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Taras Stepanenko (international ukrainien du Shakhtar): "Le football ? Tous mes rêves et mes espoirs sont tournés vers la paix dans mon pays"

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Le milieu de terrain du Shakhtar Donetsk et de la sélection ukrainienne, Taras Stepanenko, réagit à l’invasion de la Russie dans son pays au micro de RMC Sport. Des premières bombes qui l’ont réveillé en pleine nuit à la situation actuelle, l’homme aux 69 sélections demande l’aide de la France et de l’Union européenne pour éviter une catastrophe humaine.

Dans un monde sans guerre, Taras Stepanenko serait probablement en train de récupérer d’une intense séance d’entraînement sous les ordres de Roberto De Zerbi. Alors que notre conversion se déroule en fin d’après-midi, le milieu du Shakhtar est enfermé dans une maison bien loin des terrains d’entraînement de son équipe. Installé temporairement proche de la frontière roumaine, Stepanenko prend le temps de répondre à toutes les demandes. La situation de son pays l’inquiète et il tient à témoigner autant qu’il le peut. "Le monde doit savoir", dit-il le ton grave.

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La question est des plus banales en temps normal, on l’échange chaque jour parfois même sans se soucier de la réponse : comment allez-vous ?

Ma famille, mes trois enfants et moi sommes dans un endroit sûr et il y a beaucoup de personnes qui sont dans une situation bien pire que nous, donc je ne peux pas me plaindre. Nous avons quitté Kiev et nous sommes dans une maison proche de la frontière roumaine. Plusieurs joueurs ukrainiens de l’équipe ont décidé de quitter la capitale, et des joueurs d’autres équipes évitent les zones les plus dangereuses comme Kharkiv, Mariupol et Soumy.

Comment ou quand comprend-on que notre pays est entré en guerre ?

Le 24 février, vers cinq heures du matin, on a entendu les premiers bombardements d’aéroports et de centres militaires. On ne pouvait pas y croire. Au début, je disais à ma femme que c’était peut-être un problème dans une usine ou un entrepôt où il pouvait y avoir un accident et donc des explosions. Ma femme et mes enfants ont pris peur et nous avons décidé de nous enfermer dans le sous-sol de notre maison non loin de Kyiv. On a commencé à lire et recevoir les informations. C’est là qu’on a compris que la Russie avait commencé son invasion de l’Ukraine. Et ça a été un choc. On s’est dépêché d’envoyer des messages à nos amis et à notre famille pour savoir si tout était ok pour eux. J’ai envoyé un message dans le groupe WhatsApp du Shakhtar, on a commencé à parler de la situation. Les dirigeants nous ont demandé de rester chez nous, de nous mettre tous en sécurité et d’attendre les informations qu’ils tentaient de récolter.

Des dessins réalisés par les fils de Taras Stepanenko (à gauche, vers le cœur avec le drapeau ukrainien "Gloire à l'Ukraine" ; et des tanks et avions ukrainiens qui gagnent face aux Russes).
Des dessins réalisés par les fils de Taras Stepanenko (à gauche, vers le cœur avec le drapeau ukrainien "Gloire à l'Ukraine" ; et des tanks et avions ukrainiens qui gagnent face aux Russes). © Taras Stepanenko

Les joueurs étrangers du Shakhtar et le staff de Roberto De Zerbi ont été envoyés dans un hôtel de Kyiv pour préparer leur départ d’Ukraine. Comment avez-vous gardé le contact ?

Roberto et moi avons beaucoup échangé. Il m’a appelé dès les premiers instants de l’invasion. Nous avons passé beaucoup de temps sur notre téléphone avec les joueurs ukrainiens, les Brésiliens, les joueurs de la sélection nationale également. On essayait de savoir si tout le monde était dans un lieu sûr dans un premier temps et ensuite on a discuté sur comment aider la population ukrainienne et nos militaires face à cette invasion.

(L’un de ses fils prend le téléphone et dit dans un français d’excellente qualité : "Bonjour, comment ça va ?")

Comment parle-t-on de la guerre à ses enfants ?

C’est mon fils qui apprend le français à l’école que tu as entendu. Au début, ma femme ne voulait pas qu’on leur raconte ce qu’il se passait. Elle pensait que c’était mieux de ne pas leur parler de la guerre pour les protéger. Mais le lendemain du début de l’invasion, on leur a dit que la Russie nous faisait la guerre et qu’elle envahissait notre pays.

La voix des sportifs est très puissante, elle a une portée importante auprès des populations, des jeunes, des amateurs de sport. Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux Européens et aux Français ?

Je veux simplement rappeler que la Russie est en train de nous bombarder, qu’ils lancent des roquettes sur des civils, des hôpitaux, des écoles, des bâtiments administratifs. Si vous regardez les images aujourd’hui de Kharkiv, Mariupol, Soumy et Kyiv, ces villes sont en feu ! Les bombes explosent partout. C’est très dangereux pour la population et pour nos enfants. On demande l’aide de la France, de l’Union européenne, des pays du monde entier pour arrêter cette guerre et faire en sorte d’installer la paix. On apprécie vraiment votre soutien montré depuis le début, c’est très important pour nous. On a besoin d’aide médicale, d’aide humanitaire, d’aide militaire et d’aide financière. Il faudrait aussi que l’Union européenne protège notre espace aérien car les forces militaires russes utilisent leurs avions pour lancer des bombes, détruire nos villes et tuer des civils.

Vous arrivez encore à penser au football en ce moment ?

Je ne peux pas penser au football… tous mes rêves et mes espoirs sont tournés vers la paix dans mon pays, toutes mes pensées vont aux personnes qui meurent ici chaque jour. Vous ne pouvez décemment pas penser à autre chose. Bien sûr, je suis un footballeur donc je dois maintenir ma forme physique, peut-être que dans quelques jours, je ferai un peu de fitness, mais je ne sais même pas. Cela dépend de la situation. On ne sait pas combien de temps ça va durer. On verra demain.

En France, nous avons un son très connu qui s’intitule "Demain c’est loin" (du groupe de rap IAM)…

C’est valable ici en ce moment. On réfléchit au jour le jour. Avec appréhension, mais non sans espoir.

Propos recueillis par Johann Crochet