"Ça n'a pas de logique": Benazzi se dresse contre le projet R360, la ligue fermée qui menace le rugby traditionnel

Alors que le projet d’une ligue fermée "R360" continue de faire son chemin dans le rugby français, beaucoup de ses acteurs ont déjà exprimé leur opposition. C’est le cas d’Abdelatif Benazzi, président du Comité de haut-niveau de World Rugby et vice-président en charge de l’International à la Fédération française de rugby.

Est-ce que les initiateurs de ce projet "R360" sont venus vous voir à World Rugby?

Au départ, ils nous ont saisi pour dire qu’ils aimeraient bien avoir le feu vert, ils ont posé des questions mais ils ne sont pas revenus vers nous. Est-ce que c'est une prise de contact pour voir la réaction du monde de rugby ? Je n'en sais rien, mais c'est une question qui sera évoquée lors des prochains conseils au mois de mai prochain. Pour l’instant, ce n’est pas du tout quelque chose qui est évoqué, ou qui nous obsède. Mais c’est sûr que chaque fédération a sa position.

Est-ce qu'ils ont vraiment besoin de l’aval de World Rugby pour se lancer? 

Non, mais il y a beaucoup de questions concernant l'arbitrage, le comité de discipline, plein de choses qui sont liées. On ne peut pas partir à l'inconnu comme ça, c'est trop abstrait, même si selon les rumeurs, il y a des fonds souverains, etc. Je ne vois pas comment on peut aller contre une institution, c'est complètement illogique. On ne se casse pas la tête tant qu'on n'a pas de réponse bien précise, mais s'il doit y avoir quelque chose, il faut absolument qu'il y ait un lien.

Le rugby n’a-t-il pas besoin de ce genre de projets pour continuer à se développer et séduire un public plus large?

Non, c'est trop gros. Par expérience, il y a eu quelques situations comme celle-là, on l’a déjà vu dans les années 90. Mais le sentiment que j'ai, c'est que c'est très abstrait. Le sport est très dépendant de World Rugby. Quand un truc comme ça part en l’air, chacun fait ce qu’il veut, mais ça ne s’appellera pas du rugby. Qui va être derrière en termes d’assurance, de spectateurs ?  Les fédérations seront pour la plupart contre, mais chacun peut lancer son truc.

Partagez-vous la réticence affichée de Florian Grill à la FFR?

Tout à fait, ce n'est pas du tout adéquat avec l'histoire de notre sport, l’école de rugby, la formation. Vous ne pouvez pas avoir quelque chose de rebelle comme ça qui arrive, qui ne prend que les conséquences, que les bonnes choses. Il faut qu'on soit fort, on y est complètement opposé à la Fédération, en totale solidarité avec la ligue, c'est dangereux. Ça viendrait complètement contredire et contrer ce que les clubs, ce que les fédérations font depuis le début dans leur histoire. Ça n'a pas de logique.

Mais comprenez-vous que certains joueurs puissent être attirés par l’opportunité financière?

Oui, mais quelles sont les conséquences s’il y a des blessés ?  L’argent c'est une chose, les pays du Sud, les îliens notamment qui sont en crise, je les comprends. Mais je ne vois pas Antoine Dupont arrêter son contrat et aller dans ce truc-là, même si on lui donne deux fois plus. La majorité des joueurs veut appartenir à quelque chose, même après sa carrière. Dans cette ligue rebelle, vous prenez un gros chèque et après, s’il vous arrive quoi que ce soit, vous êtes largué dans la nature comme un produit.

Le mec qui prend trois fois plus de salaire, il peut s'assurer lui-même, mais on rentre dans un truc qui n'est pas reconnu par notre monde. C'est trop tôt pour réagir, on a l'impression qu'on est en train de leur donner beaucoup d'intérêt parce qu'ils nous ont titillé, qu'ils veulent voir nos réactions pour nourrir leur plan. Fermons nos gueules, attendons, et quand on aura les réponses à nos questions institutionnelles, on avisera.

Pierre Thevenet