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XV de France: Melvyn Jaminet, une ascension vitesse grand V

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En l’espace de quelques mois, le Hyérois Melvyn Jaminet a connu une première saison en Pro D2, un titre de champion, une tournée en Australie avec l’équipe de France, avant même d’avoir découvert le Top14. Et il portera encore le numéro 15 ce dimanche (14h) contre la Géorgie en test-match. Reportage sur les traces de la révélation de l'année.

"Haut, très haut". Quand on demande jusqu’où peut aller Melvyn Jaminet à son père, ce dernier ne fixe aucune limite. Il le sait prêt à surprendre, encore et toujours. Ex-rugbyman en deuxième division à la Vallée du Gapeau, dans le Var, Hervé a transmis sa passion à ses trois fils et avec réussite. Kylian, 25 ans, évolue en Pro D2 à Nevers, Dylan, le dernier, 19 ans, joue sous les couleurs de l’USAP, tout comme Melvyn. A 22 ans, le deuxième de la fratrie vit un rêve éveillé. Un an et demi après son premier match professionnel avec Perpignan à Rouen, il s’installe petit à petit au poste d’arrière en équipe de France. Pourtant, adolescent, il était tout proche de tout plaquer.  

Trop petit pour le RC Toulon 

A six ans, alors qu’il commençait à se rêver pilote de chasse, le petit Melvyn fait ses premiers pas de rugbyman à Toulon. "Ah c’était une petite merveille déjà", se souvient Richard Rappalino, directeur technique de l’école de rugby entre 2000 et 2010. Vitesse, vision de jeu, jeu au pied, c’était déjà au-dessus de la moyenne." Ajoutez à cela une force d’exécution mentale "en plus d’avoir un coup de pied d’adulte à 7 ans, il savait anticiper. Ça se voyait aussi lorsqu’avec ses frères on s’amusait à faire des calculs simples, il allait parfois plus vite que moi", rappelle Hervé, son père.

Melvyn apprend à aimer le rugby, se fait ses premiers copains d’ovalie. "Avec Louis Carbonnel, c’était la grande amitié, sourit Richard Rappalino. Il voulait jouer en charnière avec lui mais malheureusement les éducateurs mettaient quelqu’un d’autre en numéro 9." Car si le garçon surprend techniquement, il pêche physiquement. En dernière année de minimes, les autres enfants ont grandi mais pas Melvyn. Son temps de jeu en pâti. "Les entraîneurs étaient un peu frileux, j’ai eu des discussions avec certains en leur disant que ça allait venir car je fondais beaucoup d’espoirs en lui mais à 14-15 ans, ç’a coincé à Toulon", explique l’ex-dirigeant.

"La déception a été forte, témoigne Hervé, le père. C’a été un moment difficile dans sa vie parce que physiquement, il était en-dessous de tout le monde et s’en apercevait. Nous aussi. On n’était ni petit ni maigre dans la famille, il devait y avoir une éclosion à un moment." Le mal est fait, l’adolescent perd goût au rugby quelques mois avant de rejouer avec ses copains d’école à la Vallée du Gapeau où "il était de loin le meilleur de l’équipe et tout le monde le savait", assure Maxime Toulis, un ami d’enfance dont les parents sont amis des Jaminet avec qui il part régulièrement en vacances. "Il était déçu car il avait toujours voulu jouer à Toulon. Il voyait de gros joueurs passer par le club, ça lui donnait des idées mais le destin a fait qu’ils ne l’ont pas conservé." Son grand frère Kylian confirme: "C’est vrai qu’on a eu la chance de voir des stars à Toulon. On voyait à Mayol les Wilkinson, Armitage, on rêvait d’y jouer tout en sachant qu’il y avait une énorme concurrence mais on a chacun fait notre chemin." 

"Il a un super pouvoir"

Après son premier entraînement à la Vallée du Gapeau, Hervé demande à son fils comment s’est passée la séance. Le gamin a retrouvé le sourire. Il partage une saison avec ses amis, goûte à nouveau aux plaisirs du jeu et de la vie de groupe puis s’engage avec Hyères Carqueiranne, club par lequel est aussi passé son papa. Là-bas, à une vingtaine de kilomètres de Toulon, Grégory Le Corvec, coach de l’équipe première, décèle rapidement ses qualités: "Il allait vite et avait surtout un très bon jeu au pied. C’était un super pouvoir, une faculté à mettre des points facilement et sur des longues distances. C’est facile pour lui, c’est inné."

Pour autant, le jeune homme de 18 ans enchaîne les belles performances en Espoirs sans être convoqué avec l’équipe première. "On montait de Fédérale 2 et dès que le club montait, on redescendait aussitôt. On voulait se maintenir absolument et il y avait des joueurs plus aguerris que lui avec plus d’expérience, reconnaît Le Corvec. J’ai hésité trois ou quatre fois à le mettre sur la feuille de match, il le méritait." Conscient qu’il tient dans ses rangs un joueur de talent, l’ex-troisième ligne décide de contacter Perpignan, un club qui lui tient à cœur après y avoir disputé plus de 200 matchs. "Si je pensais à moi bien sûr que je l’aurais gardé mais à son âge et avec ses qualités, il fallait le mettre en relation avec un club professionnel pour qu’il continue de passer des paliers, de jouer avec de meilleurs joueurs, appuie Le Corvec. Il a pris la pleine mesure de son potentiel et on est tous contents pour lui." 

