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"J’ai rendu la médaille à Gaël Fickou": Pierre-Louis Barassi revient sur son Tournoi des 6 Nations et son évolution

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Quasiment trois semaines après sa sortie sur commotion en Irlande avec le XV de France, qui lui a fait louper le dernier match du titre face à l’Ecosse, à l’issue duquel son coéquipier Gaël Fickou lui avait donné sa médaille de vainqueur, le trois-quarts centre Pierre-Louis Barassi a de nouveau été autorisé à reprendre l’entraînement cette semaine avec le Stade Toulousain. L’épisode de Dublin, son premier Tournoi des 6 Nations avec un statut de titulaire, son évolution ces derniers mois au sein d’une concurrence exacerbée, Barassi s’est livré à RMC Sport. Avec franchise et pas mal de recul le concernant.

La première question qu'on a envie de vous poser Pierre-Louis, c'est comment allez-vous ?

Ça va. Ça va beaucoup mieux. Petit choc, un peu gros même, contre l'Irlande. J'ai eu une semaine de repos total et après, j'ai repris petit à petit le sport sur la deuxième semaine. Ça tombait bien parce qu'Ugo (Mola) nous a un petit peu ménagés. Donc voilà, de nouveau d'attaque cette semaine pour la reprise du top 14.

Comment se sont passées les heures après le choc ? Est-ce que cela a été rude à encaisser ? Il y a des protocoles, peut-on expliquer comment cela se passe ?

En fait, en gros, le protocole c'est le médecin de match qui décide de le faire ou non. Moi, il y a eu une commotion qui a été avérée. C'est-à-dire qu'en théorie, je n'avais pas vraiment le droit de rentrer puisqu'ils ont vu le choc. Et c'est à l'appréciation des médecins de match. Moi, après le choc, j'étais quand même un petit peu vaseux, je n'étais pas terrible. Puis après, le soir et la journée qui a suivi, on me demande de ne pas trop faire d'écrans, pas trop de son trop fort non plus car ça peut déranger. Mais après, petit à petit, ça rentre dans l'ordre. J'ai eu des compléments alimentaires, j'ai bien été suivi par le neurologue et par l'ensemble des staffs médicaux. Mais sur le moment, c'est vrai que ce n'est pas du tout agréable. En plus, je me suis un petit peu ouvert la lèvre. J'ai pris quelques points de suture. Mais bon, j'ai bien été suivi, j'ai bien récupéré. Je ne serai plus aussi beau qu'avant, malheureusement, à cause de ma lèvre (sourire). Mais ça, c'est le risque du métier.

Presque trois semaines après, avez-vous revu l'action ?

Je l'ai revue le lendemain pour voir comment ça s'était réellement passé. Parce qu'en fait, je ne vois pas vraiment arriver le joueur. Je joue mon duel sur Henshaw, parce que je ne vois que lui à ce moment-là. Et en fait, là, on va dire que je subis la commotion et je ne vois pas vraiment d'où ça arrive. Donc, j'ai revu l'image parce que justement, il arrive un petit peu dans mon angle mort. Et honnêtement, elle ne m'a pas forcément impressionné parce qu'on prend des coups tous les week-ends. C'est un sport qui est très dur. Donc, ça ne m'a pas forcément impressionné. Je pense juste qu'il tape au mauvais endroit, il manque un peu de maîtrise. Et c'est ça qui fait que le choc est impressionnant et que ça m'a un petit peu sonné. Mais je pense qu’aujourd’hui c'est juste, les règles font qu'il n'a pas le droit de venir taper dans la tête. Après, je ne rentrerai jamais dans un débat "rouge, pas rouge". Ce n'est même pas du tout mon rôle. Mais en tout cas, moi, aujourd'hui, ça va bien. Je ne suis pas impacté par ça. Je me suis reposé, je me suis régénéré. Et voilà, je suis content de reprendre.

La Fédération française de rugby a demandé la citation de l’ailier irlandais Calvin Nash, mais le commissaire n'y a pas accédé. Votre coéquipier Romain Ntamack s'est également exprimé sur la situation, tout comme le vice-président de la FFR, Jean-Marc Lhermet, qui a marqué son désaccord. Mais personnellement, vous ne constatez visiblement pas de manques concernant la protection des joueurs ?

