France-Irlande (U20) : à la découverte de Marko Gazzotti, le crack des Bleuets

"Notez Marko, avec un K" : Sinilga (appelez-la Sini) Gazzotti hésite à livrer cette précision. Mais elle insiste quand même, de sa petite voix, agrémentée d’un reste d’accent, venu de l’est qui trahit l’importance de l’orthographe. Il signe en effet la double culture du rejeton : "Avec son papa (Frédéric), quand nous avons décidé du prénom, j’ai demandé de mettre cette "touche" qui me ramène à mes origines, car chez moi, le "C" s’écrit "K". Chez elle, c’est la Lituanie, ce pays balte qu’elle a quitté en 1999 pour suivre ses études dans l’Hexagone, même si elle se dit Savoyarde. "J’ai passé la moitié de ma vie dans cette région, ici à Aix-les-Bains" , précise-t-elle.

Francophile ("j’ai appris la langue à l’école car je voulais voyager") puis francophone ("j’ai fait une année de fille au pair en Corse"), Sini Pétrauskaïté de son nom de jeune fille décroche un BTS d’action commerciale à l’Université de Savoie avec, en parallèle, un retour à sa passion, le hand, discipline où elle a "joué à tous les postes, sauf gardienne", sourit-elle.
>> Suivez la finale de la Coupe du monde U20 France-Irlande
Le rugby grâce à son père, l’envie de jouer grâce à sa mère
Cinq ans après son arrivée en France, elle donne naissance à Marko, le 24 septembre 2004, lequel hérite des gènes "sports" familiaux : le papa l’inscrit là où il jouait quelques années auparavant, au Football Club Aix-les-Bains (FCA), le club de… rugby de la ville depuis plus de 120 ans ; et la maman lui lègue son irrépressible envie de jouer : "Il est toujours à l’heure, volontaire, discipliné, un régal à avoir dans son groupe et une mine d’or de bons moments, témoigne Bernard Janin, l’un de ses éducateurs à l’école de rugby qu’il fréquente de 5 à 14 ans sur les terrains dessinés sur l’hippodrome de la ville thermale. C’est un modèle du genre." Sini complète : "Un jour, je l’emmène au stade et ses éducateurs annulent au dernier moment, car il neige. Lui, il veut aller sur le terrain, mais personne n’est là pour encadrer ! Il est inconsolable toute l’après-midi."

Un ami du couple, Laurent Cavaillé, président du club résume : "Son père l’a amené au rugby et sa mère lui a transmis les valeurs du haut niveau, parce que pour s’imposer, elle qui débarqua de Lituanie en Savoie, ce ne fut pas simple tous les jours dans son intégration. Il possède indéniablement sa force de caractère." Et sa détestation de l’échec : "En U8 et U10, un placage raté le met dans une rage folle", dit encore Laurent Cavaillé.
Laurent Vialettes, patron de l’école de rugby s’enthousiasme : "C’est un diamant que je vais voir en tournoi, il se balade, traverse tout le terrain. Il est clairement au-dessus des autres avec une vitesse et une explosivité que j’ai rarement vues." Les souvenirs tout frais – il reste licencié au club de 2010 à 2019 – se colorent toutefois déjà de teintes "légendaires" au bord du lac du Bourget mais Franck Corrihons, le patron du centre de formation de son autre "Football Club", celui de rugby de Grenoble tempère : « Il n’est pas « stratosphérique » non plus, coupe l’ex-arrière et manageur du FCG. Oui, notre cellule de détection sur le sillon alpin – les deux Savoie et l’Isère – le repère et le fait venir. Nous savions qu’il allait jouer, mais de là à casser la baraque… Je n’aurais pas mis ma main à couper qu’en deux ans, il arrive à ce niveau, d’autant qu’il y a toujours, à cet âge les interrogations sur son adaptation : il quitte sa famille pour un internat ; il passe de deux séances par semaines à six…"

"Il fait tout à 200%"
Ce à quoi, vous ajoutez pour Marko Gazzotti, comme pour toute sa génération 2004 qui intègre la formation grenobloise réputée – 14 joueurs évoluent en Top 14 cette saison – un petit virus qui grippe tout le monde : le Covid. Son cortège de confinements, de gestes barrières et de distanciations sociales complique tout ! Franck Corrihons rembobine : "Sa première année Crabos, il ne joue que deux matches. Puis, pendant 18 mois, il multiplie les séances individuelles et physiques." A une période presque blanche entre 2020 et 2021 dans l’après-covid-19, succède désormais une avalanche de matches, avec une addition qui compilent toutes les rencontres des juniors au Tournoi des VI Nations avec la France, sans oublier les Espoirs et quelques feuilles de match en Pro D2.
Au final, telle une résilience bienvenue, le jeune Savoyard se nourrit de cette adversité mondiale, muscle son corps et son jeu : "Il est tellement auto-déterminé, il sait tellement où il veut aller. Il a tellement tout cela dans son regard qu’il brûle les étapes désormais, clairement." Une trajectoire marquée du sceau "famille" : "Il fait tout à 200%, sourit Sini, la maman. Il est comme moi, je crois. Je voulais à tout prix réussir en France, alors j’ai toujours tout fait pour y arriver. Et je crois que cela a marché…"
Pour lui aussi et sans esbroufe : « Après la demi-finale gagnée face aux Anglais, quand je l’ai au téléphone, je lui demande car cela m’intrigue vraiment : "dis Marko, pourquoi je ne te vois pas sur les vidéos de joie dans le vestiaire. Tu es où ?" Il me répond : "Je me fous de cela, c’est le terrain, c’est jouer et gagner qui m’intéresse." C’est tout Marko, la discrétion et l’action d’abord. C’est un peu moi aussi…"

