Un algorithme sur le banc: les coachs sont-ils voués à être remplacés par l’intelligence artificielle?

Septembre 2025. Les Ballers d’Oakland, une franchise américaine de baseball, affrontent les Great Falls Voyagers en ligue mineure. En fin de rencontre, Aaron Miles, l’entraîneur des "B's" s’approche de son homologue et ne lui tend pas sa main mais...sa tablette.
Car c’est bien elle qui a intégralement géré la rencontre en se basant sur des années de données et d’analyses de match. Tactiques, nouvelles stratégies, changements de joueurs... Cette intelligence artificielle programmée pour diriger l'équipe a tout pris en main. Le tout pour un rendu proche des décisions du coach lors des rencontres précédentes.
"Je pense que c’est surtout un coup marketing", sourit Erwan Benech, membre de l’entreprise SportTech, en charge de fournir de l’intelligence artificielle à des clubs et des Fédérations. "Mais l’IA peut apporter un plus car le cerveau humain est défini. Malgré l’expérience et l’intelligence humaine, quand on veut mettre plusieurs variables qui peuvent composer la victoire d’une équipe, on peut arriver à bout de souffle et ne pas voir certaines choses. L’IA, elle, est un millefeuille capable de superposer à l’infini plusieurs données pour sortir quelque chose que le cerveau humain n’aurait pas été en mesure de trouver. C’est un formidable outil si le coach sait s’en servir."
Une utilisation croissante pour les entraîneurs
Dans le milieu du cyclisme, Groupama-FDJ a été l'une des premières équipes à mettre en place une plateforme avec toutes les datas des coureurs. "Et depuis quelques temps, on utilise l’IA au sein de cette plateforme", assure Frédéric Grappe, directeur de la performance de la formation. "L’IA va pouvoir aider à recouper des informations que l’humain ne va pas chercher", abonde-t-il. "Ce qui m’intéresse, par exemple, c’est de savoir comment mes coureurs réagissent en fonction des conditions climatiques. Pour nous, c’est difficile. Alors que l’IA, à partir de ses modèles et avec toutes les datas qui sont moulinées, va pouvoir déterminer s’il y a une baisse de performance en moyenne pour un coureur en fonction des températures et de la vitesse du vent. L’humain n’est pas capable de ça."
Frédéric Grappe voit même plus loin. "L’idée serait de travailler sur les différents profils de courses et de coureurs. Aujourd’hui, on le fait par intelligence humaine mais il y a tellement de paramètres à prendre en compte... Je pense que l’IA va nous aider à mieux cibler les compositions d’équipes par rapport aux profils de courses, aux concurrents potentiels et aux conditions climatiques." Mais avec nuances: il souhaite qu'il y ait "un technicien qui donnera sa validation personnelle. L’humain sera toujours là pour valider la solution donnée par l’IA, une validation nécessaire pour que l’IA s’améliore".
Comment l'IA peut-elle gérer l’incertitude de la compétition sportive?
Curieux de nouvelles technologies, l’entraîneur de basket-ball Jean-Denys Choulet s’est penché sur l’IA. "Ça se fait beaucoup aux États-Unis. Steph Curry l’utilise pour travailler ses shoots avec des robots dirigés par l’IA par exemple", fait-il valoir. "Y avoir recours pour les entraînements au rebond, la gêne au shoot, ça peut être intéressant mais le fait de faire coacher une intelligence artificielle, ça me semble compliqué."
Car pour l’ex-entraîneur de Gravelines, Roanne ou Chalon aujourd’hui à la recherche d’un projet, l’IA ne pourra pas gérer l’incertitude du direct. "Le coach a ses intuitions, ses décisions. Il y a aussi l’ambiance d’une salle, un climat parfois hostile que l’IA ne peut pas prendre en compte et qui fait qu’on verra encore des coachs quelques années sur le bord des terrains, et heureusement. Parfois, l’environnement permet au coach de trouver des solutions instantanées. C’est l’incertitude qui fait la beauté du basket. Il est important que le coach soit là pour prendre la décision, bonne ou mauvaise d'ailleurs", poursuit-il.
L’incertitude, le club d’Oakland s’y est confronté lorsqu’il a laissé l’IA gérer sa rencontre. Une seule fois, l’entraîneur Aaron Miles est intervenu, pour remplacer son receveur titulaire, malade, par son remplaçant. "Quand on est manager, on a parfois des données que nous sommes les seuls à avoir", explique Philippe Saint-André, ex-sélectionneur du XV de France. "Comment se rendre compte, pour l’intelligence artificielle, qu’un garçon a une contracture au dernier moment? Qu'un joueur n’a pas dormi de la nuit parce qu’il a des enfants en bas âge? Ou qu'un autre n’était pas vraiment en confiance durant la semaine d’entraînement?"
