Mondiaux de judo: Kenny Livèze, le colosse

En juillet dernier, sur un coin de table de la cafétéria de l’hôtel des Bleus à Budapest, Christophe Gagliano, patron des judokas masculins, avait glissé que si un junior avait l’idée de briller aux Mondiaux de sa catégorie d’âge à Guayaquil en Equateur, il pourrait récupérer un ticket pour Tashkent. En plantant le Japonais Nakano en même pas trente secondes sur un renversement (yoko-guruma/sumi-gaeshi) en finale, Kenny Livèze a immédiatement rejoint la troupe bleue pour l'Ouzbékistan et ses potes de junior, Romain Valadier-Picard et Joan-Benjamin Gaba : "L’objectif c’est d’être aux JO tous ensemble", clame le Guadeloupéen, arrivé en métropole il y a cinq ans.
Pourtant, la carrière de Livèze a failli s’arrêter il y a moins d’un an. Le 13 novembre 2021, lors des championnats de France par équipes, avec son club de l’AC Boulogne-Billancourt, il s’écroule à l’hôtel. Le diagnostic, ce sont trois lettres qui font plus mal qu’un ippon : AVC, accident vasculaire cérébral. Il se réveille à l’hôpital, incapable de parler, presque immobile, lui, force de la nature, solaire, souriant en toutes circonstances : "Je me disais 'ça peut pas s’arrêter là'", glisse-t-il.
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"Les médecins étaient très réticents à me laisser recombattre"
Un caillot de sang logé dans la partie gauche arrière de son cerveau obstrue les mécanismes du langage. Pendant un peu plus de deux semaines, les mots ont du mal à sortir. "Avec l’aide d’une orthophoniste et d’un kiné j’ai pu remarcher, parler comme je vous parle. J’ai beaucoup travaillé. Au bout d’un mois j’étais bien." Champion du monde cadet en 2019, Livèze est stoppé en plein élan. D’une carrière prometteuse, il se retrouve sur le bord du tatami à regarder ses amis comme Valadier-Picard aller chercher les premières belles médailles en senior.
Le corps médical est alors hésitant à renvoyer au combat le jeune garçon. Que va-t-il se passer en cas de nouveau choc ? "Les médecins étaient très réticents à me laisser recombattre, détaille-t-il. Si je prenais une commotion avec le traitement que je prenais il y avait un risque de coagulation. Je suis passé par plein de phases, espoir, désespoir, j’étais perdu. Heureusement que j’avais ma famille, mon club. Je suis resté dans une ambiance conviviale ce qui m’a permis de tenir bon." En juin, il obtient le feu vert tant attendu. Direction la Bosnie-Herzégovine et la ville de Banja Luka pour un tournoi junior. Livèze règle ses trois combats et entend la Marseillaise. Trois semaines plus tard, rebelote au relevé tournoi de Paks (Hongrie). Le 13 août, le titre de champion du monde junior et le lendemain, la médaille de bronze avec l’équipe mixte.
Sur l’épreuve individuelle, il a fait admirer son physique hors-norme. Notamment dans le travail de jambes : "Il a réussi à s’en sortir après son accident, explique Romain Valadier-Picard, qui était tout proche au moment de l’accident. Qu’il ait réussi à retrouver son meilleur niveau c’est fantastique, son bonheur fait plaisir à voir." Loué pour sa discrétion et sa gentillesse, Livèze taquine aussi le saxophone dans sa chambre à l’Insep.
A Tashkent, il va tout simplement disputer sa première compétition senior internationale. Sans petit bain avant de plonger chez les requins. Le tirage au sort lui a épargné un mammouth au premier tour. Ce sera le Syrien Adnan Khkan, membre de l’équipe des réfugiés montée par la fédération internationale de judo. Si ça passe, ce sera le Turc Sismanlar, 22 ans et jamais médaillé sur le grand circuit. "J’y vais pour prouver que j’ai ma place au niveau international, j’y vais pour voir que je suis au niveau", annonce-t-il. Et d'ajouter : "J’y vais pour la médaille, pour gagner". Sur sa ceinture, les trois lettres TEP. Tout est possible.