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JO 2022: l'aventure hors du commun de Jean-Pierre Amat, entraîneur de biathlon... pour la Chine

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Champion olympique de tir à la carabine aux Jeux olympiques d'Atlanta en 1996, Jean-Pierre Amat fait désormais partie du staff de l'équipe de Chine de biathlon qu'il doit faire briller lors des Jeux olympiqes de Pékin.

Une longue doudoune blanche avec "China" floquée dans le dos, bonnet et capuche sur la tête et masque FFP2 sur le visage, Jean-Pierre Amat brave le vent et les températures polaires en ce début d’après-midi de lundi sur le pas de tir du site olympique de Zhangjiakou. Il est affiché 19 degrés, mais le ressenti est aux alentours de moins 30! S’il fallait se convaincre qu’il fait (vraiment) froid, il suffit d’observer les stalactites qui se sont formées sur ses sourcils.

Le champion olympique de tir à la carabine en 1996 à Atlanta et ancien entraîneur de l’équipe de France de biathlon a rejoint le staff d’entraîneurs de l’équipe de Chine de biathlon il y a maintenant trois ans en vue des Jeux olympiques de Pékin. Un staff cosmopolite avec notamment la légende norvégienne Ole Einar Bjoerndalen et son épouse l’ancienne championne Darya Domracheva. Une expérience "bousillée" par le Covid qui a forcé l’équipe de Chine à ne pas disputer, entre autre, la saison 2020-2021 de Coupe du monde.

Jean-Pierre Amat et ses stalactites sur les sourcils
Jean-Pierre Amat et ses stalactites sur les sourcils © RMC Sport

Jean-Pierre Amat a découvert un autre monde avec parfois des moyens illimités. Un pays qui veut ancrer la culture des sports d’hiver chez sa population. Une autre façon de voir l’entraînement avec des athlètes en stage depuis 24 mois. Il évoque les doutes de l’avenir du biathlon en Chine après les Jeux olympiques de Pékin (du 4 au 20 février). Il décrypte également ce pas de tir qu’aucun biathlète n’a reconnu avant les JO et où l’on annonce énormément de vent, l’ennemi numéro 1 des participants.

Pouvez-vous nous parler de ce site que les biathlètes vont découvrir pour la première fois sur ces Jeux?

Pour y avoir passé trois mois l’an dernier, il y a deux mots qui me viennent pour évoquer ce site: venté et froid (rire). Parce que on a eu l’hiver dernier des conditions vraiment très difficiles… Voir dantesques. A priori d’après les prévisions ce sera un petit peu moins froid et moins venté pendant les Jeux donc ça devrait aller. Sinon c’est un site très ouvert avec une belle vue sur les pistes. J’espère que ça donnera de bons Jeux. C’est un site qui est sorti de nulle part. La petite vallée était déserte et tout est sorti de terre, le tremplin (à côté du site de biathlon) aussi. La neige, ce n’était pas une culture ici, ça le devient. Je ne sais pas ce que ces installations vont devenir. A priori ce sera privatisé pour devenir une animation grand public. L’intérêt premier c’est d’installer les sports d’hiver dans la culture chinoise.

Quand vous dites dantesque, que cela signifie-t-il?

Le pire que l’on a connu ici c’était moins 34 degrés avec 70 km/h de vent. Dans ces conditions, on reste à la maison! On s’était amusé à sortir pour voir les sensations que ça pouvait procurer. On n’a pas été déçus et on est vite rentrés!

Le vent sera un élément déterminant pour les courses aux JO, comment s’y adapte-t-on?

S'il y a un moyen de s’y adapter, je ne le connais pas. On peut s’entraîner à ça mais il faut surtout ne pas en avoir peur. Les conditions seront les mêmes pour tout le monde. La particularité de ce stade c’est aussi d’être relativement ouvert et il n’y a que très peu de différence de vent entre les différentes cibles, que l’on soit sur le première ou sur la 30. Tout le monde sera servi de la même façon et tout le monde sera éventuellement dans la même galère. Au minimum c’est assez juste. Ça risque d’être difficile mais tout le monde sera sur le même pied d’égalité et c’est bien pour des Jeux.

