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"L’INSEP, c’est le Graal ultime": le bastion du sport français fête ses 80 ans

Les locaux de l'Insep, le 5 avril 2024

Les locaux de l'Insep, le 5 avril 2024 - Icon/Firas Abdullah

L’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP) fête ses 80 ans ce vendredi. Cet établissement d’excellence a accueilli des légendes du sport qui ont marqué les Français. Mais, niché au cœur du Bois de Vincennes, à l’Est de Paris, ce lieu reste méconnu du grand public. Sportifs de haut niveau, entraîneurs, témoins de l’histoire ou nouveaux arrivants, ceux qui connaissent l’INSEP sur le bout des doigts nous livrent les secrets de cette institution. 

C’est au cœur du Bois de Vincennes que s’entraînent, depuis 80 ans, les meilleurs sportifs français. Reconnaissable à ses bâtiments en brique rouge, l’INSEP impressionne par sa réputation. Presque tous les grands champions français y ont passé une partie de leur carrière. C’est le cas de Jimmy Gressier, fraîchement sacré champion du monde du 10.000 mètres

"Pour moi, l’INSEP, c'est le royaume des sports", affirme-t-il. "C’est aussi le temple de la course à pied, on a la chance d’avoir une halle couverte avec une piste de 340 mètres sur laquelle on est bien contents de pouvoir s’entraîner quand il pleut ou qu’il fait froid! Les infrastructures sont incroyables, pour moi, ce sont les meilleures infrastructures qu’on puisse avoir. Tout est réuni pour la performance. J'ai adoré être ici pendant toutes ces années, ça m'a vraiment aidé à passer un cap et à me structurer en tant que sportif mais aussi en tant qu'homme. Je suis très reconnaissant envers l'INSEP."

La désillusion des JO 1960: un tournant pour l’INSEP

Des sportifs, l’INSEP en a vu passer beaucoup. Énormément, même. "Entre les athlètes présents à l’année, ceux qui sont venus en stage… C’est énorme, ce sont des milliers et des milliers d’athlètes!", estime Christophe Meunier, chargé d’archives et collections patrimoniales à l’INSEP. 

"Il faut savoir que l’établissement est dans la filiation d’une école militaire, l’Ecole Normale de Gymnastique de Joinville-le-Pont, qu’on appelle aussi 'Ecole de Joinville', qui voit le jour en 1852 et qui ferme ses portes en 1939", raconte celui qui connaît l’histoire du lieu sur le bout des doigts. "En 1945, il y a 80 ans donc, cet établissement qui était militaire devient un établissement civil avec l’inauguration de l’INS, l’Institut National des Sports, l’ancêtre de l’INSEP."  

Michel Rat, 88 ans, est le doyen de l’INSEP. Ancien international de basketball puis entraîneur de l’équipe de France, il a connu cette époque. eJ’ai découvert l’INS en 1956", raconte-t-il. "J’avais 19 ans et j’étais en équipe de France universitaire de basketball. J’ai vécu beaucoup de moments charnières pour l’institution, notamment après les JO de 1960." 

La France ne ramène que cinq médailles des Jeux Olympiques de Rome de 1960. Et aucune en or. Pour le Général De Gaulle, alors à la tête du pays, c’est une humiliation. "Si la France brille à l’étranger par ses penseurs, ses savants, ses artistes, elle doit aussi rayonner par ses sportifs", déclarait-il, à l’époque. "Un pays doit être grand par la qualité de sa jeunesse et on ne saurait concevoir cette jeunesse sans un idéal sportif." Le dessinateur de presse Jacques Faizant illustrera cette volonté de réforme dans un dessin devenu culte: on y voit le Général, en tenue de sport et valise à la main, en route pour les JO, marmonnant "Dans ce pays, si je ne fais pas tout moi-même…". 

Dessin sur l'INSEP et le général De Gaulle en 1960
Dessin sur l'INSEP et le général De Gaulle en 1960 © -

"C’est un épisode marquant de la vie sportive française", affirme Michel Rat. "Les personnalités nommées par le Général, dont le colonel Crespin, ont véritablement secoué le dispositif pour qu'il y ait des progrès et qu'il y ait un changement dans les mentalités par rapport à la préparation sportive en vue d’obtenir des médailles. Ils ont valorisé la compétition comme moyen de formation, avec l’idée que c’était via une confrontation à une adversité de haut niveau que les sportifs allaient progresser." 

Des innovations technologiques au service de la performance

Et il n’y a pas que les mentalités qui ont changé, en 80 ans. "A mon époque, l’INSEP c’était un peu un village", se remémore le doyen. "Maintenant, il y a un service médical, avec des médecins, des kinés, des psychologues, un service de recherche, des innovations technologiques…" 

Au fil des années, de nouveaux bâtiments sont sortis de terre. Le plus emblématique est sans doute la halle Joseph Maigrot, ce grand stade couvert qui semble veiller sur le site. "C’est l’antre de l’INSEP", affirme Christophe Meunier. "Cette halle recouvre une superficie de 9.100 mètres carrés. C’est un endroit incroyable avec une architecture en bois hors du commun."

