les lourds, c’est la catégorie reine, elle se réinvente et c’est comme ça. 

Nomura: Cela m’intéresse qu’en étant déjà au sommet, votre but est une troisième victoire olympique. Comment vous y prendre? 

Riner: Je vais tout faire. Tout pour changer si besoin, pour vous égaler, pour réaliser le rêve de toute une vie. D’autant plus que ces Jeux vont avoir lieu à Tokyo, la terre du judo. J’ai envie de réussir cette étape. Pour moi, parce que ça me tient à cœur d’aller chercher cette médaille au Japon, pour ne pas avoir de regret, parce que je pourrais arrêter. Je n’ai pas envie de me dire que c’est trop tard. Attention, si je perds, je perds. Mais je ne veux pas avoir de regret sur ma carrière. 

Nomura: Il ne faut pas penser à la défaite… 

Riner: Je veux gagner mais je sais qu’on peut perdre. Toujours.  

Nomura: Comment imaginez-vous votre émotion si vous gagnez au Japon, où le judo est né justement? 

Riner: Si jamais je gagne cette troisième médaille d’or, je ne sais pas ce que je vais faire, mais je vais le vivre pleinement. Réussir au Japon, dans mon sport, c’est un accomplissement. Comme si on combattait devant Jigoro Kano. Comme si c’était une médaille ultime. Pas seulement un titre olympique, c’est « THE » médaille. Comme pour le foot, une finale au Brésil, au Maracana.  

Nomura: Quel judo voulez-vous montrer à Tokyo? 

Riner (il hoquette): Je veux gagner à Tokyo. Je veux montrer mon judo. Un judo de combattant qui va me permettre de gagner cette médaille d’or. Et ne jamais oublier : si je dois gagner par un shido, je gagnerais par un shido. Ce qui compte c’est l’or olympique. Même si, bien sûr, j’aimerais gagner tous mes combats par ippon, avec la manière. 

Nomura: Je vais remettre une médaille d’or aux Jeux, et j’ai choisi la catégorie des lourds… 

Riner: Oh… Je fais comme si j’étais étonné, comme si je ne connaissais pas le palmarès de monsieur. Mais, c’est normal. On aurait pu aussi imaginer, par dérogation, avoir la photographie de l’inventeur du judo, Jigoro Kano.  

Nomura: Que représente-t-il pour vous? 

Riner: C’est un exemple pour notre sport, une belle attitude, de samouraï, un bel esprit de combattant. Et quand il attaque, ippon, ça reste le plus beau. 

Nomura: Shohei Ono a dit en interview que plus il devenait fort, plus son cœur était solitaire. Ressentez-vous la même chose? 

Riner: Je crois comprendre ce qu’il veut dire : plus on devient fort, plus on est champion, plus on est seul. Les gens ont du mal à nous comprendre. On est focus, concentré sur notre projet sportif et, en même temps, les gens changent autour de nous. De plus, on fait des envieux. Dans une salle d’entraînement, on passe et on fait comme si on ne les voyait pas. Ce n’est pas facile.  

Nomura: Quand vous ressentez ça, à qui en parlez-vous? 

Riner: En général, j’ai ma musique. Je reste dans ma bulle. Avec les années, une carapace se construit.  

Nomura: Je sais déjà que vous aimez les judokas japonais. Pourquoi les respectez-vous autant? 

Riner: Je ne sais pas, je trouve que le judo japonais, c’est gracieux, c’est l’élégance. Quand on est venu autant de fois que moi au Japon, qu’on a vu la culture, on a envie de la respecter. 

Nomura: Pourquoi, selon vous, le judo s’est-il enraciné chez vous? 

Riner: Le judo est un sport populaire en France, qui a un énorme volet éducatif. Pour les jeunes, pour la motricité. Apprendre à un jeune à combattre, à chuter, dans un cadre défini, ça a une grande importance. 

Nomura: Vous a-t-il changé? 

Riner: J’ai grandi mais cette envie de m’amuser, de prendre du plaisir, cette envie de combattre -j’adore ça, les randoris-, ça fait partie de moi. Je n’étais pas turbulent mais j’avais beaucoup d’énergie, c’est pour ça que j’ai pratiqué une dizaine de fois de sports. Vers l’âge de treize ans, je ne faisais plus que du foot et du judo, on m’a proposé de faire du haut niveau en judo, j’ai dit oui. J’aime gagner. Pour moi, l’une des qualités pour faire du haut niveau, c’est de regarder les maîtres. Et j’ai toujours regardé les maîtres.

M.Maury