En fait, on finit par être confus parce que les règles là-dessus, elles changent tous les six mois. On ne sait plus ce qu'on a le droit de faire, pas le droit de faire. Un coup, c'est absorber le coup. Un coup, c'est juste un contact à la tête. Donc, en fait, c'est pour ça que je ne préfère même pas me prononcer là-dessus parce que je n'ai pas envie de passer pour un débile parce que les règles ont changé il y a trois semaines peut-être. Moi, aujourd'hui, ce que je peux contrôler, c'est ma santé et mon jeu. Malheureusement, je ne peux pas contrôler les instances de World Rugby et les suspensions ou non. J'ai envie de vous dire là maintenant, de toute façon, c'est passé. Moi, aujourd'hui, ce que je peux contrôler, c'est mon jeu et ma fin de saison et c'est ce qui m'importe réellement.

"On n'est pas sur l'estrade pour soulever la coupe"

Ne vous a-t-on pas quelque peu "volé" votre fin de tournoi ?

Ah si, je suis dégoûté. En fait, le sentiment que j'ai, c'est que pour un manque de maîtrise d'un adversaire, moi, je me retrouve un peu pénalisé parce que je ne peux pas postuler pour le dernier match. Je ne peux pas réellement profiter à 100%. Même si on est très heureux de gagner un titre et d'être dans le groupe, on est toujours plus heureux d'être sur le terrain pour ce moment de fête, qui plus est, au Stade de France, avec toute la famille qui fait le déplacement. Mais bon, c'est comme ça. Si je reste là-dessus, de toute façon, il n'y a rien qui pourra changer ce qui s'est passé.

Comment avez-vous vécu ce dernier week-end ?

On m'a invité à venir passer un moment avec les joueurs, la veille. Avant le match aussi. C'était très cool. Après, quand ils sont sur le terrain, on a hyper envie de jouer. Même si on fait partie de l'aventure, on n'est pas sur l'estrade pour soulever la coupe, donc c'est différent. Après, ça, je vais m'en servir. Comme je te dis, j'ai une fin de saison qui va être hyper dense. J'ai plein de choses à faire avec ce club. J'ai "switché" aujourd'hui. Je n'ai que des bons souvenirs de ce 6 Nations, de ce premier 6 Nations. Je sais ce qui a bien fonctionné, ce qui n'a pas fonctionné. J'espère que j'en sortirai grandi. En tout cas, je pense que ça va m'apporter un peu d'expérience.

Il y a eu une belle attention de Gaël Fickou à la fin du match France-Ecosse. Vous pouvez nous en parler ?

Oui, Gaël m'a donné sa médaille à la fin du match. Super geste. Gaël, je pense que tout le monde sait que c'est un mec extraordinaire. C'est un super mec, en plus d'être un grand joueur. Il m'a donné sa médaille. Après, je lui ai rendue parce que normalement, je suppose qu'on va recevoir des médailles de la Fédé. Mais ce n'est pas ma médaille, c'est la sienne. Il était là au bon moment, il a soulevé la coupe, il a joué le dernier match. On lui a donné la médaille, on ne l'a pas donnée à moi. Donc, même si le geste est incroyable, je lui ai rendue parce que c'est sa médaille et il la mérite aussi.

"Je me suis juste rappelé un petit peu mon parcours"

Pour revenir à ce statut de titulaire sur le Tournoi, comment les choses vous ont été présentées au premier rassemblement, fin janvier ? Il y a-t-il eu une discussion avec le staff ?

Il y a eu des discussions, mais il n'y a jamais eu d'officialisation avant la remise des maillots. Comme d'habitude, il y a tout ce qui se passe avant. Il y a de grosses séances, des oppositions à balles réelles. Il y a des indications, c'est vrai, mais on n'est jamais sûr à 100%. Il y a toujours une part de doute. J'ai vu que j'allais très certainement être dans le coup, mais je ne me suis pas emballé. J'ai joué mon jeu, j'ai profité aussi du fait qu'on vit un truc de fou. J'ai couru après pendant longtemps. Je ne me suis pas focalisé là-dessus, je me suis juste dit "kiffe" et on verra comment ça se passe après.

Comment jugez-vous votre Tournoi des 6 Nations ?

Ce n'est pas à moi de le juger. Il y a eu du bon, il y a eu du moins bon. Après, ce qu'on peut retenir, c'est qu'au-delà de mes performances individuelles, le rugby reste un sport collectif. On a gagné un 6 Nations sur une année impaire. Je pense que ça reste tout de même une bonne performance. Après, il y a des trucs à corriger, d’autres à retenir. On va dire que le bilan est positif parce qu'il y a un résultat à la fin, parce que c'est mon premier 6 Nations. Forcément, en étant compétiteur, on a envie que tout se passe de la meilleure des manières. Mais le sport, c'est aussi quelque chose de compliqué. En plus, sur le niveau international, chaque petit détail peut ouvrir une brèche pour l'adversaire, que ce soit en attaque ou en défense. Tous les petits détails sont encore plus importants. Donc, oui, bilan positif de par le résultat, mais encore cette envie et cette détermination pour aller chercher quelque chose de mieux, de progresser, parce que je sais que je peux faire mieux. Il y a une marge de progression qui est quand même importante. Donc, non, bilan positif.

