"Je n’arriverai pas à mettre le frein": Gabin Villière se confie avant de faire son retour

Gabin, la première question qu’on a envie de vous poser est un peu attendue : comment allez-vous ?
Ça va. En grand forme. La vie continue. Je suis tout proche de la fin de ce long périple. Je suis pressé de voir la suite et de vivre cette fin de saison.
Vous avez connu des hauts et des bas. Comment vous avez préparé votre retour ?
Le fait qu’il y a eu plusieurs rechutes, à chaque fois j’ai eu la "chance" de revenir, de rejouer avec Toulon, de connaitre une rechute, de revenir avec Toulon, de revenir en équipe de France… C’est ce cycle-là qui a été compliqué à vivre. Parce que les blessures on y passe tous. Mais c’est vraiment l’enchainement qui a été compliqué. Et finalement, cette dernière blessure, avec l’expérience des précédentes, m’a permis de me focaliser sur le positif, sur moi-même, et sur mon retour. Parce qu’on joue pour gagner des titres et j’ai la chance de revenir au meilleur moment. Et c’est à moi d’être performant et d’être en forme pour ce retour.
Pour mémoire, vous vous blessez à la cheville en finale de Challenge Cup en mai et vous subissez trois opérations. Un retour à l’automne avec une fracture du péroné et de la main face au Stade Français. Et enfin cette nouvelle fracture du péroné à Capbreton, en préparation du Tournoi des VI Nations avec le XV de France. Est-ce qu’un tel enchainement peut faire douter de soi ?
Oui. Ça fait douter. La première fois, je me suis demandé si j’allais retrouver mes capacités rugbystiques. Parce qu’on s’arrête trois mois, on est un peu déconnecté du groupe. On se demande si on va réussir à revenir et à retrouver sa place. Donc il y a beaucoup de doute qui s’installe. Sur la deuxième, on se demande même si on va tout simplement pouvoir rejouer au rugby. Parce que c’est toujours la même cheville. Et même si ça n’est pas les ligaments et que c’est le péroné. Mais on se demande si ça va tenir, si ça va se réparer. Et sur la deuxième rechute au même endroit, j’ai réussi à prendre un peu plus sur moi. Je me suis un peu isolé. J’ai beaucoup réfléchi. Mais j’ai aussi beaucoup vu le positif. Ça n'a pas été moins compliqué, c’était assez dur, mais j’ai essayé de trouver du positif. C’était la faute à personne. Et il faut garder la tête haute.
Avez-vous encore des douleurs ? Des doutes ?
La troisième blessure m’a vraiment renforcé, endurci. Elle m’a convaincu que j’en étais capable : que j’allais revenir à 300%. Parce que mentalement j’en ai envie. Je n’ai pas envie d’abandonner. Ça fait partie du jeu. On joue parfois des matchs en étant blessé. Ce sont des choses avec lesquelles il faut composer.
Avant tout ça, 2021 c’était une opération de la cheville. En 2022, une fracture du sinus. Vous n’avez pas vraiment un jeu à l’économie…
Non, c’est vrai. Ces quelques mois m’ont même permis de réfléchir sur mon jeu. Je me suis posé des questions sur l’engagement que je pouvais avoir vis-à-vis mon poste. On a des ailiers qui sont plus dans l’évitement. Moi je suis plus dans les contacts, dans les rucks, dans des situations qui peuvent être un peu plus "risquées" pour les blessures. Mais ça fait partie de moi. Je n’arriverai pas à mettre le frein pour les matchs. Il faut que je fasse avec et que je m’adapte. Je dois bosser pour être assez fort pour encaisser tout ça.
Avez-vous travaillé cette approche avec quelqu’un ? Un psychologue ou quelqu’un pour vous accompagner dans votre réflexion ?
Oui, on a quelqu’un au club, avec qui on peut échanger, parler de nos doutes, nos peurs. Et ça permet de voir le positif et de ne pas tout dramatiser. Parce que ce qui est difficile, c’est de sentir inutile, de faire des tous petits progrès, de pas être sur le terrain. C’est ça qui est le plus difficile. Etre dans son coin, dans une salle de musculation, alors qu’on fait ça pour être avec les autres, de partager des moments. C’est ça qui est difficile, se retrouver tout seul. Mais heureusement on a de l’aide et des gens sur qui on peut s’appuyer.
