Racing: "Vous pouvez me traiter de vieux", Juan Imhoff, 34 ans et toujours la même passion

Juan Imhoff, vous avez encore marqué un essai le week-end dernier contre Sale en quart de finale de Champions Cup. Savez-vous exactement combien vous en avez inscrit ?
Non, pas forcément. Au tout début, je comptais tous les essais que je marquais. Depuis, je le fais moins. Il y a eu récemment cette histoire des cent essais marqués avec le Racing, contre Pau en février, et on m’a parlé des records à aller chercher. Tous les week-ends, on me le fait savoir, je suis à peu près au courant d'où j’en suis (ndlr : 104, dont 33 en Coupe d’Europe).
Est-ce une obsession ?
On m’a posé plusieurs fois cette question. Avant tous les matchs, mon objectif est de marquer au moins un essai. On vit pour ça. Avec l’expérience, on change aussi notre façon de jouer et on cherche à utiliser toutes nos armes. C’est aussi bien de faire marquer et d’être au bon moment, au bon endroit pour l’équipe. Parfois, on peut marquer soixante points sans que je n’inscrive un essai. On en rigole avec mes frères mais ils savent que je suis vénère !
Avez-vous en quelque sorte l’instinct du marqueur d’essais ?
Oui, en Argentine, notre éducation était surtout basée sur le soutien. Une bonne passe, un offload, ça ne se fait pas s’il n’y a pas de soutien. Il faut être près des ballons et anticiper. Je ne suis pas le plus rapide de cette équipe, certains comme Teddy Thomas vont à 10.000 à l’heure, mais je me bats pour que l’anticipation soit la bonne, que je sois le premier sur les coups à finir et soutenir le travail des autres.
Avez-vous toujours marqué autant d’essais, même plus jeune ?
Oui, je marquais encore beaucoup plus en Argentine. C’était vraiment pour moi le rugby d’attaque, c’est le rugby que j’adore. Depuis tout petit, si je ne marquais pas, ça mettait des pièces… (Sourire).
Certains joueurs vous ont inspiré dans ce registre ?
Oui, bien sûr. On trouve une inspiration et une motivation avec des gens qui font la même chose. On se bat pour être encore meilleur. J’ai eu un jour une belle discussion avec Mike Prendergast (l’entraineur des arrières) alors qu’il venait à peine d’arriver au Racing. Il voulait me montrer une vidéo de Chris Ashton en me disant "il fait un peu comme toi". Je l’ai regardé et je lui ai répondu "tu ne peux pas me montrer une vidéo de Chris Ahston, est-ce que tu lui dirais de regarder une vidéo de Juan Imhoff ?" (Rire) On a rigolé. Mais c’est vrai qu’un joueur comme lui est inspirant. Il se prépare pour être au bon endroit au bon moment. Pour ceux qui n’ont pas un gabarit comme Tuisova et Nadolo, ou la vitesse de Teddy Thomas, c’est inspirant et ça montre qu’on peut jouer dans ce registre-là.
Justement, Ahston détient le record d’essais marqués en Coupe d’Europe (41). Y pensez-vous ?
Ce serait mentir de dire qu’on joue au rugby juste pour s’amuser. On veut battre tous les records, moi le premier. Mais je sais que c’est la conséquence du travail que l’on fait. Il faut l’avoir en tête mais ce n’est pas l’objectif premier de ma saison au Racing. Qu’on soit fier de moi en Argentine, c’est déjà pas mal. Je ne me plains pas de ma carrière. Un record se cherche sur la longévité, à moi de faire le boulot pour le concurrencer. On sait que les ailiers ont parfois des passages plus difficiles, notamment l’hiver. Il faut être capable de se réinventer pour être au top, c’est justement ce qu’a fait Chris Ahston quand il est venu en France (à Toulon).
Vous avez toujours voulu vous fondre sur la durée dans ce club…
Oui, depuis le début (en 2011), je voulais marquer l’histoire de ce club. On ne le fait pas en une saison. C’est un club vieux et je savais que pour marquer une page, ça ne se ferait pas juste en inscrivant un essai ou avec une finale gagnée avec un joueur de moins, mais sur la longueur, durant douze ou treize saisons, en apportant mon cœur et mon âme au club. J’aimerais bien que je sois reconnu pour ça à la fin plutôt que pour un record isolé.
Vous avez récemment prolongé votre contrat pour deux ans. C’était une évidence pour vous ?
(Sourire) Pour moi, oui. Je ne me voyais pas ailleurs, jamais. On n’a rien lâché et on est là. Peut-être qu’à un moment, les gens ne croyaient pas en moi, en mon âge. Ce que je retiens, c’est qu’il faut continuer sur ce chemin, même si ce n’est pas facile.
Etes-vous libéré d’avoir signé et réglé votre avenir ?
Bien sûr, surtout sur la partie humaine. C’était difficile. J’avais déjà quelques contacts ailleurs, mais quand je parle de l’amour pour ce club, c’est un vrai amour. C’était comme un divorce. Je vis pour ce club. Je suis en France pour ce club.
On n’ose pas dire que vous êtes vieux mais vous fêtez aujourd’hui vos 34 ans. Comment faites-vous pour conserver la même motivation et votre état de forme ?
J’ai eu une petite fille voilà deux semaines et j’ai discuté avec la sage-femme. Elle me disait que c’était la plus vieille de son service. Elle a 52 ans. Je lui ai demandé si elle se trouvait vieille, car moi je suis aussi le plus vieux de mon équipe. On a rigolé. Vous pouvez me traiter de vieux, car certains ici comme Max Spring et Nolann Le Garrec n’ont que 19-20 ans. Pour continuer, tout le monde le sait ici, c’est grâce à mon travail dans l’ombre, le travail supplémentaire. Je continue à faire des efforts. J’ai eu des périodes de doute parfois, mais si on est équilibré mentalement et physiquement, il faut tout donner pour être bon. Ces jeunes au club me font rajeunir, ils me donnent envie de me battre. Ils sont concentrés, on dirait mon fils quand il joue à quelque chose, il n’y a plus de faim ni d’heure. J’essaie d’entrer dans cette dynamique. A côté des jeunes, j’apprends beaucoup de choses.
Pour que l’histoire soit encore plus belle ce serait bien de gagner une Coupe d’Europe…
Quand il y a la Coupe d’Europe, je me fiche un peu de tout. Je suis un peu égoïste. Je donnerais beaucoup de choses pour gagner ce titre. Ça permettrait de commencer à fermer un peu un chapitre avec ce club d’une belle manière. Une Coupe d’Europe validerait tout le travail fait par ce club, mais on sait que c’est difficile. On l’a vécu.
Dimanche, il faudra déjà battre une autre équipe française, La Rochelle, à Lens pour continuer à rêver…
C’est une très bonne équipe qui le confirme tous les ans. On les connait très bien, eux aussi. Je ne connais pas le stade de Lens. On sait que l’ambiance est folle, proche de l’Argentine, et que le stade est beau. On m’en a déjà beaucoup parlé, je sais qu’un joueur argentin joue là-bas (Facundo Medina).
Cela ne vous dérange pas de ne pas jouer dans votre enceinte habituelle de Paris La Défense Arena ?
Oui et non. On le sait depuis qu’on joue à l’Arena. On ne peut pas se plaindre. Le stade et la pelouse seront magnifiques, la météo aussi sans doute. Tout est réuni pour que ça soit une belle journée. Ce serait un beau cadeau d’anniversaire.