Affaire des corticoïdes : le président de la commission qui a entendu les joueurs du Racing 92 livre ses vérités

- - AFP
En quoi les révélations publiques de ces cas, et les conclusions avancées ça et là, on-t-elles pu compliquer la vision de votre commission ?
Elles nous ont gênés parce qu’on avait eu l’impression, avec les membres de la commission de première instance, qu’on n’allait servir à rien puisqu’on donnait déjà dans la première publication le résultat vraisemblable de nos travaux et de la décision qu’on allait prendre. Il n’y a rien de tel pour nous renforcer dans notre désir d’être plus informés et plus attentifs aux trois dossiers. Ces conclusions ont été faites par plusieurs personnes. Des hommes de l’art qui ont abordé ces conclusions, eux ils savent comment ça marche. Mais il y a d’autres personnes qui, je pense, ne connaissaient pas du tout le fonctionnement de la commission ni la teneur des dossiers et qui par avance ont donné des conclusions. Je ne dis pas qu’elles étaient fausses, mais il aurait mieux valu qu’ils les gardent pour eux.
Malgré le simple rôle d’analyse de la commission, prend on conscience de la sensibilité du dossier avec le pedigree des joueurs ?
Bien sûr, on ne peut pas faire autrement. Ça aurait été trois joueurs de troisième division fédérale, et ce n’est pas péjoratif, les médias s’en seraient moins emparés. Les trois garçons sont des stars mondiales, ils appartiennent à l’équipe championne de France, ils sont contrôlés tous les trois le même jour. Apparemment au début ça été annoncé dans les journaux avec le même produit, ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait le cas.
A lire aussi >> Top 14 : aucun match n'aura lieu le 24 décembre
L’avez-vous intégré au moment du jugement ?
Oui. J’ai été dans l’inconfort avant et pendant, au moment de l’instruction des dossiers, pendant la réunion quand j’ai eu ces gens-là en face de moi. J’imaginais être à leur place et j’avoue que j’aurais été en plein désarroi comme certains l’ont montré, car il y a eu beaucoup trop de publicité sur leur positivité qui en fait n’en est pas une.
Comment se sont déroulées les auditions ?
Cela a été des débats conviviaux. Souvent ça ne se passe pas comme ça. Avec les membres de ma commission, nous avons souvent l’impression d’être coupables alors qu’on est là pour estimer ce que nous révèlent les garçons accusés et l’environnement qui les soutient. Là, ça n’a pas été le cas. Il y a eu une très bonne intervention du médecin du club, beaucoup de discrétion des joueurs parce qu’ils étaient en plein désarroi, ça se voyait. Et puis le troisième élément a été la participation des avocats personnels des joueurs qui, avec dignité, ont abordé le dossier sans porter de jugement, ni sur l’expertise de notre commission, ni sur ce qui pouvait en sortir. Ils ont été beaucoup plus à l’écoute que baratineurs, si je puis dire, et ça je l’ai beaucoup apprécié, de même que les membres de ma commission.
Avez-vous senti les joueurs très marqués ?
J’ai vu des joueurs perturbés. Ça se voyait physiquement. Le plus célèbre d’entre eux (Dan Carter) était tête baissée, comme s’il avait tué quelqu’un. Il n’a pratiquement pas prononcé de mots. Les deux autres aussi étaient perturbés. Ils étaient surtout perturbés par l’impact que ces révélations avaient eu dans leur pays, je pense à Imhoff l’Argentin ou à Rokocoko. Ça les a vraiment perturbés, y compris des remarques de leurs familles qui étaient tellement surprises qu’il y ait un tel évènement en France, dont ils n’avaient pas soupçonnés l’importance.
Les dossiers étaient clairs ?
En ce qui me concerne, ils étaient complétement limpides. J’étais certainement celui de la commission qui comprenait le moins l’ensemble des éléments médicaux et biologiques et je pense que j’ai tout compris. C’est le résultat de la limpidité. Les explications donnés par les uns et les commentaires faits par les autres étaient très clairs et brefs, ce qui permettait la compréhension des dossiers.
Quelle peut-être la suite de la procédure maintenant ?
Les joueurs, plus le club et l’AMA peuvent faire appel. Ils ont dix jours, en précisant que l’appel n’est pas suspensif. Par contre, en ce qui concerne l’AFLD ce n’est pas un appel mais une étude de dossier. Et l’AFLD a le pouvoir de retoquer cette décision dans les deux mois qui suivent la publication du résultat de notre commission de première instance. On a vécu des cas où le fait de retoquer a diminué la peine que nous avions infligée, mais on a vécu des cas inverses où la peine n’avait pas été jugée suffisante et elle l’avait augmentée. Si elle décide de retoquer le dossier, les joueurs seront vus et entendus par l’AFLD.
A lire aussi >> Affaire des corticoïdes : les joueurs du Racing 92 "lavés de tout soupçon"
Où est la frontière entre médicalisation et dopage ?
La frontière, c’est quand on prend un produit interdit et qu’il n’y a pas eu d’autorisation. Je pense que dans l’apport que nous amènent les spécialistes, notamment dans la quantité des produits et dans le taux que l’on retrouve dans les urines, il y a dopage dès qu’on a franchi ce taux-là. Quelqu’un qui est blessé, il faut qu’il se soigne, il a le droit de prendre ses médicaments mais il n’a pas le droit de jouer. Voilà comment je vois le problème. Tant qu’il n’est plus dans cette médicalisation, même si elle est tolérée, il ne joue pas.
Faut-il clarifier le règlement ?
Pourquoi lorsqu’on prendrait un corticoïde par inhalation ce serait permis et par intraveineuse ça ne le serait pas ? Evidemment les doses ne sont pas les mêmes, je ne suis pas expert pour donner la réponse, mais ça me perturbe un peu. Les corticoïdes sont tous tolérés avec AUT ou ils sont tous interdits. Voilà un peu comment je vois la chose.
A lire aussi >> Pascal Papé : "Le rugby, un ballon d’oxygène"