Top 14: le rugby est-il plus violent ?

Un geste cristallise la problématique du jeu dangereux qui colle comme un chewing-gum sous un crampon au rugby de club français en ce début de saison. Il s’agit évidemment du plaquage quasi inédit du 2e ligne sud-africain de Castres Ryno Pieterse, en l’air, sur le demi de mêlée de Bordeaux Maxime Lucu. Selon nos informations, les débats ont même été vifs au sein de la commission de discipline pour qualifier exactement le geste. Finalement, Pieterse sera reconnu responsable de "jeu dangereux, et de plaquer, charger, tirer, pousser ou saisir un adversaire dont les pieds ne touchent pas le sol". Qu’importe, en boucle sur les chaînes de télé, il s’est avéré désastreux pour l’image de ce sport, déjà secoué ces dernières années par des polémiques en la matière.
"Je n’avais jamais vu ça, avait soufflé l’entraîneur bordelais Christophe Urios après le match. Un truc ! Heureusement qu’il le prend là (en montrant le torse). S’il le prend plus haut, il peut le tuer." Lucu s’en est heureusement sorti indemne. Mais il reste marqué par ce moment. "C’est en revoyant les images que j’ai été choqué. Quand je les revois, je me dis, putain… pourquoi faire ça sur un terrain de rugby ? Pourquoi faire ça à ce moment-là alors que je n’ai plus le ballon ? J’étais très énervé, je me demandais pourquoi. Dans mon malheur, j’ai la chance qu’il ne m’attrape pas la tête. Je suis vite passé à autre chose parce que je vais bien, je n’ai pas de séquelles. Je ne voulais pas polémiquer. Ce sont des choses que je ne veux pas voir sur un terrain mais plus de peur que de mal au final."
Ryno Pieterse a écopé de douze semaines de suspension. Si des voix s’élevaient pour plus de sévérité, c’est pourtant la sanction la plus lourde jamais établie par un organe disciplinaire pour un plaquage. Trois mois pour réfléchir… La clef pour sortir de cette spirale qui fait que chaque week-end, on sent que chaque geste non maîtrisé va être sujet à polémique. C’est ce que pense Bernard Dusfour, l’ancien président de la commission médicale de la Ligue Nationale de Rugby: "Il y a quelque chose qui est constaté, c’est que les joueurs aiment que ce soit clair: je fais ça, je suis sanctionné; je ne fais pas ça, je ne suis pas sanctionné. Et si dans tous les matchs, c’est toujours la même chose, les joueurs s’y retrouvent".
"Ça tient surtout à l’état d’esprit des joueurs"
Avec une sévérité accrue ? Lui pense qu’il faut surtout en finir avec le plaidé coupable, les excuses, les circonstances atténuantes, qui font que des sanctions sont abaissées de plusieurs semaines. "Je crois qu’il faut remettre un tour de vis et puis moins parler des circonstances atténuantes. Actuellement, on va un peu trop loin là-dessus. Il faut stopper cette hémorragie (il répète sa phrase). Il n’y a que comme ça qu’on y arrivera. C’est la protection de notre sport. Car si on ne fait rien, on n’y arrivera pas et notre sport va progressivement s’éteindre. Il ne faut pas l’oublier, on n’est pas là pour abîmer des gens". Ni faire fuir les écoles de rugby…
A écouter le microcosme, les arbitres, pour ce qui est des décisions sur le terrain et les instances, pour les sanctions, ont la clé pour que cette polémique cesse. Pas seulement selon l’ancien international Olivier Magne, toujours d’un avis tranché sur le sujet: "Je n’ai pas forcément envie de dire que le rugby est plus dangereux. Mais on a affaire à des comportements aujourd’hui de joueurs qui, de par leur nature, leur éducation rugbystique, pratiquent un rugby qui peut être dangereux. Donc j’en appelle à leur responsabilité pour que ce rugby reste un rugby où l’on peut pratiquer en toute sécurité. Ça tient surtout à l’état d’esprit des joueurs, qui doivent se prendre en main".
Il veut parler, entre les lignes, des joueurs originaires du Pacifique, à la culture du défi bien ancrée et la technique de plaquage singulière, avec parfois l’avant-bras en guise de première lame. Car entre temps, le Toulousain Tekori (carton rouge pour un geste qui entraîne la grave blessure du Biarrot Ruffenach), le Palois Tuimaba (plaquage dans la tête du Perpignanais Tedder), le Castrais Nakosi (plaquage haut sur le Toulonnais Salles, cité par la commission de discipline) sont venus rejoindre les rangs des joueurs déjà expulsés cette saison tels que Skelton, Tagitagivalu ou Alo-Emile. Ce sont des faits, qui ne peuvent être ignorés. Alors évidemment, le rugby est un sport de contact. Il ne faudrait pas le dénaturer. Mais sans pour autant que les médias ou les réseaux sociaux ne fassent le procès avant la commission de discipline, l’occasion est belle pour une prise de conscience.
Des sanctions plus lourdes
"Notre rôle en tant que médecin, ajoute Dusfour, c’est de tirer des sonnettes d’alarme. Nous l’avions fait en 2017, notamment après un barrage entre Montpellier et le Racing 92 où il y avait eu 9 commotions cérébrales diagnostiquées ! Tout le monde l’avait noté et les présidents s’étaient affolés. Les choses s’étaient améliorées, on avait constaté une diminution des blessures, et surtout les joueurs avaient pris conscience de ça. Et là on est quatre ans plus tard, on sort du Covid, le public est de retour, on a envie de se remettre à jouer et les instincts reviennent de façon importante. Et on s’aperçoit que depuis quelques temps, le plaquage haut, qui avait tendance à diminuer, est en train de remonter. Donc je crois qu’il faut remettre un tour de vis."
Le sujet est actuellement sensible, ses conséquences importantes. La Ligue Nationale de Rugby, qui n’a pas souhaité s’exprimer malgré nos demandes, précise toutefois qu’il n’y a pas eu plus de plaquages dangereux cette saison que la saison dernière (en 75 matches de Top 14 et de Pro D2, 8 situations de plaquages ou charges dangereuses en 2021/2022 pour 8 cartons rouges, contre 8 plaquages la saison dernière et 9 la saison précédente), mais à l’inverse, que depuis des mois les sanctions sur ces situations sont bien plus lourdes (5,25 semaines cette saison en moyenne contre 3,5 semaines les deux dernières saisons). Elles planeront sur les prochains matchs. Personne n’osera s’en plaindre, si la santé des acteurs de ce jeu s’en trouve préservée.