Combien de temps avez-vous passé sur ce site?

J’y ai passé trois mois. Mais on n’a pas passé trois mois à tirer car pour différentes raisons on n’a pas eu les munitions ni le droit de tirer tout de suite car les munitions étaient coincées quelque part. Du coup on a passé deux mois à tirer ici entre décembre 2020 et février 2021 .

Quelle est cette histoire de munitions?

On est arrivés le 5 décembre 2020 ici sur le site et on a dû attendre 12 jours pour récupérer les carabines. Parce qu’on venait d’une autre province, et au passage de la frontière interne les armes ont été bloquées. Il fallait une signature d’une autorisation d’un policier local d’après ce que j’ai compris. Donc on a eu les carabines 12 jours après notre arrivée, mais ils avaient oublié qu’il nous fallait des munitions! Il fallait aussi un petit papier. Et les munitions on les a attendues 21 jours. Donc en terme de frustration on avait ce qu’il faut! On est sur le site olympique, on n’a que ça à faire, et on ne peut pas tirer parce qu’on n’a pas les cartouches… C’était en décembre 2020 pendant qu’on regardait les autres équipes batailler sur le circuit de la coupe du monde en Europe… Nous on faisait semblant de tirer ici.

Les autorités empêchent les athlètes de participer à la Coupe du monde

Pour quelle raison l’équipe chinoise n’a pas disputé la saison 2020-2021 de coupe du monde?

C’était une décision du ministère des sports ou peut-être même de la santé. C’était une prévention anti-covid qui avait la priorité sur tout. La situation en Europe n’était pas reluisante et aucun athlète ou équipe chinoise n’a été autorisé à se déplacer à l’étranger pour participer aux courses. Tout le monde restait à la maison pour s’entraîner et point barre.

Que retenez-vous de cette expérience en Chine?

Ça fera trois ans au printemps et ce que je retiens c’est que les athlètes sont des gens adorables. Mais j’aurais bien aimé vivre cette expérience sans le covid car ça a tout foutu en l’air, on n’a pas eu le droit de faire la saison dernière, on est restés chez nous. Et ce n’est pas comme ça que l’on peut développer des athlètes, ce n’est pas comme ça qu’on engrange de l’expérience. Donc en fait au lieu de trois ans, je dirais que l’on a vraiment eu un an et demi qui ont servi à apprendre. Et ce n’est pas vraiment suffisant donc c’est un peu frustrant.

Quel était le discours et l’ambition quand les Chinois sont venus vous chercher?

C’était de faire le mieux possible. Je ne connaissais pas leur niveau ni leurs habitudes, je ne connaissais rien d’eux donc je n’avais pas de préjugés. Le niveau en tir peut être bien mais le problème c’est qu’il faut l’exprimer en course et encore une fois ça c’est notre gros déficit. Par exemple il y a 15 jours au lieu de participer à l’étape de coupe du monde à Antholz en Italie on a dû rentrer en Chine plus tôt que prévu. Or les formats de course d’Antholz sont ceux qui pouvaient nous réussir le mieux et on nous a privé de cette participation-là, c’est encore de la frustration accumulée. Il fallait rentrer pour des raisons bizarres mais qui étaient peut être sanitaires car les vaccins chinois ne sont pas reconnus en Europe et on aurait eu du mal à rester à Antholz… Mais bon on y a fait un stage entre Noël et le jour de l’An donc il y avait certainement moyen de faire coïncider tout ça. Ça reste frustrant. Je ne sais pas quand se terminera mon expérience, mais le maitre mot c’est frustration.

Quelles sont les ambitions des Chinois sur ces Jeux en biathlon?

