Natation: le nouveau rêve bleu d'Anastasiia Kirpichnikova, la nageuse russe passée sous pavillon français

Naturalisée française le 21 avril dernier à la veille des sélections tricolores pour les championnats du monde d'eau libre où elle a décroché une place sur le 5 et le 10km, la nageuse de Philippe Lucas, Anastasiia Kirpichnikova, espère enchaîner avec une qualification pour les Mondiaux de Fukuoka en bassin également. Un changement de nationalité opéré après les sanctions contre les athlètes russes et biélorusses après l'invasion de l'Ukraine. Il y a quelques jours la fédération française a également obtenu l'autorisation pour sa nouvelle nageuse de nager pour la France cet été aux Mondiaux. A 22 ans, c'est la fin de deux années de doutes. Un choix fort et assumé pour la jeune nageuse installée et liée à la France où elle s'entraîne depuis quatre ans et demi.
Sous le soleil de Martigues, Anastasiia Kirpichnikova enchaîne les longueurs avec un bonnet bleu frappé d'un drapeau Français. "J'ai l'habitude de nager avec le bonnet français, coupe la nageuse de 22 ans dans un sourire et dans un français qui a largement progressé. Mais avant je nageais avec un blanc et je l'ai perdu ! Alors maintenant c'est un bleu..."
Le 21 avril dernier, son décret de naturalisation française a été publié au journal officiel, à quelques heures du départ des sélections pour les Mondiaux d'eau libre qui se déroulaient en Martinique: "C'était stressant parce que j'attendais ma naturalisation. J'ai beaucoup pleuré parce que je ne savais pas si je pourrai me qualifier ou pas. Et deux jours avant la course j'ai reçu la confirmation que j'étais Française. La fin du stress."
Le 31 mai dernier elle est allée chercher son nouveau passeport à Aix-en-Provence. La fin de deux années d'incertitude. Un vrai soulagement. "Ça a été très dur, difficile, souffle Kirpichnikova. Je n'avais pas la motivation. Philippe a toujours été avec moi et m'a beaucoup aidé. Enzo mon copain également. Je pleurais, je ne voulais pas nager... J'ai fait le choix de changer quelque chose dans ma vie parce qu'une carrière ce n'est pas long. J'ai cette chance (de pouvoir prendre la nationalité française) et je prends cette chance."
Deux années où elle passait son temps à s'entraîner, et voir ses partir ses coéquipiers sur les compétitions internationales, sans elle. "Ce qu'elle a vécu c'est compliqué, abonde Philippe Lucas son entraîneur. Elle était sur une pente ascendante car elle restait sur une compétition où elle fait trois fois championne d'Europe en petit bassin et vice-championne du monde en petit bassin et d'un seul coup elle ne peut plus nager. Plus de compétitions, pas de championnats du monde à Budapest, pas de championnats d'Europe, pas de monde petit bassin. Donc pour elle ça a été très compliqué. Et surtout elle n'avait plus d'objectifs... A partir de là elle a été courageuse, elle s'est entraînée comme les autres, elle n'a pas arrêté de s'entraîner en faisant les séances complètes, le kilométrage qu'il fallait."
"Un choix compliqué, mais pas dur. La France est mon deuxième pays"
Lucas qui n'a "jamais poussé (sa nageuse) à prendre cette décision. C'est très personnel. C'est elle-même qui a décidé de prendre la nationalité française. C'est quand même une jeune fille qui vit depuis plus de quatre ans en France, quatre ans qu'elle est avec son petit ami français. Elle parle français et s'est adaptée à la vie Française."
Un choix qui s'est donc imposé à elle pour pouvoir nager à nouveau alors qu'à 22 ans, les plus belles années de sa carrière se profilaient. " Oui ça a un peu été compliqué de faire ce choix, c'est normal, avoue Anastasiia Kirpichnikova. Mais je veux nager les compétitions internationales, c'est le plus important pour moi. (Un papillon se pose alors sur le micro... "C'est pour la chance ça!" rigole-t-elle) Et je veux le faire pour la France. Parce que ça fait 4 ans et demi que je vis en France et c'est mon deuxième pays, ma deuxième maison. Donc ce n'est pas très dur de changer pour moi car j'habite ici et c'est mon deuxième pays maintenant."
