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"Il m’a dit qu’il avait envie de se le faire": pourquoi les hockeyeurs des États-Unis et du Canada veulent à ce point se battre

La bagarre entre Brandon Hagel et Matthew Tkachuk lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025

La bagarre entre Brandon Hagel et Matthew Tkachuk lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025 - Icon Sport

Un hymne américain conspué, trois bagarres en neuf secondes et des provocations à tout-va. Le match de hockey sur glace du Four Nations entre le Canada et les États-Unis, le week-end dernier, a tourné au pugilat à Montréal. Un échauffement, avant la grande finale entre les deux rivaux, dans la nuit de jeudi à vendredi (2h, heure française) à Boston.

Des gants qui volent, un public qui rugit, et des coups qui pleuvent. Le match du Four Nations de hockey sur glace entre le Canada et les États-Unis, dans la nuit de samedi à dimanche dernier à Montréal, a offert l’une des séquences de l’année. Dans les neuf secondes suivant le coup d’envoi, ce n’est pas une, ni deux, mais trois bagarres qui ont été déclenchées sur la glace, pour une affolante partie de manivelles entre voisins.

Sitôt le match lancé, l’Américain Matthew Tkachuk a provoqué le Canadien Brandon Hagel pour une première valse à deux. Les belligérants à peine envoyés sur le banc de pénalité, c’est Brady Tkachuk - petit frère de Matthew - qui a fait des siennes, réglant lui ses comptes avec Sam Bennett (le centre des Florida Panthers, pas le coureur cycliste) pour rejoindre le frangin dans le box, un petit goût de sang dans la bouche. Avant que J.T. Miller ne boucle la trilogie par un duel contre Colton Parayko.

Si la rencontre a finalement été remportée par les Américains (3-1), personne ou presque n’a vu les buts de ce côté de l’Atlantique. Car c’est bien cette introduction épique qui a fait le tour du monde. De quoi donner une image déplorable du hockey sur glace? C’est ce que se demandent certains parents québécois, gênés d’avoir assisté à ce spectacle avec leurs enfants, dans un reportage du Journal de Montréal. Ils sont pourtant minoritaires.

"C'est formidable pour le sport en lui-même"

Les 21.000 spectateurs du Centre Bell, eux, semblaient aux anges. Les acteurs aussi. "Je n’ai vu personne se diriger vers la sortie", a ainsi noté Jon Cooper, l’entraîneur du Canada, estimant que ce déferlement de violence sur la patinoire a renforcé la popularité de son sport. Pour Mike Sullivan, le coach de Team USA, c’était même "une incroyable soirée de hockey". "C'est formidable pour le sport en lui-même", a-t-il ajouté. "Je pense que cela pourrait inspirer une autre génération de jeunes joueurs à vouloir jouer au hockey, comme certains événements ont eu un impact sur ma génération, je pense au Miracle on Ice de 1980."

Une prochaine génération qui n’est sans doute pas au bout de ses émotions. Car après "l’échauffement" de samedi à Montréal, Américains et Canadiens vont se retrouver dans la nuit de jeudi à vendredi (2h, heure française) pour la grande finale du Four Nations, match à l’enjeu encore plus fort, cette fois de l’autre côté de la frontière, à Boston. De quoi offrir un nouveau buffet de châtaignes? Si l’on en croit les observateurs, les bagarres devraient cette fois être moins nombreuses. Mais le public ne devrait pas y échapper pour autant, vu le contexte et l’animosité sur la glace.

La bagarre entre Brandon Hagel et Matthew Tkachuk lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025
La bagarre entre Brandon Hagel et Matthew Tkachuk lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025 © Icon Sport

Une rivalité ancestrale, et un règlement permissif

Canada contre États-Unis, c’est ce qui se fait de mieux en termes de hockey sur glace. C’est une rivalité presque ancestrale, et surtout, c’est un affrontement devenu rare. Les Américains ayant pris l’habitude d’envoyer la plupart du temps une équipe bis (au mieux) lors des Jeux olympiques et des championnats du monde, les deux nations ne s’étaient pas affrontées avec leurs meilleurs joueurs sur la glace – les stars de NHL, la prestigieuse ligue nord-américaine – depuis… 2016. Le choc du 15 février 2025 avait donc été coché dans les agendas de longue date.

"Dix ans sans compétition internationale, condensés en une minute et demie", a résumé l’entraîneur canadien Jon Cooper.

D’autant plus que le Four Nations, compétition à laquelle participaient aussi la Finlande et la Suède, n’est par organisée par l’IIHF, la Fédération internationale de hockey sur glace, mais régie par la NHL. Et ça change pas mal de choses. Lors des tournois IIHF, comme les Mondiaux, les bagarres sont proscrites, et lourdement sanctionnées. Dans les matchs sous l’égide de la NHL, c’est open bar ou presque. Le un-contre-un est toléré, ou du moins puni seulement de quelques minutes de pénalité, et encadré par les arbitres. Autant dire que l’occasion de retrousser les manches, pour affirmer sa supériorité, était belle. Même si, d’un côté et de l’autre, les motivations n’étaient pas forcément les mêmes.

