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"Explorer de nouvelles façons de pratiquer le biathlon": pourquoi les compétitions de ski-roues prennent de l'ampleur dans le calendrier des biathlètes

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Nouveauté cette année dans la saison de biathlon. Avant le début de la coupe du monde, prévu le 29 novembre à Östersund (Suède), la fédération internationale de biathlon (IBU) a rendu obligatoire la participation à une course de ski-roues ce dimanche, lors du Loop One Festival à Munich. Avec un double objectif: conquérir un public plus nombreux mais surtout ne préparer à un avenir qui s’annonce inéluctablement avec de moins en moins de neige. Entretien avec Daniel Boehm, directeur des sports et compétitions à l'IBU.

Pourquoi avoir rendu ce Loop One Festival obligatoire pour les meilleurs athlètes du circuit?

Nous voulons aborder le biathlon d’été sous un angle légèrement différent et l’utiliser aussi comme une sorte d’ouverture de saison. Par le passé, la première manche de Coupe du monde était toujours une étape “classique”. Mais à cinq semaines du début de la saison hivernale, nous voulons vraiment rappeler aux gens que l’hiver arrive bientôt et que le biathlon va recommencer. En même temps, nous voulons aussi sortir le sport de son cadre habituel, l'amener dans un environnement urbain, dans une grande ville, là où se trouvent les gens afin d’atteindre un nouveau public. Et si le sport et les compétitions sont bien sûr au cœur de l’événement, nous voulons également construire quelque chose autour. Il y aura des concerts, des animations pour les jeunes, pour ceux qui n’ont peut-être jamais été en contact avec le biathlon. C’est donc une opportunité pour nous à Munich de toucher un nouveau public. Je dois préciser que nous n’avons rien rendu obligatoire, il n’y a eu aucune pression pour obliger quiconque à participer. Bien sûr, nous avons essayé de convaincre les équipes, en particulier les grandes fédérations, de saisir cette opportunité car selon nous c’est aussi pour elles l’occasion de se présenter, de promouvoir leur image auprès du public avant le début de la saison, et surtout avant la saison olympique.

C’est une ouverture de saison mais sans points distribués pour la coupe du monde. Est-ce qu'à l'avenir, ces compétitions de ski-roues pourraient s'intégrer au calendrier de la coupe du monde avec des points comptant pour le classement?

Pour l’instant, non, il n’y aura aucun point en jeu. Et cela a aussi été très important dans notre communication avec les équipes. Nous ne savons pas encore ce qu’il se passera à l'avenir. Nous sommes tous conscients que nous pourrions rencontrer un défi à moyen terme avec la neige en hiver. Pour l’instant, nous n’en sommes pas au point de dire qu’il faut absolument passer au ski-roues. Mais je pense que tout le monde comprend qu’il faut être préparés au pire des scénarios. Ce n’est pas un secret, nous en avons déjà discuté plusieurs fois avec les entraîneurs, avec les équipes. Dans le pire des cas, s’il arrive qu’en plein mois d’hiver, il y ait une semaine sans neige, ni naturelle ni artificielle, alors il vaut mieux organiser une épreuve sur ski-roues que de l’annuler complètement. Notre intention n’est pas de pousser aujourd’hui le biathlon sur ski-roues, mais bien d’être prêts dans le cas où cela se produirait dans le futur. En ce qui concerne les éventuels points de coupe du monde distribués à Munich, je pense qu’il faut d’abord observer comment se déroule l’événement, comment les fans et les équipes vont le percevoir, et ensuite avancer pas à pas. Mais il faut vraiment d’abord établir les bases. Nous pensons que cela peut être un excellent ajout à notre saison d’hiver, mais nous voulons une évaluation attentive avec toutes les parties prenantes après coup.

Diriez-vous que c’est une façon de préparer les esprits à une sorte de transition à long terme pour ce sport?

Oui, je pense que c’est bien formulé. C’est ainsi que nous avons procédé pour des changements dans le passé. En faisant les choses doucement, progressivement et en concertation avec les parties prenantes, notamment les équipes et les athlètes, pour vraiment évaluer ces éventuels changements. Et c’est pourquoi je pense qu’il est important de ne rien tester directement au niveau coupe du monde, mais de construire étape par étape. Il existe déjà des événements de ce type, pas avec une participation complète, mais ce n’est pas totalement nouveau. Nous savons aussi que le ski-roues est un peu différent du ski de neige. Mais en même temps, notre stratégie est aussi d’explorer de nouvelles façons de pratiquer le biathlon, afin d’attirer un public plus jeune. Nous savons que la consommation de sport, surtout chez les jeunes générations, évolue. Et cela nous donne une opportunité à Munich de tester de nouveaux formats, même s'ils ne sont pas totalement inédits. Le “super-sprint”, par exemple, existe déjà dans notre règlement depuis un certain temps. Mais la plupart des meilleurs athlètes ne l’ont encore jamais disputé, et c’est la première fois qu’ils pourront l’expérimenter.

Le biathlon, contrairement à d’autres sports d’hiver, a-t-il une chance de devenir aussi un sport d’été?