Révélation de l’année et première convocation en Bleu  

A Perpignan, Melvyn connaît une première saison de Pro D2 tronquée par l’interruption du championnat suite à la pandémie de la Covid après avoir disputé son premier match professionnel. Les mois suivants, il doute n’obtenant pas le temps de jeu espéré. "Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que ça allait venir et quand ça viendra ce sera le bon moment et puis voilà, il a explosé", résume Kylian, battu par son petit frère à Nevers avant de se blesser aux ligaments la saison dernière.

C’est d’ailleurs après ce duel fraternel que le deuxième des fils Jaminet a commencé à enchaîner les matchs pleins. "En début de saison déjà je lui ai dit de se préparer à aller plus loin car je voyais ses grosses qualités, rembobine Hervé. Il ne me croyait pas, disait que le bond était énorme, il ne prenait pas conscience de ses performances." L’arrière formé à l’ouverture termine la saison affichant 294 points à son compteur personnel dont 23 lors de la finale du championnat face à Biarritz le sacrant champion de deuxième division (il sera quelques jours plus tard, lors de la Nuit du Rugby, élu meilleur joueur de l’année en Pro D2 et révélation de la saison).

A l’issue de la rencontre, Hervé est appelé par son fils à venir dans le vestiaire: "C’était un moment particulier, je revivais cette joie de groupe, l’odeur d’un vestiaire puis à un moment je vois un des dirigeants le prendre à part. Mel’ faisait une tête bizarre, je ne comprenais pas car c’était un grand moment de joie et de fête, je viens de lui demander ce qu’il se passe et il m’a répondu, je crois que je vais être appelé en équipe de France. Je pense qu’il n’a percuté qu’une heure après, il n’était pas du tout prêt à ça." La nouvelle est officiellement confirmée quelques jours plus tard, Melvyn Jaminet est appelé par Fabien Galthié à disputer sa première tournée avec les Bleus en Australie sans même avoir disputé la moindre minute de Top 14.  

"J’ai demandé à mon ami de me pincer pour voir si je ne rêvais pas"  

Pour son premier match sous le maillot frappé du coq, le 7 juillet dernier, il rentre une pénalité lointaine et débloque son compteur en sélection mais est pointé du doigt pour une action brouillonne en fin de match faisant perdre le match aux Bleus (21-23). "Le haut niveau, ça va très vite et dès qu’on fait la moindre erreur ça se paie cash, regrette Kylian. Il n’était vraiment pas bien, on a essayé de l’encourager en famille en lui disant que ce n’était pas vraiment de sa faute, que ce n’était pas lui le fautif. Après je pense qu’ils ont fait une petite soirée en Australie, il a pu oublier cette petite boulette et passer à autre chose. Le deuxième match, il a mis tout le monde d’accord et a su faire taire les critiques."

Pas de quoi surprendre son père: "Ce qu’il s’est passé sur le premier match fait partie des conséquences de jeu. Il s’est vite remis en question et a prouvé qu’il savait rebondir à chaque fois. Quand on regarde ses matchs on peut voir que quand il fait une erreur il se rattrape deux ou trois fois et en beaucoup mieux que l’erreur qui vient de se produire." Le constat est là, le buteur fait un sans-faute au pied lors du deuxième match inscrivant 23 des 28 points français pour ce qui représente la première victoire tricolore en terres australiennes depuis 1990.

"Jaminet est une véritable pépite", lancera alors son sélectionneur Fabien Galthié. Homme du match samedi dernier lors du succès contre l’Argentine pour son premier match en France avec le maillot bleu, Melvyn a de nouveau rendu fier son père: "En arrivant au Stade de France, j’ai demandé à mon ami de me pincer pour voir si je ne rêvais pas. C’est indescriptible, c’est un plaisir, une joie, des émotions… c’est très fort." Titulaire face à la Géorgie ce dimanche à Bordeaux (14h), il devrait aussi être aligné contre la Nouvelle-Zélande la semaine prochaine, un autre grand moment dans sa carrière.

L’évocation du rendez-vous fait sourire Hervé: "Je ne l’ai pas vécu, lui va peut-être le vivre. C’est énorme, il n’y a pas d’autres mots. Les Blacks depuis l’ère des temps sont une équipe énorme. Je pense que ça va être exceptionnel". Depuis Toulon, Richard Rappalino, l’ex-directeur technique de l’école de rugby du RCT, sera devant l’écran, certainement un poil amer: "C’est sûr que j’ai un peu de colère de savoir qu’on l’a lâché. On peut se tromper, faire des erreurs, mais je pense que vu le potentiel qu’il avait on aurait pu l’entourer un peu plus et être un peu plus patient." Mais Melvyn Jaminet n’a pas le temps, il file à toute allure.  

Clément Brossard