Castres: Babillot raconte la reprise et le manque de "rapport aux autres"

C’est, on imagine, la reprise la plus particulière que vous ayez vécu dans votre carrière…
MATHIEU BABILLOT. Forcément. Après, on n’a pas le choix. On est obligé de s’adapter, comme tout le monde. Mais tout a été bien mis en place, depuis plusieurs semaines, pour nous accueillir dans les meilleures dispositions possibles.
Des choses vous ont surpris?
Déjà, on fait toute la séance avec l’appareil de cardio. On est espacé de plusieurs mètres, chacun a sa bouteille. Tout était déjà prêt à notre arrivée pour que l’on touche le moins de choses possibles. Quand on monte sur les vélos ou que l’on pousse les chariots, on met des gants. C’est un peu particulier, ça nous fait rire parfois, mais c’est comme ça.
Dans quel état de forme êtes-vous?
On est tous dans une bonne forme. On s’est appliqué à rester au poids, à se tenir informé entre les joueurs et le staff. Et même entre joueurs. On avait plusieurs groupes, on faisait des visio-conférences. Donc on était au point pour préparer cette reprise au mieux.
Y a-t-il tout de même une vraie différence avec une reprise classique? Le sentez-vous au niveau de vos capacités?
Oui, un peu. Il faudra réhabituer le corps à la musculation, aux intensités progressives, car pour l’instant, on ne dépasse pas les 80% de fréquence cardiaque. On n’a pas le choix, on s’adapte. Que ce soit nous les joueurs, mais aussi les préparateurs physiques ou le staff. On essaye que ça se passe du mieux possible.
On le fait sans arrière-pensée? Le risque de blessure après un si long arrêt est souvent évoqué…
Justement. C’est le pire d’y penser. On est tous arrivé ce matin avec la banane, l’envie de retrouver le vestiaire, de se "brancher" entre nous. C’est ce qui manque le plus. La relation à l’autre. Entre coéquipiers, au-delà du rugby. Ça, ça ne changera pas d’années en années. Ce rapport qu’on peut avoir avec les autres, il commençait à manquer.
Cette préparation va durer douze semaines. Allez-vous trouver le temps long ou voyez-vous ça comme un confort?
Ça va être adapté. On a déjà reçu le planning. Je sais qu’on a des périodes de travail et des périodes de repos avec des week-ends un peu plus prolongés ou des vacances pour pouvoir couper et se régénérer. Donc on est concentré sur notre boulot, ce qu’on a à faire. Et on fait confiance au club et au staff.
L’épidémie est annoncée "maîtrisée" en France, certains scientifiques demandent également des règles moins strictes, les terrasses des restaurants sont bondées et le week-end prochain, les Néo-Zélandais vont entamer le Super Rugby avec du public dans les tribunes. Pourtant, votre protocole de reprise est extrêmement strict. Ne pensez-vous pas qu’on en fait un peu trop?
On va essayer de rester concentrés sur nous, sur notre championnat au lieu de regarder les autres. Car je pense qu’il y a pas mal à faire. Vous évoquez les restaurants, ça m’est arrivé d’y aller une fois. On est Français, on est des bons vivants. Mais il faut rester mesurés, continuer à appliquer les mesures de sécurité, que ce soit le port du masque ou les gestes barrières, même si on les entend depuis plusieurs mois et que ça commence à faire mal à la tête. Il faut rester le plus vigilant possible.
Comment allez-vous mentalement? On imagine que le groupe a pu gamberger pendant toutes ces semaines.
On a un préparateur mental qui nous a appelé pendant le confinement. Moi, c’est arrivé une fois. Il voulait savoir si j’avais des besoins. C’est bien, on sait qu’il est là. En fait, je le répète, ce qui a été le plus long, c’était vraiment l’absence de rapport aux autres. Se faire des raisonnements, chambrer. On le faisait à distance, mais c’est différent. C’est sans "check", sans tape sur l’épaule.
C’est pourtant une vraie question concernant les rugbymen. Votre vie est très cadrée et beaucoup de joueurs ont pu être déboussolés.
Je ne suis personnellement pas de nature comme ça. Mais certaines personnes, qui sont peut-être loin de leur famille, voire de leur pays pour les étrangers, ont pu le ressentir. Ça peut un peu plus les toucher que moi, qui ai la famille et les potes sur Castres. Donc on va essayer, nous les joueurs, d’être plus présents pour eux. Mais je sais que le club met tout ce qu’il faut pour les accompagner du mieux possible.
Que vous inspire la retraite internationale du Bordelais Jefferson Poirot?
Heu (il souffle)… au début on est forcément un peu surpris. Après, connaissant l’homme et le joueur je pense qu’il a très bien réfléchi. C’est un super mec Jeff. Il a connu pas mal de choses avec l’équipe de France. Il a fait des Tournois des VI Nations, il a fait la Coupe du monde. Il a aussi une vie de papa donc je pense qu’avec ce confinement, il a un peu envie de penser à lui. Il l’a mûrement réfléchi. Ça reste son choix et on ne peut que l’approuver.
A 27 ans, c’est pourtant jeune pour une retraite internationale...
C’est jeune, mais il n’y a pas d’âge. C’est sa décision. C’est sa vie, sa carrière et il en fait ce qu’il en veut.
Il évoque les cadences. Sont-elles fortes?
Elles sont assez fortes. C’est vrai que j’ai eu la chance de pouvoir le faire une fois, d’enchaîner sur une tournée après un titre de champion de France avec Castres (en Nouvelle-Zélande, en 2018). Pour lui qui est là depuis plusieurs années et qui a pas mal de sélections, c’est vrai que je peux comprendre que ce soit assez dur même si je sais qu’il va manquer à cette équipe de France.
Un mot sur votre prédécesseur au capitanat Rodrigo Capo Ortega qui, après 18 saisons au club, n’a pas pu faire ses adieux sur le terrain…
J’ai eu la chance de le croiser un peu et même de l’avoir par message pendant le confinement. Il était forcément déçu et on l’était pour lui. Avec tout ce qu’il a donné au Castres Olympique, il aurait mérité une sortie à la hauteur de son image. Pour le coup, il faudrait aller se balader dans Castres, passer au marché et vous vous rendrez compte. Quand j’y suis allé, les premiers mots concernaient la reprise forcément. Et ensuite on me parlait de "Capo". Au-delà du club, c’est toute la ville qui a été déçue de ne pas lui rendre hommage. Les gens ici sont impatients de pouvoir le retrouver. Et le club s’occupera de lui rendre cet hommage-là. Après, je pense aussi à tous les autres joueurs qui partent car il ne faut pas non plus les oublier. On a beaucoup de départs cette année, il y a un nouveau groupe qui va se construire. Donc je n’oublie personne, je fais un gros bisou à tous ceux qui vont nous quitter. Et bienvenue à tous ceux qui vont nous rejoindre.
Vous avez été les premiers joueurs du Top 14 à signer un accord avec votre club pour une baisse des salaires la saison prochaine. Comment se sont passées les démarches?
Les joueurs savaient que c’était normal, nécessaire et que le club en avait besoin. Il fallait aussi que ce soit bien fait, bien réfléchi. Que ça aille dans le sens du club et de la crise actuelle et que les joueurs s’y retrouvent aussi. Donc on a conclu cette baisse, qui nous paraît correcte, d’un commun accord avec le club. On voulait surtout montrer au club, aux alentours et à tous nos partenaires que les joueurs étaient à 200% impliqués dans tout ça.