"L'exigence, ce n'est pas de la maltraitance": conflit ouvert entre la gymnaste algérienne Kaylia Nemour et son ancien entraîneur

"Une campagne de dénigrement dirigée contre nous": c'est ainsi que Marc Chirilcenco qualifie la tourmente dans laquelle lui et son épouse Gina se trouvent depuis quelques jours. Le technicien de 58 ans a pris la parole dans les colonnes de Ouest-France pour répondre aux accusations de son ancienne protégée Kaylia Nemour. La jeune gymnaste, ancien grand espoir français qui représente désormais l'Algérie, avait confié avoir été victime de maltraitance, d'humiliation et d'emprise au sein de son club de toujours d'Avoine-Beaumont, qu'elle a quitté en mai.
"Pour moi, toute cette affaire est autour d’un problème de ressenti. (...) Non, l’exigence, ce n’est pas de la maltraitance", fait valoir Marc Chirilcenco dans un entretien publié jeudi. "Il est vrai que j’élève le ton à certains moments de l’entraînement pour remobiliser l’enfant ou pour lui porter attention, pour qu’il élève son niveau de veille et d’attention, mais ce n’est pas de la maltraitance".
"Je ne veux plus cautionner certaines méthodes"
Vice-championne du monde à Anvers en 2023 aux barres asymétriques et championne olympique aux barres asymétriques aux Jeux de Paris 2024, Kaylia Nemour s'est exprimée pour la première fois sur son départ du club d'Indre-et-Loire il y a quelques jours.
"On était tellement tous sous emprise... Les filles, les parents. Quand tu es là-bas, tu ne sais pas, tu ne vois pas... Et comme on n'a vécu que ça, toute notre vie, ça nous semble normal. La phrase préférée de Marc et Gina, c'est: 'la gym de haut niveau, c'est comme ça.' Mais je sais maintenant que ce n'est pas le cas, qu'on peut réussir dans un environnement plus serein", a-t-elle révélé dans une interview à L'Equipe. "Je n'oublierai jamais d'où je viens, ni ce que j'ai vécu. Je ne renie rien mais je ne veux plus cautionner certaines méthodes."
C'est l'été dernier, une fois le titre olympique en poche, que la jeune prodige a "commencé à ouvrir les yeux, à comprendre que rien n'était normal. Les cris quand on ne réussit pas, se faire virer quand on ne réussit pas... Je n'en pouvais plus. (...) J'ai détesté, mais j'avais un objectif qui m'a permis de tenir et d'accepter. Mais je pense qu'il y a des limites à l'exigence".
Un bras de fer entre le club et la Fédération
Née en France, la gymnaste de 18 ans s'est toujours entraînée dans l'Hexagone et a d'abord concourru sous le drapeau tricolore. Mais en 2022, elle a choisi de représenter l'Algérie, le pays de son père, pour pouvoir reprendre l'entraînement. En cause: une guerre ouverte entre la Fédération française de gymnastique (FFG) et son désormais ancien club d'Avoine-Beaumont.
Opérée des deux genoux à l'été 2021 en raison d'une ostéochondrite - une anomalie au niveau des zones de croissance des os et cartilages -, Kaylia Nemour avait été autorisée par son chirurgien à reprendre la compétition en mars 2022. Mais la FFG avait retardé sa reprise pour protéger son intégrité physique. Le club, alors présidé par sa mère, avait déposé une plainte auprès du conseil de l’ordre contre Pierre Billard, le médecin fédéral qui avait mis son véto.
Dans le même temps, la Fédération avait aussi mis en place fin 2021 un projet visant à regrouper toutes les meilleures gymnastes françaises dans les pôles d’entraînement de l’Insep à Paris ou à Saint-Etienne, en vue des Jeux olympiques 2024. Mais toutes les athlètes d'Avoine-Beaumont, à une exception, avaient décliné cette proposition, souhaitant rester dans leur club de toujours.
"Je ne conçois pas de faire du haut niveau à moitié"
C'est finalement en mai 2023 que l'imbroglio prend fin avec l'intervention d'Amélie Oudéa-Castera, alors ministre des Sports, qui acte son changement de nationalité. Ce qui ne met pas pour autant fin au conflit entre la FFG et le club, avec des plaintes et des signalements des deux côtés - une enquête judiciaire est d'ailleurs toujours en cours.
Depuis les accusations de Kaylia Nemour, les langues se délient avec des témoignages d'autres gymnastes à l'encontre du couple d'entraîneurs. La Fédération "a sauté sur l'occasion pour sortir un communiqué qui est assez dur", et a suspendu Gina Chirilcenco à titre conservatoire dans une logique de précaution.
"Il y a des instances qui font leur travail. Certaines ont déjà montré que l’on était ni violents, ni humiliants auprès des enfants (lui et sa femme ont été blanchis en 2022 par deux commissions disciplinaires et une commission administrative en 2023), qu’on était peut-être un petit peu durs, qu’on était exigeants, mais en aucun cas humiliants", rappelle Marc Chirilcenco. Et de conclure: "Malheureusement, si la société, les enquêteurs, le juge d’instruction, estiment qu’élever la voix sur les enfants est considéré comme du harcèlement ou de l’humiliation, malheureusement, j’accepterai le verdict, parce que moi, je ne conçois pas de faire du haut niveau à moitié."