Natation: Lia Thomas, la nageuse transgenre au cœur d’une vive polémique aux Etats-Unis

Lia Thomas, un nom en apparence bien ordinaire mais derrière lequel se cache la nouvelle polémique d’ampleur nationale aux Etats-Unis, en ce début d’année 2022. Même Donald Trump a trouvé quelque chose à dire sur le sujet, lors d’un meeting organisé le 15 janvier en Arizona, même si l’ex-chef de l’Etat n’a pas directement cité la nageuse. "Nous interdirons aux hommes de participer aux sports féminins", a lâché l’ancien président devant une foule de soutiens acquis à sa cause.
Si le truculent homme politique a ainsi pris la parole c’est aussi pour surfer sur le nouveau sujet de controverse qui agite l’Amérique depuis plusieurs semaines et mois. Et pour cause, il touche à la fois le sport et le système éducatif du pays. Nageuse transgenre de 22 ans, Lia Thomas a brillé dans les bassins de NCAA puis a été accusée d’être injustement avantagée parce que née dans un corps d'homme.
Une prise de conscience tardive de sa transidentité
Native du très conservateur état du Texas, Lia Thomas a mis de nombreuses années avant de réaliser qu’elle n’était pas née dans le bon corps. C’est finalement pendant l’été 2018 qu’elle a pris conscience de qui elle était vraiment.
"J’ai commencé ma transition en mai 2019. C’est quand j’ai commencé ma thérapie hormonale pour réduire mon taux de testostérone, a raconté Lia Thomas début décembre auprès du Podcast TheSwimSwam. C’est la transition obligatoire pour les femmes transgenres. C’est un mélange d’œstrogène et de bloqueurs de testostérone. […] En gros cela fait connaitre une puberté féminine avec une perte de muscles, un changement du visage."
Lia Thomas: "Je me sentais piégée dans mon corps"
Nageuse depuis l’enfance, elle a d’abord souhaité continuer à concourir dans les catégories masculines lors de la saison 2018-2019 à l’université. Mais très rapidement, Lia Thomas l’a très mal vécu sur le plan psychologique.
"Cela m’a causé beaucoup de détresse, ma santé mentale n’était pas très bonne. Je me sentais piégée dans mon corps, a poursuivi la jeune femme. […]. Je n’étais plus capable de me concentrer sur la nage, sur les études, sur mes amis. J’ai décidé que le moment était venu de faire mon coming-out et de débuter ma transition. J’ai tout révélé à mon équipe au début de l’automne 2019."
Deux ans d’attente pour nager avec les femmes
Après une année compliquée sur le plan mental et sportif, Lia Thomas a décidé de franchir un cap et de s’aligner sur les compétitions féminines des NCAA. Après une saison perdue en 2020-2021, le règlement de la NCAA l’obligeant à suivre un traitement de suppression de la testostérone pendant au moins un an avant de participer aux épreuves avec les femmes, la nouvelle vie de Lia Thomas dans les basses a dû attendre avant de commencer et elle l’a vécu comme "une situation vraiment gênante".
Malheureusement pour elle, lorsque son traitement contre la testostérone s’est achevé et alors qu’elle pouvait enfin nager avec les autres nageuses, la situation sanitaire liée au Covid-19 a entraîné une annulation des épreuves lors de la saison 2020-2021, au sein de l'université de Pennsylvanie et de la Ivy League (un regroupement de huit universités prestigieuses aux USA). Lia Thomas a préféré faire une année sabbatique, loin de la faculté, pour ensuite pouvoir s’aligner aux compétitions pendant ses études et rester éligible en NCAA.
Des performances proches des meilleures nageuses de l’histoire
Enfin autorisée à concourir dans les compétitions féminines avec l’équipe de UPenn depuis la rentrée et la saison 2021-2022, Lia Thomas a ensuite enchaîné les performances remarquables. Début décembre à Akron, la ville natale de LeBron James dans l’Ohio, la nageuse a signé les meilleures performances de l’exercice sur le 200 yards libre (1'41''93) et sur le 500 yards libre (4'34''06).
Des performances qui lui permettent d’approcher voire de titiller les records de véritables légendes des bassins de NCAA et de la natation mondiale. Sur le 200 yards, le record de Missy Franklin, quadruple championne olympique, est à moins de trois secondes des chronos de Lia Thomas (1'39'10). La marque établie par Katie Ledecky, septuple médaillée d’or aux JO, sur le 500 yards est à dix secondes tout pile du temps de Lia Thomas sur la distance (4'24''06).
