Toulon: la révolte des supporters contre les choix de la direction

Devant le Stade Mayol où Toulon affrontera ce samedi à 17h Perpignan, un nom revient inlassablement dans la bouche des présidents de différents groupes de supporters du RCT : Louis Carbonel. L’annonce du départ de l’enfant du pays pour Montpellier à la fin de la saison passe mal. "On nous avait vendu le projet du RCT autour de la formation et Louis Carbonel en était la tête de gondole c’est pour ça qu’on a du mal à comprendre son départ", regrette Patrick Cornet des Mordus du RCT après avoir dévoré les pages jaunes du Midol consacrant un édito à la semaine folle de leur club fétiche.
"On se demande comment on va pouvoir trouver un 10 de son niveau." Julien Perpère des Fils de Besagne embraye : "On demande de la cohérence parce qu’on nous expliquait que la génération menée par Carbonel était celle qui allait permettre au club d’exister au plus haut niveau mais aujourd’hui il n’en reste plus beaucoup." Plus qu’un simple joueur, l’international français arrivé dans le club varois à 6 ans risque de laisser un grand vide "Louis c’est quatre titres dans les catégories jeunes du club, c’est un minot attachant. Sa volonté numéro une était de rester à Toulon, le choix de son départ vient de la direction, il était d’ailleurs encore sous contrat. Les raisons de ce départ nous interpellent et nous heurtent."
Mercredi, lors d’une conférence de presse exceptionnelle, Bernard Lemaitre s’était expliqué. "Nous sommes fiers du parcours de Louis ici, depuis l'école de rugby jusqu'à l'équipe première et même l'équipe de France", avait-il d’abord reconnu. "Mais sommes dans un monde professionnel, avec des aléas, des choix de carrière à faire, des décisions à prendre avec rationalité et en tenant compte des desiderata des joueurs. Les décisions ne peuvent pas se prendre qu'avec le cœur. Je n'ai rien personnellement contre Louis, on se croise tous les jours, on se sourit, on se serre la main." A quelques mètres de l’entrée du Stade Mayol, sur la rade, l’ex-joueur et entraîneur de Toulon Aubin Hueber déplore lui aussi la fuite des joueurs formés au club : "C’est évident que ça ne fait jamais plaisir de voir partir un pur produit du RCT mais il y a certainement des raisons, on n’est pas à l’intérieur du club, on ne peut que constater. Quand j’étais entraineur des moins de 20 ans de l’équipe de France en 2019, lorsqu’on gagne le Mondial, j’avais six Toulonnais. Aujourd’hui, il n’en reste plus que deux (Gros et Smaïli)."
"Des couteaux dans le dos à chaque fois"
Au-delà des départs, c’est la communication des dirigeants qui est visée. On s’approche des 20 degrés pour un matin de mi-février, le radieux soleil varois ne fait pas pour autant décolérer Thierry Vrevin du Mayols Club. "Il y a plein de projets, de belles idées mais la communication ne suit pas", s’agace l’homme aux cheveux longs, lunettes de soleil sur le nez, devant un graffiti représentant le portrait de l’ex-président Mourad Boudjellal dans un coin du stade Mayol. "Notre but c’est de faire venir les supporteurs au stade mais les éléments que nous donne le RCT… c’est limite des couteaux dans le dos à chaque fois." "Bernard Lemaitre n’a peut-être pas encore compris où il était", avance Julien des Fils de Besagne.
"Oui à Toulon, on est dans l’exagération mais la communication est maladroite. Il y a eu des sorties sur Facundo (Isa) et Eben (Etzebeth) et aujourd’hui il n’apporte pas les réponses aux supporters toulonnais. Quand on demande qui sera numéro 10 derrière Louis on nous explique qu’on verra qui il y aura sur le marché des transferts dans trois mois, on ne peut pas gérer un club comme ça." Aubin Hueber préfère lui défendre Bernard Lemaitre, directement visé par une partie des fans. "Malgré son âge (83 ans) c’est un jeune président. Il faut avoir beaucoup de respect pour cet homme car sans lui je pense que sur l’aspect financier il y aurait eu des soucis. Il a peut-être sauvé le club d’une descente financière, il a beaucoup investi dans le Campus, je pense qu’il faut être à son soutien. C’est un président qui a de l’ambition pour ce club. Des gens qui investissent comme lui il n’y en a pas beaucoup, je crois qu’il faut l’accompagner."
