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FFR "Bernard Laporte est sur une autre planète" selon son opposant Florian Grill

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Entretien RMC Sport - Chef de file de l’opposition, Florian Grill avait gardé le silence ces dernières semaines en raison de la pandémie de coronavirus. Il exprime avec force aujourd’hui ses nombreux griefs contre Bernard Laporte et Serge Simon, avant les élections à la FFR dans quelques mois.

Florian Grill, vous aviez suspendu votre campagne depuis mi-mars. Pourquoi vous exprimez-vous aujourd’hui?

Il était normal d’avoir la décence d’arrêter de parler, dans cette période où des familles sont touchées personnellement et avec des décès tous les jours. C’était normal de mettre la campagne entre parenthèses. Aujourd’hui, on parle parce que le pic de la pandémie est passé et que nous sommes dans une logique de déconfinement. Il était aussi logique de parler devant l’avalanche de communications fédérales durant cette période.

Justement, avez-vous eu des liens avec les dirigeants de la FFR, dont Bernard Laporte et Serge Simon, ces dernières semaines?

Avec Bernard Laporte, absolument aucun. Il a été systématiquement absent pendant toute la période. Il n’a notamment jamais été présent aux réunions de présidents de ligues. C’est Serge Simon qui a été clairement aux commandes. Ce qui m’a sincèrement troublé, pour ne pas dire choqué. Le comité directeur de la Fédération, qui est censé être l’instance qui décide pour le rugby français, n’a absolument pas été convoqué depuis le début du mois de février. La démocratie a été mise entre parenthèses.

Qu’en pensez-vous?

Au regard des décisions qui ont été prises sans aucune consultation ni débat, ça me choque profondément. Dans ces périodes de crise, je pense qu’il faut au contraire multiplier les débats. On met en danger la FFR économiquement et, surtout, on a mis en danger la santé et la sécurité des pratiquants. Bernard Laporte et Serge Simon sont aveuglés par l’enjeu électoral à court terme, et cela se fait clairement au détriment de la santé des joueurs. Je pense notamment à la limite d’âge des Espoirs Fédérale 1 et le nombre de clubs en Fédérale 1 qui est passé à 60 au lieu de 48, avec forcément des écarts de niveau.

Vous évoquiez la Fédérale 1. Quel regard portez-vous sur la volonté répétée de Bernard Laporte et de la FFR de faire monter deux clubs en Pro D2 quitte à compenser une baisse de la répartition des droits tv?

Les relations entre la Fédération Française et la Ligue sont d’une crispation totale et absolue. C’est dramatique pour le rugby. Si on veut faire avancer le rugby, il faut bien évidemment que ces deux moteurs marchent ensemble. Tout n’est que négociations et bras de fer. Rien de positif ne peut en sortir. Ce n’est pas la confiance qui guide ces relations mais clairement la défiance. Par ailleurs, économiquement, cela pose aussi des soucis. Je suis d’une inquiétude absolue concernant la Fédération. La capacité de Bernard Laporte à sauver ou à amener x millions de plus pour faire monter deux clubs, laissez-moi en douter…

"Nous sommes en train d’aller dans le mur en klaxonnant"

Quelles sont vos craintes?

En trois ans, Bernard Laporte a asséché les comptes de la FFR avec quasiment 10 millions d’euros de déficit d’exploitation cumulé. La trésorerie d’exploitation a baissé de 20 millions. Comme il n’y a plus d’argent, il s’attaque maintenant au fonds d’assurance. Pour le plan de 35 millions déjà annoncé, il oublie de dire qu’il va beaucoup piocher dans le fonds d’assurance, qui est une réserve pour les grands blessés. Cet argent avait été mis de côté. Ce que personne ne dit, c’est que cela va se traduire par une baisse du fonds d’assurance de l’ordre de 20 millions d’euros. Nous l’aurions fait aussi, mais en disant la vérité. Par ailleurs, il a amené les grandes ligues dans ses mêmes folies dépensières en remplaçant des bénévoles par des salariés. Partout, les clignotants sont au rouge. Et enfin, il entraîne aussi les clubs dans cette même folie dépensière car qui dit montées dit dépenser plus d’argent. Surtout, j’ai une grosse crainte sur la fin d’année.

Pourquoi?