On n’a pas d’objectif chiffré. Ce qu’on va essayer de faire c’est d’obtenir le meilleur de chaque athlète sur chaque course. On sait qu’un top 8 sur un relais ou une course individuelle serait un résultat énorme. On y croit, ça peut le faire sur le relais des filles, l’individuel des filles, le sprint et poursuite garçon… Pourquoi pas. On va continuer à s’entraîner et croiser les doigts aussi.

Comment cela se passe de travailler pour une équipe chinoise?

C’est intéressant, parfois on a des moyens fabuleux et parfois c’est le contraire et on butte sur des détails sur lesquels on ne devrait pas buter. Le vrai problème c’est la langue. On travaille en anglais qui est traduit en chinois et re traduit en anglais. Donc ça ne permet pas de rentrer dans les nuances. On reste sur les grandes lignes mais des fois les grandes lignes suffisent pour faire des grandes choses. Ce n’est quand même pas tout à fait le même boulot que dans sa langue natale. Ce qui est très très différent c’est le mode d’entraînement imposé par la fédération. Ça fait deux ans et demi qu’ils sont en stage! C’est éreintant, épuisant… Mais leur crainte c’était de les laisser rentrer chez eux et qu’ils soient infectés par le covid. Donc le covid encore une fois a mis un peu le brin dans notre préparation. Deux ans et demi de stage, il n’y a personne qui peut surmonter ça, c’est au-delà des capacités humaines. Et ce n’est pas rentable au bout du compte. Mais on n’a pas eu le choix de toute façon et on essaye de faire comme on peut.

Comment vous avez senti la montée en puissance autour de l’évènement des Jeux olympiques, au-delà du biathlon, dans le pays?

L’année dernière, sur ce site on a eu la visite du président Xi Jinping qui est venu faire un discours. Il était la terrasse juste derrière (il montre la tribune officielle juste derrière le pas de tir). Donc la Chine est investie sur les Jeux et va faire un beau travail. Ce qui est encore un peu frustrant une nouvelle fois - mais c’est lié au covid - c’est toutes les dispositions que l’on est obligés de respecter. Ça gâche un peu le plaisir. Mais je pense qu’il y a un véritable élan et ça correspond surtout à l’organisation de ces jeux à un but économique. La Chine va développer les sports d’hiver en interne au minimum. C’est l’or blanc qui débarque en Chine comme ça a été le cas chez nous dans les années 60. C’est une politique qui est bien affichée.

"Je n’ai jamais vu des installations pareilles"

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans cette aventure?

Le plus surprenant c’est les moyens mis à disposition des sports d’hiver. Au milieu de Pékin il y a le centre national d’entraînement des sports d’hiver. Une sorte d’INSEP des sports d’hiver. Je n’ai jamais vu des installations pareilles. Je ne sais pas combien il y a de sauteurs en Chine mais il ne doit pas y en avoir beaucoup… Ils ont leur propre soufflerie. Il n’y en a pas une en France. Eux ils l’ont a disposition. Ce sont des moyens phénoménaux. Et ce qui est très surprenant a contrario c’est qu’il y a très très peu d’entraîneurs chinois qui soient formés au biathlon, aptes à entraîner une équipe. Je ne pense pas en avoir croisé un, aucun ne nous a accompagné pour apprendre non plus. Ce qu’on a du mal à situer c’est l’avenir du biathlon en Chine. Je n’ai pas l’impression que cette discipline-là sera très développée et poussée…

Ça ressemble à un "one shot"?

Ça ressemble beaucoup à ça oui…

Comment s’est passée la collaboration avec Ole Einar Bjorndalen?

Très très bien, aucun problème. Il y a eu des jours d’euphorie, des jours de fatigue, mais on ne baissera pas les bras jusqu’à la fin c’est garanti. Il y a vraiment une très bonne entente dans l’équipe de coachs. Ça a été un plaisir et un honneur de travailler à côté de cet homme-là. Il est tout à fait normal dans son côté extrême. Il ne laisse rien passer et va au bout des choses. C’est un sacré bon entraîneur qui lui non plus n’aura pas pu exprimer tout son talent en raison de la situation sanitaire.

Julien Richard