Vous dites, "c'est mon premier 6 Nations". C'est-à-dire qu'à un moment, on a des étoiles dans les yeux au moment d'aller dans certains stades, de jouer ces matchs-là ? Profite-t-on de ça ?

Moi, j'ai particulièrement profité du premier match, parce qu'en fait, je me suis juste rappelé un petit peu mon parcours. Parce que ça n'a pas été difficile qu'en équipe de France. J'ai vécu, non pas des galères, parce que ce n'est pas des galères, mais dans le sport, ça peut être compliqué parfois. Des contre-performances, des moments sans jouer, des petits pépins physiques, même des périodes sans pépins physiques, mais où on n'est pas forcément hyper aligné, hyper bien. Donc, j'ai repensé à ces deux, trois, quatre dernières années avant de revêtir ce maillot bleu. Et j'avais une certaine satisfaction et un goût particulier.

Une telle marque de confiance, d’être titularisé sur l’ensemble de la compétition, est-ce que ça booste ou ça met plutôt une forme pression, afin de rester à ce niveau ?

Ça booste. Parfois, nous, joueurs, on peut justement se mettre la pression. Moi, le premier. Je pense que tous les joueurs le font. Maintenant, ce qui différencie les grands joueurs et les bons joueurs, des joueurs qui ne sont que de passage, c'est de réussir à vivre avec ça. Je travaille là-dessus tous les jours parce que c'est important pour moi de rester au plus haut niveau. Je vais dire plus que ça booste, même si la frontière est fine. Il faut se servir de cette pression de manière positive et pas que ça nous freine. Il faut que ça nous galvanise, tout simplement.

"Mon objectif principal, c'est de participer aux bons moments du Stade Toulousain"

Travailler là-dessus tous les jours, sur le terrain et en dehors ?

J'essaie d'écouter ce qu’on me dit. Dans mon entourage. Par exemple, il y a des personnes qui sont un peu plus impulsives, qui vont me conseiller de faire certaines choses qui, eux, jugent être bonnes, mais qui ne sont peut-être pas forcément bonnes. D'autres qui sont le total inverse. Personne n'est à ma place. J'essaie de prendre un peu par rapport aux autres joueurs, par rapport à ce que me dit mon préparateur mental, etc. Et de tracer mon chemin.

Est-ce compliqué ?

C'est compliqué, oui. Il y a des profils de personnes, des joueurs, qui sont des fonceurs, qui ne réfléchissent jamais. Il y en a d'autres qui se posent un peu plus de questions. C'est propre à chacun. Je ne vais pas dire que je me pose trop de questions, mais je ne vais pas dire que je suis un fonceur non plus. Je pense que je suis dans la bonne moyenne. De toute façon, c'est propre à chacun.

Est-ce qu'on peut dire que votre destin en bleu est quelque part lié à celui du Stade Toulousain ?

Oui. Pour être honnête, j'avais dans un coin de ma tête l'équipe de France cette année, mais mon objectif principal, c'était le Stade Toulousain. Parce que je ressors de deux années qui ne sont pas satisfaisantes pour moi. Même s'il y a eu du bon, il n'y en a pas eu beaucoup, mais il y a eu du très bien. Maintenant, l'idée, c'est de confirmer. De me rendre fier d'abord, et de rendre fiers mes partenaires et le club en continuant sur cette lancée. Mon objectif principal, c'est de participer aux bons moments du Stade Toulousain, chose que je n'ai pas pu faire l'année dernière. Voilà, c'est ce qui m'anime aujourd'hui, tous les jours.

Vous avez été beaucoup embêté par les petites blessures, mais n’avez-vous pas eu besoin de passer par un temps d’adaptation en arrivant à Toulouse ?

Il y a eu une adaptation, c'est certain. On va dire que j'ai tellement changé en deux ans. C'est un truc de fou. En fait, le Stade Toulousain, c'est très dur de rentrer dans ce club. C'est très, très dur. Parce qu'il y a une culture de dingue, vraiment ancrée. Ce sont les individus qui doivent vraiment s'adapter au système. Quand on regarde, il y a pas mal de joueurs qui ont du mal à s'intégrer à ce système, qui mettent du temps. Peut-être que j'en ai mis un peu plus. C'est mon chemin. Malheureusement, je ne l'ai pas choisi, mais j'ai changé beaucoup de choses en arrivant au Stade Toulousain. Du moins, sur la première année, j'ai commencé à comprendre certaines choses.