Qu’est-ce qui nous garantit aujourd’hui d’avoir un France-Irlande (match en retard du Tournoi normalement reprogrammé fin octobre ndlr), des matchs internationaux, une tournée d’automne? L’impact serait pratiquement de 20 millions d’euros si ces matchs ne pouvaient pas se jouer. C’est de nature à mettre la FFR en danger. J’aimerais bien que Bernard Laporte présente ses mesures en comité directeur et qu’on puisse enfin débattre, car il est en train de nous mettre à genoux. La seule échéance qui compte pour lui c’est l’échéance électorale. Il est totalement aveuglé. Il fait preuve de cécité dans une période qui demanderait de la clairvoyance.

Mais avez-vous conscience que cette période est forcément compliquée pour les dirigeants d’une Fédération qui doivent prendre des décisions fortes rapidement, comme ce plan de 35 millions, et qu’un consensus est difficilement imaginable?

Oui, mais gouverner c’est prévoir. J’attends d’une Fédération responsable qu’elle envisage toutes les hypothèses, et qu’elle le fasse en transparence. Elle nous cache la vérité parce qu’elle veut surtout d’essayer d’emporter la mise sur les élections. Puis advienne que pourra… Mais nous sommes en train d’aller dans le mur en klaxonnant. On fait prendre des risques considérables à la Fédération, aux clubs, aux bénévoles, aux licenciés et à la santé des pratiquants. Le vrai danger du Covid-19 est une baisse du nombre de licenciés. On a perdu 45.000 licenciés sur les trois dernières années. Cela devient une urgence rouge de mettre en place un plan de relance du nombre de licenciés. On n’est pas exactement le sport de la distanciation sociale. Il faut aussi une relance du nombre de bénévoles. Enfin, il aurait fallu faire dégonfler la bulle. Toutes les fédérations ont fait des plans d’économie sauf la Fédération française de rugby. On devrait appeler les clubs à la modération et revoir les championnats en réduisant les kilomètres.

"Ça ne nous empêchera pas de gagner"

Voilà quelques jours, Jean-Marc Lhermet, qui figure sur votre liste, disait dans les colonnes de l’Equipe: "Ils sont hors sol et inconséquents". Partagez-vous ce même sentiment?

Oui, ils sont complètent hors sol et déconnectés. Mais aussi, à mon sens, déshumanisés car tout tourne autour de l’argent. Bernard Laporte est sur une autre planète. Sa planète aujourd’hui, c’est World Rugby, ce n’est plus la FFR. Celui qui gère, avec beaucoup d’erreurs à mon avis, c’est Serge Simon. Ça ne m’étonne pas car il ne connait pas le rugby amateur. Dans notre projet, on pense que le rugby et les clubs sont un enjeu de société. Le plus petit club de quatrième série est une priorité pour nous parce que c’est un acteur du lien. On considère le rugby au regard de son impact sur la société, d’où ce rôle éducatif et social, et pas juste la compétition. Deux projets de société s’opposent. Je considère celui de Bernard Laporte comme hors sol, voyant le rugby par le prisme du spectacle, de sa mondialisation, d’une Coupe du monde annuelle des clubs. Cette annonce au moment du Covid-19 est d’ailleurs hallucinante. Tout tourne autour de l’argent qui est censé dégouliner sur les clubs, pour reprendre son expression. Dans notre projet, on veut mettre du sens. On part de la base. On considère que pour que le haut de la pyramide soit solide, il faut que la base le soit aussi.

Savez-vous quand auront lieu les élections?

(Sourire) Vaste sujet et vaste plaisanterie au passage. Les clubs ont voté, en Assemblée Générale et à 96%, le fait qu’il y ait une campagne électorale de neuf mois. Bien évidemment, trois mois minimum sont mis entre parenthèses. Elle est tronquée au tiers. La ministre des Sports a elle-même publié un décret décalant de quatre mois la date limite pour les élections. Le vice-président de la Fédération Henri Mondino a dit qu’il suivrait les recommandations de la ministre. Mais pour l’instant, il semble qu’ils maintiennent les élections le 3 octobre. Nous serons prêts. Les réunions que nous faisons avec les clubs montrent que nous sommes extrêmement entendus. Nos projets, qu’il s’agisse de multiplier par dix le budget dans le scolaire ou l’universitaire, de créer des territoires au sein des grandes ligues ou de donner du sens au rugby, parlent aux clubs. C’est du concret. Qu’ils gardent l’élection le 3 octobre, ça ne nous empêchera pas de gagner! Les clubs ont compris qu’il y avait beaucoup de marketing politique et que la ficelle était un peu grosse en maintenant l’élection le 3 octobre. Ils préféreront un projet en rapport avec leurs réalités plutôt qu’un projet décidé du haut de World Rugby.

JF.Paturaud