La bagarre entre Sam Bennett et Brady Tkachuk lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025
La bagarre entre Sam Bennett et Brady Tkachuk lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025 © Icon Sport

Un patriotisme canadien renforcé par les provocations de Donald Trump

Au Canada, la réception de Team USA à Montréal a pris, dans les jours avant la rencontre, une tournure très politique. Parce que Donald Trump a fraîchement été réélu président des États-Unis, et que l’omnipotent dirigeant a multiplié ces dernières semaines les provocations à l’encontre du voisin, imposant de nouveaux droits de douane et appelant (plus ou moins sérieusement) à faire du Canada le 51e État des États-Unis.

Une idée perçue comme une insulte sur les rives du Saint-Laurent, qui n’a fait que dégrader les relations entre les deux pays, réveillant au passage le patriotisme canadien. Sous les yeux du Premier ministre Justin Trudeau, présent en tribunes, l’hymne américain a été conspué comme jamais par le public du Centre Bell. Titillant les joueurs américains, et exaltant leurs homologues canadiens.

"Ce qui est arrivé en début de match, je l'ai fait pour le drapeau et pas pour les caméras", a expliqué mardi Brandon Hagel, l’ailier des Rouge et Blanc.

Un discours qui embarrasse un peu Serge Savard, l’ancien capitaine et directeur général des Canadiens de Montréal, le plus grand club du pays. "Ce n'est pas parce qu'une personne prend une décision qu'on doit détester l'ensemble du pays", a observé la légende locale, faisant référence à Donald Trump dans des propos relayés par Radio Canada. Savard avait lui vécu la grande rivalité entre Canadiens et Soviétiques dans les années 70. "C'était devenu politique cette série-là, et malgré nous. C'est un petit peu la même chose que ce qui se passe aujourd'hui. On ne devrait pas tomber dans cela, huer l’hymne adverse." Et de prévenir: "Quand ça se produit, c'est repris par Fox News aux États-Unis, ça installe une vague de haine là-bas. J'ai des amis aux États-Unis, ils m'ont tous appelé. L'hymne canadien va être hué à Boston lors des prochains matchs."

La bagarre entre Colton Parayko et J.T. Miller lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025
La bagarre entre Colton Parayko et J.T. Miller lors de Canada-Etats-Unis en hockey sur glace, le 15 février 2025 © Icon Sport

Affirmation et contentieux personnels

Pourtant, dans le camp d’en face, on semble faire de cet affrontement une chose bien plus légère. Du moins davantage liée au hockey et à la simple rivalité sportive. Après la rencontre houleuse du week-end passé, les frères Tkachuk ont ainsi expliqué avoir juste voulu marquer leur territoire, et l’émergence d’une nouvelle génération de hockeyeurs américains bien décidés à bousculer les Canadiens, largement dominateurs dans les confrontations directes ces dernières décennies.

"On voulait passer un message. Dire à tout le monde que notre temps est venu", a lancé Matthew Tkachuk après la rencontre, confirmant que son frère Brady, Miller et lui avaient planifié leur coup en amont du match, dans une conversation WhatsApp. "Nous étions dans un environnement hostile et nous voulions démontrer que nous n’allions pas reculer." Et si en plus cela permet de solder quelques contentieux personnels…

"Quand Matthew a découvert les compositions, il m’a dit qu’il avait envie de se le faire", a déclaré de son côté Brady Tkachuk, évoquant la bagarre du frangin avec Brandon Hagel. Car Matthew Tkachuk et Brandon Hagel, ce n’est pas qu’États-Unis contre Canada. C’est aussi, beaucoup plus simplement, un joueur des Florida Panthers et un joueur du Tampa Bay Lightning qui s’affrontent tout au long de la saison en NHL, et qui se détestent.

"Lui et moi avons certain passif", a confirmé Hagel.

"Je me doutais que si nous commencions le match tous les deux, il me le demanderait (à pouvoir se battre). Ça faisait longtemps que ça devait arriver." Avant d’émettre une ultime mise en garde en vue de la finale: "Nous (les Canadiens) sommes tous unis dans une même cause. Nous voulons gagner pour notre pays et nous sommes prêts à faire tout ce qui nous aidera à sortir gagnants. Nous n'avons pas besoin d'échanger des messages entre nous pour nous demander quoi faire. Nous faisons simplement ce qui doit être fait."

https://twitter.com/clementchaillou Clément Chaillou Journaliste RMC Sport