Mourad Boudjellal, l'appel au calme
Sondé sur le contexte tendu à "l’OM du rugby" dixit Hueber "pour la passion", Mourad Boudjellal espère voir le climat s’apaiser. "Le moment est arrivé de se taire et de gagner, le club a besoin de calme", affirme celui qui était à la tête du RCT lors des trois titres européens (2013, 2014, 2015). "Un club de rugby, ce sont des personnes qui ont envie de vivre des choses, de se battre et de créer une histoire ensemble. C’est le cœur qui doit parler, tant qu’il n’y a pas d’âme ça ne marchera pas." Bien qu’agacé ces derniers jours, Patrick des Mordus croit lui aussi en l’apaisement. "Ce moment est un épiphénomène dans la vie du RCT", sourit celui qui suit le club depuis 50 ans. "Le slogan du club c’est : ici, tout est différent. On le justifie encore plus actuellement. Ici, on est sanguin et on réagit vite mais je pense que ça va s’aplanir. Si les résultats sont là, tout le monde va oublier."
Pour Christophe, il n’est même pas question d’oublier. Patron du restaurant Le Narval proche de la gare, il est aussi l’homme qui lance le célèbre Pilou-Pilou avant chaque rencontre à Mayol. Excédé par la colère de certains supporters et les messages agressifs lus sur les réseaux sociaux à l’encontre des Rouge et Noir, il ne comprend pas. "Il faut rester à sa place de supporteur. Il y a un président, des dirigeants et on doit respecter l’institution RCT", explique-t-il entre deux services. "Il faudrait supporter au lieu de se plaindre de certaines décisions qui ne nous conviennent pas ou de tourner le dos au club. Je me souviens de décisions prises par Monsieur Boudjellal qui n’avaient pas convaincus tout le monde et il a réussi à avoir des résultats qu’on connait."
Pierre Mignoni entre espoirs et doutes
Au milieu de la tempête, une éclaircie : l’arrivée annoncée de Pierre Mignoni dans le staff du RCT pour la saison prochaine. L’actuel manager de Lyon connaît la maison pour y avoir fini sa carrière de joueur et entamé celle d’entraîneur, il est toujours apprécié dans le Var et le voir revenir au club ravit les supporters. Alors que le dernier entrainement avant Perpignan vient de se terminer à Mayol, les Présidents de clubs de supporteurs sont toujours réunis devant l’entrée principale du stade quand Franck Azéma, l’entraineur toulonnais vient à leur rencontre.
"J’ai échangé avec Pierre, il est très enthousiaste", lui lance Patrick. "Je trouve que le projet est très beau, j’espère juste qu’il n’y en a pas un qui va bouffer l’autre", enchaîne Thierry. "Le challenge il est là" leur répond Franck Azéma. "Je ne pense pas que chacun va faire les choses pour soi-même, c’est pour ça que je suis aussi excité de le faire avec lui. Personne ne nous a forcé à faire ça, par contrainte, pour de l’argent ou autre, on n’a pas d’intérêt à faire ça. Si on le fait c’est qu’on sent que ça va apporter après il reste à le démontrer. C’est là qu’on verra si on est bon."
Quelques politesses s’en suivront avant que le coach retourne à ses occupations. De son côté, quand il s’agit d’aborder la future paire sur le banc toulonnais, Mourad Boudjellal se montre réticent. "Même si j’espère que ça va marcher je suis assez sceptique", avoue-t-il à RMC Sport. "J’ai l’impression qu’il (Bernard Lemaitre) peut déjà préparer le chèque pour Azéma. Je connais Pierre Mignoni, c’est un leader, quelqu’un de très bon, je ne sais pas si on peut faire cohabiter deux personnes comme ça dans le club. Qui sera responsable des victoires et des défaites ? Qui avec les joueurs prendra les décisions, qui décidera des transferts, des plans de jeu, de la façon dont jouera l’adversaire ? Il faut un seul patron, il ne peut pas y en avoir deux." Pour l’heure, sur le banc du moins, il n’y en a qu’un, bien décidé à relancer la machine varoise.