Il peut encore progresser sur ses passes
Et les autres ingrédients de la recette ? "Il est plus "sec" à l’époque que maintenant mais il n’a déjà pas peur : il plaque, se relève, une fois, deux fois, trois fois dans la même action. Il n’a jamais le frein à main" glisse Bernard Janin. "Il grandit à mesure qu’il grimpe une marche, laquelle finalement, n’est jamais trop haute. Il s’adapte immédiatement grâce à ce physique de dominant", poursuit Franck Corrihons. "Vu qu’il ne supporte pas d’être deuxième, il fait tout pour s’imposer et être au niveau des autres", juge Laurent Cavaillé.
Sans oublier ses yeux qui dessinent son ambition : « Au premier abord, il fait "froid" avec son regard sombre, il faut aller le chercher un peu, décrit Franck Corrihons. Il est droit, honnête, intègre dans son implication dans le travail. Mais il donne beaucoup, beaucoup, beaucoup…" Peut-être trop ? "S’il veut avoir une carrière longue, il doit un peu se ménager." Et travailler son point faible repéré à l’école de rugby : "Techniquement, il n’a pas une passe monstrueuse", se souvient Bernard Janin. "Surtout sa passe main gauche et ses sorties de mêlée", complète Franck Corrihons.
Mais pour le reste, qu’il ne change rien. D’ailleurs, il ne change rien : "Face à l’Angleterre, je lui ai vu faire ce qu’il faisait avec moi notamment dans sa dernière année de U14, se souvient Bernard Janin. Vu qu’il refuse reculer, les adversaires tentent de "l’agacer". Mais lui ne disjoncte pas. Par contre, sur le placage suivant, il l’ajuste plus puissamment. Il fait ainsi passer un message dans les règles de l’art." Et il joue au policier : "Face aux Anglais, il l’a fait comme il le faisait dans un de nos matches », note l’éducateur savoyard.
Dans le viseur de Toulouse et de l’UBB
Il faut désormais gérer la suite. Ses études d’abord : "Avec l’année chargée au niveau compétition, il n’a pu faire ce qu’il voulait – gestion financière – après avoir décroché le bac en juin 2022", dit sa maman. Sa carrière : "Il a choisi son agent tout seul mais je sais que sa priorité, c’est jouer, jouer et jouer. Nous allons le laisser tranquille", ajoute-t-elle. Là ce sera sûrement le papa qui va avoir un avis sur les propositions qui commencent à affluer, alors que l’UBB et Toulouse murmurent à son oreille depuis de longs mois : "Il fait partie de cette génération un peu impatiente, forcément, constate Franck Corrihons. Mais il a montré l’an passé qu’il était resté avec nous." A moins que l’autre club puissant de la région, le LOU ne s’intéresse aussi à lui depuis la nomination au poste de directeur sportif de Fabien Gengenbacher, l'ex-patron du sportif de la capitale des Alpes !
En sachant qu’il y a les réalités économiques aussi d’un club, le FCG qui a sauvé in extrémis sa place en Pro D2 avec une révolution de palais plaçant un nouveau président, Patrick Goffi, à sa tête depuis le 10 juillet. Et dès sa première prise de parole, le dossier Gazzotti s’invite dans le jeu des questions-réponses de sa première conférence de presse.
"On est dans une guerre économique, certains (clubs) font de la surenchère et proposent des sommes astronomiques aux joueurs, explique Patrick Goffi. Après, c’est aussi la capacité à lui donner confiance. Pour avoir discuté au mois de mai avec lui et son agent, il n’est pas du tout dans une logique de départ. Mais c’était avant toutes les péripéties du club. Il est un joueur jeune, brillant, qui doit encore apprendre. Il a été très déçu qu’on l’ait oublié sur les phases finales, notamment la finale (de Pro D2 face à Oyonnax)."
Bientôt champion du monde U20 ?
Et voilà que s’avance, la suite, la plus immédiate : cette finale mondiale : "Un gamin de l’école de rugby qui serait champion du monde, ce serait tellement une fierté pour le FCA, s’enthousiasme le boss, Laurent Cavaillé. Mais c’est déjà un modèle d’autant qu’un autre jeune, de 2005, fait lui les beaux jours des U18 français, Léo Boullier."
Dans l’avant-match, Sini Gazzotti ne va rien chambouler de son rituel : "Un simple SMS, toujours court, détaille-t-elle. Nous avons parlé une demi-heure mardi mais ensuite, je le laisse tranquille. Et cela va être deux mots : "bon match." Rien de plus." Et l’angoisse des parents ? "Je ne me fais pas de soucis pour lui car je connais la somme de travail mise pour y arriver et je sais par avance les efforts qu’il fera pour faire gagner ; c’est plus pour l’équipe que j’ai peur. J’ai juste envie qu’il gagne. Point."
Victoire qui signifierait un titre de champion du monde : "On en parlait avec lui mardi, il a fait des recherches et il a trouvé trace du rugby en Lituanie seulement avec un match face à la Suède en 1993. Quand j’en suis parti, je ne savais même pas que ce sport existait." Et encore moins que son fils en serait l’acteur d’une finale mondiale, trente ans plus tard …