JO 2022: six questions pour comprendre la retentissante affaire de dopage Valieva

· Que s'est-il passé ?
Le début de l'affaire est nébuleux. Lundi 7 février, la sélection russe (sous bannière neutre) remporte l'épreuve par équipes de patinage artistique devant les États-Unis et le Japon. La cérémonie des médailles est prévue le lendemain, mais elle est finalement reportée pour des raisons "juridiques" par le Comité international olympique (CIO). Après deux jours de flottement, l'annonce officielle tombe: la patineuse russe Kamila Valieva a été testée positive à une substance interdite.
Le test remonte au 25 décembre. Il a été effectué lors des championnats de Russie, à Saint-Pétersbourg. Le prélèvement a donc été effectué par l'agence antidopage russe (Rusada), qui affirme n'avoir reçu les résultats que le mardi 8 février.
Au lendemain de son titre par équipes, Kamila Valieva se retrouve donc suspendue. Mais le 9 février, elle fait appel et obtient la levée de sa suspension. Ce qui lui permet de poursuivre les Jeux (elle est inscrite au programme court femmes du 15 février et au programme libre du 17). Les raisons de cette décision n'ont pas été apportées.
La levée de la suspension est contestée par le Comité international olympique et la fédération internationale de patinage (ISU). Un recours immédiat a été déposé devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) pour obtenir une décision avant le 15 février.
· Qui est Kamila Valieva ?
Née à Kazan le 26 avril 2006, Kamila Valieva a 15 ans. Pour son premier hiver parmi les seniors, cette championne du monde juniors est invaincue. Issue de l'usine à championnes moscovite d'Eteri Tutberidze, qui a entraîné trois médaillées olympiques, l'adolescente est archifavorite à Pékin.
Championne de Russie, championne d'Europe et vainqueure de deux Grand Prix, Kamila Valieva s'est emparée des trois records du monde de points depuis le début de la saison: programmes court (90,45), libre (185,29) et score total (272,71). Puis en cette première semaine des JO, elle a signé les premiers quadruples sauts féminins de l'histoire olympique: un quadruple Salchow d'abord, puis un quadruple boucle piquée en combinaison avec un triple boucle piquée. Sa troisième tentative s'est soldée par une chute.
"Je crois que quand j'avais trois ans, j'avais dit à ma mère que je voulais devenir championne olympique. Ce que j'ai réussi maintenant, Dieu merci. Je vais continuer à travailler, et je crois que mon rêve va se réaliser de nouveau", s'est-elle remémorée en début de semaine, avant le début de la controverse.
· Quel est le produit évoqué ?
Kamila Valieva a été testée positive à la trimétazidine, utilisée pour soulager les angines de poitrine (déséquilibre entre les apports et les besoins du cœur en oxygène) et d'autres problèmes cardiaques. Interdite par l'Agence mondiale antidopage (AMA) depuis 2014, cette substance commercialisée en France sous le nom de Vastarel depuis 1978.
Pour l'agence de presse Reuters, un médecin toxicologue de Washington, le Dr Kelly Johnson-Arbor, a livré son analyse sur ce produit, qui rappelle le meldonium: "Si vous pratiquez un sport à haut niveau d'effort, où vous utilisez beaucoup d'énergie et soumettez votre cœur à un stress important, cela pourrait certainement aider votre cœur à mieux fonctionner en théorie".
Mais la réalité de l'effet dopant est mise en doute par certains scientifiques. Elle avait été contestée sans succès l'an dernier devant la justice sportive par le lutteur français Zelimkhan Khadjiev. "Les nombreux effets secondaires de type parkinsoniens ne semblent pas être de nature à favoriser un usage chez les sportifs", soulignait en 2020 le pharmacien et toxicologue Pascal Kintz dans la revue Toxicologie Analytique et Clinique. Il évoquait notamment des risques de "troubles de la marche", "de chute" et "d'hallucinations".
· Que risque-t-elle ?
En raison de son jeune âge, Kamila Valieva peut prétendre à une sanction moins lourde. Cela va d'une réprimande à deux ans de suspension, contre quatre habituellement, selon le règlement de l'Agence mondiale antidopage.
Si le Tribunal arbitral du sport désavoue l'instance antidopage russe, la patineuse sera de nouveau suspendue. Elle ne pourra donc pas prendre part à la suite des Jeux. Les résultats obtenus depuis son contrôle seront rétroactivement annulés.
Mais dans ce cas, la sélection russe pourrait malgré tout conserver la médaille d'or du 7 février. "Dans cette situation non prévue par les textes, je ne vois pas comment l'équipe pourrait être privée de sa médaille d'or", estime Pierre-Olivier Rocchi, avocat à Paris et spécialiste de l'antidopage. À la différence du règlement de l'athlétisme, qui sanctionne un relais entier si un coureur a été précédemment testé positif, celui de la fédération internationale de patinage ne prévoit de disqualification collective qu'en cas de contrôle pendant la compétition.
· Quelles sont les réactions?
Le Kremlin a dit vendredi "soutenir entièrement" la jeune patineuse. "Nous appelons tout le monde à la soutenir!", a déclaré à la presse le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov. "Nous disons à Kamila: 'Ne cache pas ton visage! Tu es Russe (...), participe aux compétitions et gagne!'", a-t-il ajouté. "Nous sommes convaincus qu'il s'agit d'une sorte de malentendu", a-t-il aussi dit.
Stanislav Pozdnyakov, président du Comité olympique russe, a exprimé quant à lui des "interrogations sérieuses" quant aux conditions du contrôle antidopage positif. Il soupçonne que le prélèvement à analyser ait été "retenu" jusqu'au passage de l'équipe russe aux JO: "La norme internationale de traitement de l'échantillon A par le laboratoire de l'AMA est de 20 jours après la livraison de l'échantillon. Étrange que l'échantillon ait mis près d'un mois pour aller de Saint-Pétersbourg à Stockholm (où se trouve le laboratoire, ndlr)".
· Y a-t-il un lien avec le scandale de dopage d'État en Russie ?
La Russie a été suspendue fin 2020 de toute compétition internationale par le Tribunal arbitral du sport pour deux ans, mais ses sportifs peuvent concourir sous pavillon neutre s'ils n'ont pas été personnellement sanctionnés pour dopage.
La trimétazidine, la substance retrouvée dans l'organisme de Kamila Valieva, est sans rapport avec le cocktail de stéroïdes utilisé par les Russes lors du rocambolesque scandale des JO 2014 de Sotchi, ou avec l'EPO impliquée dans les disciplines d'endurance.
Si l'affaire Valieva s'avère n'être qu'une entorse individuelle aux règles antidopage, elle n'aura pas de conséquences supplémentaires pour le sport russe. Mais en matière d'image, l'effet est d'ores et déjà dévastateur. Car la sanction prise en 2020 visait directement l'agence antidopage russe pour avoir d'abord orchestré et dissimulé le dopage institutionnalisé, puis pour avoir manipulé des données informatiques réclamées par l'Agence mondiale antidopage.