Philippe Saint-André a cependant été bluffé par l’IA pour ce qui est du discours de coach. "J’ai essayé de demander à ChatGPT: 'Je viens de perdre un match, fais-moi mon discours pour le prochain match', et il y avait pas mal de cohérence, il m’avait sorti un axe que j’avais prévu d’aborder, c’était assez surprenant", confie-t-il. Mais il ne se voit pas être guidé par l’IA pour un changement tactique. "On voit le match, j’ai mes analystes, je vois les images. Si mon pilier est en difficulté, je m’en suis déjà rendu compte, j’en ai parlé avec mes entraîneurs, mon préparateur physique. Mais si, en plus du ressenti que tu peux avoir, l’IA te confirme dans tes choix, tu peux peut-être réagir plus rapidement dans ton coaching, faire le changement quatre ou cinq minutes avant, ce qui peut t’éviter d’encaisser un essai."
Assister l’entraîneur, c’est plutôt dans ce rôle que les développeurs conçoivent l’IA. "Il y a une sorte de croyance des gens hors du milieu sportif comme quoi l'IA va remplacer l'entraîneur. La réponse, c'est non", tranche Nicolas Bideau, chercheur spécialiste "IA et Sport" à l’ENS de Rennes. "Elle est là pour fournir des données inaccessibles par un certain nombre de personnes et de manière directe. Mais la décision, c’est celle du coach, de l'entraîneur. Elle rendra l’analyse vidéo et traitera la donnée pour la rendre disponible à l’entraîneur ou au sportif plus rapidement. Les entraîneurs veulent de la donnée, de l’info mais ils ne veulent pas qu’on soit là pour fournir un outil de décision."
L’émotion, la limite de l’IA
Et si l’IA est pour le moment battue sur un terrain dans son duel avec l’entraîneur, c’est bien sur le champ des relations humaines. Même si elle y travaille. "L’enjeu des algorithmes de l’IA aujourd’hui, c’est d’être capable de traiter la variabilité", reprend Nicolas Bideau, qui a travaillé auprès des nageurs français durant les Jeux olympiques de Paris. "La machine a appris des situations, des gestes, des comportements physiologiques mais cela reste du modèle qui n’est peut-être pas transposable à des champions olympiques, comme Florent Manaudou, Maxime Grousset ou encore Léon Marchand, car ce sont des gens singuliers dans leur manières de réagir à des situations."
Pour le directeur de la performance de Groupama-FDJ, il va manquer à l’intelligence artificielle plusieurs années pour aborder le génératif. "Gérer un athlète, ce n’est pas gérer une paire de chaussures dans un magasin. On est dans l'émotionnel: l'athlète est une machine et le cerveau, l'électronique. Le physique peut être top et là-haut, ça dysfonctionne. L'IA pourra ne pas le voir… pour l’instant", assure Frédéric Grappe "Les plus grands champions et les meilleurs athlètes sont ceux qui vont créer de la performance à partir d'une analyse très fine de leur sensation. Des athlètes sont inégaux par rapport à ça. Les vitesses mesurées avec les GPS sont des réponses mais l'athlète a construit sa performance avec de la charge interne. N'analyser que des réponses sans la partie interne n'est pas efficace. Et ça, vous ne pouvez pas l'avoir avec les datas."
Des datas qui certainement n’auraient pas incité l’IA à conseiller un certain joueur à Jean-Denys Choulet. "L’affectif, tu ne peux pas l’avoir avec les chiffres. Des individus sont parfois considérés comme ingérables, regardez Sylvain Francisco. Quand je l’ai pris à Roanne, on m’a dit qu’il ne pouvait pas gérer une équipe, que ce n’était pas un meneur de jeu, qu’il était très compliqué… Il a fait la meilleure saison de sa jeune carrière à l’époque."
Philippe Saint-André, lui, relève l’indispensabilité du coach dans un vestiaire à la mi-temps ou en fin de rencontre: "Je vois mal un ordinateur parler aux mecs dans le vestiaire. Il y a de la stratégie de la technique mais aussi une connexion corporelle, un message dans les yeux, avec les gestes. Parfois, tu n’as pas besoin de parler: à ta tête et ton attitude, les joueurs ont compris." De quoi parfois éviter l’Erreur404.