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Championnats d'Europe de judo: Daikii Bouba ou l'éloge de la patience

Daikii Bouba

Daikii Bouba - Icon

Le Français de 29 ans a réalisé une journée de rêve ce mercredi à Podgorica (Monténégro) pour remporter le titre européen des moins de 66 kilos. La récompense d’une maturation tardive pour ce judoka talentueux.

Définition de Daikii, dans un dialecte du nord du Cameroun : "Sois modeste. C'est quelque chose qu'on dit à quelqu'un qui bombe un peu trop le torse, qui est un peu trop arrogant." Daikii Bouba en avait une interprétation littérale de son prénom jusqu’à il y a peu avant de se forger sa propre signification, celle d’avancer sans être arrogant et de toujours apprendre.

"Il mérite ce titre"

Ce mercredi, il peut bomber le torse après une journée dont rêve tout judoka. Que des boîtes à se regarder en boucle sur des beaux mouvements de judo. Bouba est resté un étudiant de son art martial et c’est peut-être là la clé de son succès en terre monténégrine. Une construction un peu plus tardive que les parcours habituels du judo français dont les fruits tombent enfin. Ce fan de science-fiction a emmené tous ses adversaires du jour dans son univers parallèle.

Ses erreurs, il les a patiemment corrigées, ne s’épargnant jamais. La dernière, peut-être cruciale dans son titre : se livrer à un dur échauffement avant d’entamer le dernier combat de la journée. Il a pourtant longtemps fait à sa sauce alors que ses entraîneurs lui demander de faire cette adaptation.

Troisième ce mercredi après un début de matinée où il a manqué de sensations, Walide Khyar n’avait que de gentils mots à la bouche pour son coéquipier. Il l’a félicité dans une longue étreinte pleine de sourires juste avant de monter sur le podium : "Je suis content pour lui. J’ai grandi avec lui car on est passé par les mêmes structures. C’était son jour et pas le mien, il mérite ce titre." Les deux moins de 66 kilos se connaissent depuis leurs années minimes.

"Il a de la dynamite dans les mains"

Dans la victoire du jour de Bouba ressurgissent les images du sacre continental de Khyar en 2016 à Kazan (Russie), encore junior, là où Bouba a déjà 29 ans. A chaque fois une démonstration technique, dans des styles différents, et ce même plaisir d’être sur le tatami à piéger l’adversaire. Bouba, c’est un judo de stratège, armé d’un bâton pour punir, celui d’un joueur d’échecs, de fausses pistes pour vous attirer là où il peut vous sabrer avec son sasae tsuri komi-ashi létal : "Maintenant il provoque les pièges", analyse Franck Chambily, son coach du jour. "Il a de la dynamite dans les mains mais il faut qu’il s’en serve, s’il est prévisible c’est moins efficace."

En finale, il n’a pas tenté son mouvement de blocage sur la cheville se sachant attendu par le Russe Murad Chopanov, garçon qui l’avait dominé en finale au tournoi d’Abou Dhabi. Bouba a d’abord marqué sur un fauchage intérieur et en prolongation il a fait réagir le combattant à la barbe taillée en pointe pour le jeter sur le dos en ko uchi gari (petit fauchage intérieur). "J’ai pris du plaisir sur la chaise dans cette finale", retient Chambily. "C’était une journée sans faute." On le comprend. Ces 4 minutes et quelques ont été un vrai condensé de judo où le Français est passé par une phase de doute avant de repartir sur des choses simples et de sentir que Chopanov doutait aussi. Jusqu’à ce caramel de fin. Le dernier plaisir d’une très belle journée où tous ses combats se sont terminés par ippon.

Le Lituanien Klokov, l’Autrichien Auer puis l’Italien Manzi ont été aplatis par son sasae. En demi-finale, Bouba retrouvait le Finlandais Saha qui l’avait privé d’un beau parcours aux derniers championnats du monde. Une défaite douloureuse qu’il a encore "là" pointe-t-il en désignant son corps. Cette fois-ci, pas de match, affaire pliée en 29 secondes sur son arme fatale : "En fait, j'avais un espèce de mépris. Je n'arrivais pas à voir en face qu'il était fort", avoue Bouba, auteur d’un travail sur ses émotions ,sa gestion des temps morts pour grandir. "A chaque fois que je fais une compétition, j'essaie d'être le plus objectif possible pour reconnaître mes erreurs. C'est dur. Maintenant je fais un peu plus de travail de respiration notamment en salle d’échauffement car mon esprit à tendance à s’échapper. Je peux penser à ce que je vais manger le soir. Il y a des parasites alors j’ai fait de la préparation mentale pour lutter contre ça."

"Je me fixe aucune limite"

Ce médaillé national cadet puis junior a connu une éclipse en arrivant chez les seniors. Il se blesse souvent, se fait opérer des épaules et n’encaisse pas la charge de travail recommandé d’où de nouvelles blessures. Il prend ses distances avec l’Insep et trouve les pistes du renouveau dans son cocon de l’AJA Paris XX auprès de l’ancien international Alexandre Borderieux. Il signe d’ailleurs la première médaille internationale sénior de l’histoire de sa structure. En 2022, il se relance à la faveur de sa seule breloque aux championnats de France senior (1er). Il vit maintenant une carrière en accéléré depuis ses 25 ans. Il creuse son sillon dans les compétitions internationales avec une belle brochette de podium principalement des médailles d’argent.

Il l’avouait avant de s’envoler pour Podgorica, ces pauses entre les demi-finales et le combat pour l’or, il n’avait pas le mode d’emploi. Il se retrouvait à trop ouvrir le jeu et à se faire punir. L’erreur a été corrigée au meilleur des moments. Selon toute vraisemblance, le judoka de 29 ans va être appelé pour combattre aux Mondiaux à la mi-juin à Budapest : "C'est un plaisir incroyable de travailler des choses à l'entraînement et de voir que ça fonctionne et qu'il y a du progrès en compétition. Je vais jusqu'au max. Je me fixe aucune limite. Je suis impatient de voir ce que je me réserve. Jusqu'où je peux aller, en termes physiques, en termes techniques, et en termes mentaux", sourit-il. Daikii Bouba peut maintenant avancer le torse bombé.

Morgan Maury