Justement, la solitude du blessé est-elle difficile à accepter ?
Sur les neuf premiers mois, j’ai continué à aller au stade, même plâtré. J’avais besoin de voir les mecs, d’aller aux réunions, d’échanger avec eux. Et c’est quelque chose qui m’a fait du bien, de rester connecté avec tout ça. Ça a permis de libérer mon esprit. Mais sur cette dernière blessure, j’ai essayé de rester un peu plus tout seul. J’étais un peu en hibernation (rires), à me concentrer sur mon retour, cette dernière épreuve. Et malgré tout, j’ai une fin de saison, une grosse échéance à revenir. Je me suis concentré là-dessus. Et je veux revenir et apporter à ce groupe. Parce que c’est ça le but. Ce n’est pas juste de revenir de blessure. C’est de revenir et d’être performant, parce que sinon ça ne sert à rien.
On pense à quoi le matin en rééducation ? A un maillot bleu ? A un Bouclier de Brennus ? La coupe William Webb-Ellis ?
On voit des titres. J’en ai gagné quelques-uns avec Rouen. Alors je sais que ce sont des moments qui marquent une vie. Donc le matin, quand c’est dur, je pense à ça. Je pense à tous les sacrifices que je fais, et je me dis que ça vaut le coup ! Et il faut que ça vaille le coup. C’est une ligne de mire. Et cette ligne de mire, c’est aller chercher des titres, un Brennus, c’est gagner la Challenge Cup, c’est de participer et gagner la Coupe du monde. Ça m’a beaucoup motivé à bosser.
Dans votre malheur, cette blessure ne tombe quand même pas si mal. Vous allez faire votre retour au meilleur moment de la saison.
Je m’en suis rendu compte. Mais au début pas vraiment.
Est-ce que quelque part, vous auriez aimé vous préserver un peu sur cette fin de saison afin d’être à 100% pour la Coupe du monde ?
Pour ne pas vous mentir, je n’ai qu’une envie : c’est de rejouer au rugby avec Toulon et l’équipe de France. Je n’ai aucun doute. Je n’ai aucun doute vis-à-vis des blessures que j’ai pu avoir. Je n’ai jamais eu aucun doute. A chaque fois que j’étais sur le terrain, c’est que je m’en sentais capable. A aucun moment je ne me dis que je dois attendre, que je dois patienter, que je dois me préserver. Déjà il faut gagner sa place. Et ça passe par bien jouer en club. Je ne me suis jamais dit que je devais attendre ou faire attention.
Durant cette période, Toulon a joué. Le XV de France a joué. Est-ce que vous avez regardé les matchs ?
Oui et non. J’ai regardé tous les matchs, mais la télé a failli y passer plusieurs fois (rires) ! C’est toujours plus compliqué d’être derrière la télévision, de ne pas être acteur, de ne pouvoir rien faire. C’est des moments beaux quand l’équipe gagne. Mais c’est plus dur quand on perd. J’ai l’impression d’avoir vécu les mêmes émotions que les mecs sur le terrain. Ça n’a pas été facile, mais je n’ai manqué aucun match.
Quand vous regardez les matchs, vous regardez la concurrence ?
Je vais être honnête : l’objectif c’est d’être meilleur. Donc si je vois quelqu’un faire quelque chose que je ne sais pas faire, je bosserai pour y arriver. C’est un cercle vertueux qui fait que l’équipe de France a cette ossature et que tous les joueurs se tirent vers le haut.
A quelques jours de votre retour, quel est votre moteur ?
C’est de gagner des titres. Depuis que je suis à Toulon, c’est la première fois qu’on a notre destin en main. L’objectif et le mot d’ordre, c’est ça : prendre du plaisir et aller chercher des titres. Même si on adore jouer au rugby tous les week-ends, si on est là, c’est pour ramener des titres au club, au groupe.