Pas plus tard que le 22 janvier dernier, Lia Thomas a encore brillé lors de deux courses NCAA organisées contre la célèbre université d’Harvard. Si l’équipe de UPenn s’est finalement inclinée face à sa rivale, l’Américaine de 22 ans a remporté le 100 yards et le 200 yards.
Lia Thomas ciblée par d’anciens athlètes et officiels
Sans surprise, la polémique a vite rattrapé Lia Thomas et ses performances phénoménales à l’université. Dès le mois de décembre et seulement quelques semaines après ses meilleurs chronos, la nageuse de UPenn a fait l’objet d’un édito au vitriol de la part de Nancy Hogshead. Triple championne olympique de natation à Los Angeles en 1984, l’Américaine a ensuite embrassé une carrière d’avocat en se spécialisant notamment sur l’égalité des genres dans le sport. Selon elle, Lia Thomas bénéficie d’un avantage physiologique dans les compétitions féminines du fait de son passé en tant qu’homme. A tel point que selon l’ancienne spécialiste du sprint, fait même un parallèle entre la situation de Lia Thomas et les nageuses de l’ex-RDA qui se dopaient à la testostérone ou aux stéroïdes anabolisants dans les années 80.
"En tant que championne olympique et avocate des droits civiques, je peux vous assurer qu'il n'y a rien de juste à ce que la femme transgenre Lia Thomas concoure pour l'Université de Pennsylvanie en NCAA", a écrit Nancy Hogshead dans un texte publié par le journal anglais le Daily Mail.
Du côté de certains officiels aussi, la situation de Lia Thomas interpelle. Déléguée au sein de la Fédération américaine pendant près de trente ans, Cynthia Millen a démissionné à cause de la nageuse de 22 ans. "Le fait est que la natation est un sport dans lequel les corps rivalisent avec les corps, a expliqué l’ex-membre de USA Swimming auprès de FOX News. Les identités ne sont pas en concurrence avec les identités."

Pour justifier sa position, la triple championne des JO de Los Angeles a analysé les chronos de Lia Thomas par rapport aux autres athlètes transgenres en natation.
"Lia Thomas, n'est pas 11% plus lente, elle n'est que 2,6% plus lente qu'elle ne l'était avant la transition sur 200 yards nage libre, et seulement 5,76% plus lente sur 500 yards nage libre, a encore estimé Nancy Hogshead. Ce n'est PAS une atténuation. Ce n'est pas juste. Je dois ajouter que ce n'est pas la faute de Lia. Le problème vient des règles de la NCAA qui permettent à Penn de la garder dans l'équipe féminine."
La NCAA fait machine arrière
Face à l’énorme polémique suscitée par le cas Lia Thomas, la NCAA a décidé de faire évoluer sa réglementation. Entre les élèves qui manifestent pour réclamer le maintien de l’inclusion des athlètes transgenres malgré des lois les privant de compétition dans certains états (dix selon le groupe pro-LGBTQ+ Athlete Ally), ceux qui exigent leur exclusion, les parents d’élèves ou même les Américains qui n’ont rien à voir avec le système universitaire, la NCAA va se réformer et changer ses lois.
Longtemps pionnier en matière d’intégration des athlètes transgenres grâce à un règlement de 2011, le système universitaire américain a choisi de mettre fin à onze années de compétitions inclusives. A place du traitement obligatoire imposé pour bloquer la testostérone, la NCAA devrait s’aligner sur le CIO. Faute de consensus médical clair sur le bénéfice de cette hormone, le Comité International Olympique a décidé de laisser les sports choisir au cas par cas.
A l’image de l’athlétisme, où le cas Caster Semenya a déclenché de nombreuses polémiques, la natation universitaire devrait fixer un seuil maximal de testostérone pour participer aux compétitions féminines.
Un peu moins de six mois après la participation de Laurel Hubbard aux Jeux olympiques de Tokyo en haltérophilie et avant les JO de Paris en 2024, la problématique des athlètes transgenres n’est pas encore tranchée. A l’image de la NCAA avec la gestion du dossier Lia Thomas, le CIO et les instances sportives vont peut-être devoir s’interroger sur le fond de cette histoire et de ne pas prendre de décision en urgence et de déclencher de nouvelles polémiques bien éloignées.