Quelles choses ? Concrètement, qu'est-ce qui est dur ?

En fait, déjà, ce qui est très, très dur au Stade Toulousain, c'est qu'il y a beaucoup de concurrence. Il y a une grosse émulation et il n'y a pas de cadeau. C'est la forme du moment qui prime. C'est la performance de chaque week-end qui nous fait démarrer, ou être remplaçant, ou regarder les mecs des tribunes. Cette compétition permanente, ça nous fait aussi élever notre niveau de jeu. Ça nous fait chercher des trucs ailleurs pour performer un peu plus, comme on parlait de "prépa" mental, etc. Tout ce qui va autour pour performer.

"Ce n'est pas que je ne suis pas le même joueur, c'est sûr, mais c'est surtout que je ne suis pas le même homme. Et je pense que c'est ça qui se ressent sur le terrain"

Ça veut dire que vous avez dû devenir un autre rugbyman ?

Oui, clairement. Quand tu arrives de Lyon, à 23 ou 24 ans, tu arrives à un âge où tu es hyper insouciant. Où tu tentais tout et tout réussissait. Là, tu es dans un club où tu l'es un peu moins. Il y a des gros noms, il y a des mecs qui sont pratiquement des stars de ce sport. Donc, tu arrives, tu dois t'affirmer en tant qu'homme, mais en tant que joueur aussi. Donc ça prend un certain temps. Et aujourd'hui, ça porte ses fruits. Mais après, ça va tellement vite dans ce sport que là, aujourd'hui, je te dis ça sur une interview. Et demain, je peux être "merguez" sur le terrain et passer deux mois au placard. Donc, c'est pour ça qu'il faut être vigilant et toujours chercher la performance. La concurrence est saine parce qu'on s'entend tous bien. Et franchement, il y a une belle ambiance dans le vestiaire. Ça se passe super bien. Par contre, je pense que personne n'a envie de laisser sa place ou de laisser son maillot à quelqu'un d'autre. Donc, c'est ça aussi qui fait qu'aux entraînements, il y a beaucoup, beaucoup de compétition. Mais après, en dehors, ça se passe très bien.

On a toujours expliqué que la culture de la gagne est exacerbée à Toulouse. Comment pourriez-vous en parler concrètement ?

Les entraînements. C'est la guerre. C'est la guerre ! On s'entraîne dur. Les jeunes poussent "de fou". Et on a des jeunes "de dingue". Et les vieux, ils ne veulent pas laisser leur goûter ! Tout ça, ça fait que, inconsciemment, ça nous tire tous vers le haut. Ce n'est pas que je ne suis pas le même joueur, c'est sûr, mais c'est surtout que je ne suis pas le même homme. Et je pense que c'est ça qui se ressent sur le terrain.

Pas le même homme, c'est-à-dire qu'il y a une prise de conscience ?

J'ai grandi aussi. Mais il faut aussi prendre conscience qu'on est des êtres humains. C'est pour ça que je mûris. Il y a des mecs qui mûrissent plus tard que d'autres. Il y en a qui sont très matures à 18 ans. J'ai des potes qui ont 30 ans qui ne le sont pas. C'est aussi propre à chacun.

Quelle est votre marge de progression sur le terrain ? Sur quoi axez-vous encore votre travail dans les mois à venir ?

Je n'ai pas d'axe particulier. J'ai tous les axes à travailler. Je n'ai pas de focus en particulier. Même si j'en avais, je ne le dirais pas là. Ce n'est pas l'endroit où il faut parler de ça (rires). Mais bien sûr, j'ai plein de marges de progression. Et je pense qu'on en a toujours.

Est-ce que votre avenir s'inscrit ici, à Toulouse ? On arrive au mois d'avril, vous êtes en fin de contrat et il n'y a pas eu d'officialisation de prolongation…

Je ne sais pas. Il faut voir avec le staff. Moi, je ne contrôle rien. Je suis joueur de rugby. J'ai des gens qui s'occupent de ça. Je vais donner les réponses bateau que les journalistes n'aiment pas. Mais je ne sais pas. Je ne peux pas savoir.

À presque 27 ans, estimez-vous être au bon endroit, pour vous épanouir ?

Aujourd'hui, je m'épanouis. Je prends du plaisir. Mais comme je disais tout à l'heure, tout va vite dans les deux sens. À l'instant T, je m'épanouis. Je prends du plaisir. Après, on verra ce qui se passera en suivant.

Propos recueillis par Wilfried Templier