A ses côtés, son petit ami Enzo Roldan également nageur sous les ordres de Philippe Lucas l'a assisté dans la montagne de démarches administratives qu'il a fallu gravir. "Le plus difficile c'est de ne plus nager pour son pays. Après il faut faire la part des choses. Malheureusement les sportifs n'y peuvent rien. Ça fait 4 ans et demi qu'elle est en France, ce n'est pas un pays dans lequel elle a débarqué il y a deux mois. Elle a des attaches ici. C'est une nouvelle vie qui commence..."
Elle porte toujours les boucles d'oreilles en forme d'anneaux olympiques offerts par sa maman. "Ma famille est toujours avec moi, assure-t-elle. Ma mère m'a appelée et elle est contente car je peux nager."
"Décrocher une médaille pour la France, écouter l'hymne"
Soutenue par sa famille, l'ex-nageuse Russe a également reçu l'approbation de ses anciens coéquipiers. "Tous les autres nageurs sont contents pour moi. Peu de monde a cette possibilité. Tout le monde m'a envoyé un message pour me souhaiter bonne chance et bon courage, très content pour toi.". Elle n'a en revanche pas échappé aux commentaires sur les réseaux sociaux. "Beaucoup de commentaires pour me dire que j'étais nulle, que ce n'était pas bien. Mais je préfère ne pas les voir... Je savais avant que ce serait comme ça. Je le sais, je me prépare pour ça. Je supprime juste le message et c'est fini (elle rigole). C'est juste des gens qui ne sont pas sportifs."
Anastasiia Kirpichnikova ne s'aventure pas sur le conflit qui oppose la Russie à l'Ukraine. Elle espère que ses anciens coéquipiers de l'équipe nationale russe pourront s'aligner à Paris sous bannière neutre. "J'ai beaucoup d'amis là-bas et une carrière ce n'est pas long, ça peut se terminer du jour au lendemain."
Elle se projette maintenant sur sa nouvelle vie et ses rêves avec le bonnet bleu sur la tête. "Je veux décrocher une médaille pour la France, je veux écouter l'hymne (elle fredonne la Marseillaise) Et je veux gagner! Tout. En eau libre et dans le bassin." Et évidemment être à Paris en 2024. "Je veux me qualifier pour le bassin et l'eau libre. Je m'imagine nager dans la Seine avec la tour Eiffel en arrière-plan. Et moi je gagne... Et avant dans la piscine aussi."
Un renfort de poids pour l'équipe de France
Avant les Jeux de Paris, à Rennes elle pourra de nouveau monter sur un podium ce qu'elle ne pouvait plus faire depuis la mise en place des sanctions contre les sportifs russes et biélorusses. Et celle qui détient les records de Russie sur 800 et 1500m nl pourrait bien inscrire son nom sur les tablettes françaises. Avec le plus vieux record de France féminin, le 1500m détenu par Laure Manaudou depuis 2006 en grand danger avec un record personnel plus rapide pour Kirpichnikova. "Bien sûr que j'aimerais battre les records de France sur le 800 et le 1500m. Bon sur le 400m ce sera plus difficile pour moi car c'est le record de Camille Muffat en 4mn01. Laure Manaudou je sais qu'elle nageait avec Philippe Lucas et il a dit qu'elle était très très forte..."
Un renfort de poids pour l'équipe de France et particulièrement pour le demi-fond tricolore. Ce dimanche soir, Anastasiia Kirpichnikova pourrait se qualifier pour les championnats du monde sur le 400m nl. Une première pour une Française depuis la participation de Coralie Balmy aux Jeux de Rio en 2016 (finaliste). " Elle a fait des très bons résultats puisqu'elle a été triple championne d'Europe en petit bassin en 2021, elle a été vice-championne du monde en petit bassin, rappelle Lucas. C'est une fille qui est impliquée et qui est très courageuse et qui est vraiment très agréable à entraîner. Elle a été deux fois finaliste aux Jeux alors qu'elle sortait d'une mononucléose. C'est une très bonne nageuse de niveau international et surtout c'est quelqu'un qui est très professionnel et qui a l'habitude de s'entraîner dur."
Sur 800m, il faut remonter à 2012 pour retrouver la trace d'une nageuse française en finale du 800m (Coralie Balmy aux Jeux de Londres) et Laure Manaudou en 2007 sur le 1500m nl. A Rennes, Anastasiia Kirpichnikova est engagée sur 200m nl, 400m nl, le 800m nl et le 1500m nl.