Inaugurée par le Général De Gaulle en 1965, la halle Joseph Maigrot est mise à disposition des sportifs la même année. Piste d’athlétisme mais aussi de cyclisme sur piste, salles de musculation, unité de réathlétisation… "C’est vraiment un endroit symbolique de l’établissement", conclut Christophe Meunier.  

S’il y a quelqu’un qui connaît la halle Joseph Maigrot comme sa poche, c’est Adrien Taouji, l’entraîneur de Jimmy Gressier et d’Anaïs Bourgoin (entre autres). "J'ai découvert l'INSEP en 2007, en tant qu'étudiant", raconte-t-il. "J'ai aussi été surveillant de l'internat des mineurs, puis étudiant chercheur, entraîneur adjoint et maintenant entraîneur principal. Très sincèrement, pour avoir beaucoup voyagé, il n’y a pas meilleure structure d’entraînement que celle-ci. Tout y est réuni: on a une salle magique pour pouvoir s’entraîner dans de bonnes conditions toute la saison, de super machines de muscu… Mais ce qui fait vraiment la différence, ce sont les chercheurs et les innovations technologiques qui nous permettent d’optimiser les performances. En athlé, on utilise beaucoup la thermo room par exemple, pour s’adapter aux différents climats - comme celui de Tokyo, où ont lieu les championnats du monde en ce moment-même - mais aussi la cryothérapie. Et puis surtout, on a la chance d’avoir une Wavelight : une diode lumineuse qui permet de donner l’allure pendant une séance. Elle est souvent utilisée en compétition, pour donner l’allure d’un record par exemple. L’INSEP a su nous mettre à disposition cet outil très rapidement et c’est une chance, ça permet aux athlètes de l’appréhender pour l’utiliser le mieux possible en compétition."  

Parmi les innovations technologiques mises en place par l’INSEP, on trouve également des caméras présentes dans certaines salles (notamment celles destinées aux sports de combat) qui retransmettent en direct sur des écrans les mouvements des sportifs. "C’est ce qu’on appelle l’autoscopie", précise Christophe Meunier. "Ça permet à l’entraîneur et au sportif d’analyser les moindres mouvements produits pendant l’entraînement." 

"On sait qu’on n’est pas là pour rigoler"

Mais à l’INSEP, il n’y a pas que des salles d’entraînement. Il y a aussi des lieux de vie, et l’internat des mineurs en fait partie. Situé un peu à l’écart, dans l’un de ces bâtiments en brique rouge caractéristiques du lieu, il accueille les athlètes mineurs, toujours scolarisés. Thibault est l’un d’entre eux. A 18 ans, ce badiste est certes majeur mais scolarisé en terminale. "Comme j’étais en Pôle France l’année dernière, j’ai eu la chance de pouvoir diviser mon année de terminale en deux, pour pouvoir me consacrer au badminton", explique-t-il. "J’ai fait la première partie l’année dernière, et je viens de commencer ma deuxième année."

Arrivé à l’INSEP en septembre, le jeune homme se souvient du temps où il rêvait de ces murs. "Quand j’ai été sacré champion de France à l’âge de 10 ans, j’ai gagné le droit de visiter l’INSEP", explique-t-il. "C’était super stylé, j’avais trouvé ça magique. Mais jamais je n’aurais imaginé que j’y serais actuellement." Mais un titre de champion d’Europe en double obtenu l’automne dernier a rendu ce rêve accessible. "Quand on fait du badminton, l’INSEP, c’est le Graal ultime", affirme-t-il. "Tout est fait pour qu’on réussisse, au niveau structure, au niveau sportif… C’est vraiment pro, on sait qu’on n’est pas là pour rigoler." 

Les athlètes scolarisés suivent des cours au sein de l’établissement, à quelques minutes à pied de leurs chambres. "Les effectifs sont vraiment réduits", précise Thibault. "Il n’y a aucune classe où il y a plus de 7 élèves. On sait qu’on est là pour travailler, avoir des bonnes notes et réussir."

Et quand on s’entraîne 30 heures par semaine comme Thibault, les à-côtés sont importants. "Beaucoup de gens sont là pour nous, pour nous permettre de performer", affirme-t-il. "Par exemple, on est seulement une vingtaine de badistes et on a six kinés rien que pour nous. Je vais aussi commencer la préparation mentale." 

Même s’il n’évolue à l’INSEP que depuis quelques semaines, Thibault est déjà conquis. Confiant, aussi. "Je sais que je ne peux que m’améliorer", déclare-t-il. "Ici, tous mes adversaires sont plus forts que moi. Avant d’entrer à l’INSEP, j’étais le meilleur. Maintenant, ce n’est plus le cas. Ça me motive vraiment parce que j’adore le challenge, ça me donne envie de travailler dur pour, moi aussi, être le meilleur, dans quelques années." 

Camille Beaurain