Oui je pense que parmi les sports d’hiver, le biathlon a l’une des meilleures opportunités. Le saut à ski a partiellement réussi à le faire déjà. Mais ce qui rend le biathlon très attractif, c’est cette incertitude jusqu’au dernier tir. C’est imprévisible, il y a beaucoup de tension, et tout peut changer. Et cela reste vrai aussi en été. Là où je reste plus prudent, c'est sur le fait de le développer toute l’année. Parce qu’en été, nous sommes en concurrence avec d’autres sports : le football, la Formule 1, etc. Les gens sont aussi davantage dehors, profitant eux-mêmes de la nature. Alors qu’en hiver, quand il fait sombre et pluvieux, ils regardent plus facilement du sport à la télévision. Ce n’est donc pas si simple de dire : ‘faisons du biathlon toute l’année’. Mais ce que nous pouvons créer, c’est un accès plus facile à ce sport en été. Parce qu'on peut courir, faire du roller, du vélo, et y associer le tir, même avec du tir laser. Donc pour attirer de nouveaux publics, il est plus facile d’organiser ce genre d’événements en été. Mais je vois quand même le cœur de notre sport de haut niveau rester en hiver. Ce que nous voulons également, c’est convaincre les fédérations nationales qui n’ont pas accès à la neige naturelle en hiver – il y a parmi nous plus de 50 fédérations, notamment dans les Balkans ou au Moyen-Orient – de profiter de cette possibilité. Plutôt que d’investir lourdement dans des stages d’entraînement en Europe ou en Amérique du Nord, elles pourraient organiser des compétitions régionales en hiver sur ski-roues. Cela devrait faire partie du biathlon comme une discipline normale.

Est-ce que pour le biathlon, cela pourrait également être une réponse aux problèmes liés au réchauffement climatique et au manque de neige qui en résulte?

Je dirais que c’est une partie de la réponse. Cela ne résout pas à lui seul toutes nos difficultés. Notre objectif principal reste, à moyen terme, d’organiser nos grands événements sur neige. Nous nous considérons toujours comme un sport d’hiver et de neige. Mais pour les défis que vous mentionnez, c’est une partie de la solution. Je pense que dans 10 ou 15 ans, il sera encore possible d’organiser les grands événements sur neige, grâce aux infrastructures, à la neige artificielle, peut-être en altitude plus élevée. Donc les étapes de Coupe du monde, ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus. Mais pour l’accessibilité ou le recrutement de jeunes athlètes, il faut convaincre quelqu’un qui n’a jamais vu la neige que le sport d’hiver existe. Le ski-roues peut jouer un rôle de passerelle, une pièce du puzzle.

C'est le but de l’IBU de développer le biathlon hors des pays “traditionnels”?

Je pense que chaque sport cherche à se développer sur de nouveaux marchés. Mais honnêtement, notre cœur reste l’Europe, avec un peu d’Amérique du Nord et de Russie. Bien sûr, nous avons aussi de la participation asiatique, mais le public reste majoritairement européen. Si nous voulons grandir, nous devons ouvrir notre esprit et viser d’autres publics. Mais ce n’est pas notre priorité absolue: nous ne devons pas oublier d’où viennent nos forces. Nous voulons grandir, mais de manière saine.

Donc vous pourriez tester ce format ailleurs qu’à Munich, dans des pays sans biathlon?

Il n’y a pas de plan concret pour l’instant. Notre approche est de tester à Munich, pas seulement une fois, mais plusieurs éditions, puis d’évaluer, voir s'il y a besoin d'ajustements. Ensuite, il sera peut-être possible de l’étendre: Paris, Prague, New York, pourquoi pas. Ce sont des opportunités. Ce n’est pas l’objectif principal, mais c’est théoriquement un concept qu'il est possible de mettre en place ailleurs.

Avez-vous des projets en France? Peut-être avec Martin Fourcade, qui organise le Martin Fourcade Nordic Festival sur un format similaire à Munich?

Il y a beaucoup d’opportunités. Le développement du biathlon d’été n’est pas nouveau, nous en discutons depuis des années avec des organisateurs d'événements, y compris Martin (Fourcade). Mais il reste une certaine incertitude, surtout du côté des équipes, quant à la direction à prendre. Le sport est assez traditionnel, et c’est difficile de changer les mentalités. La communication continue, avec Martin, avec le Blink Festival (compétition estivale organisée en Norvège). J’aurai d’ailleurs une réunion avec lui autour de l’événement de Munich pour voir comment s’aligner. Il est important de ne pas avancer chacun de son côté. Donc oui, il y a des idées, mais rien encore de décidé. On veut vraiment avoir les équipes sur le même chemin que nous.

Les formats utilisés sur les compétitions d'été sont très spectaculaires, courtes, et éloignées des formats traditionnels du biathlon d’hiver. Est-il possible de transposer les formats plus traditionnels (poursuite, mass start etc...) sur ski-roues?

Tous nos formats existants peuvent facilement être transférés en été. Mais nous voyons aussi que les compétitions en confrontation directe sont celles qui plaisent le plus aux spectateurs. Du côté des athlètes, ils préfèrent garder le sprint ou l’individuel, ce que je comprends totalement. Et c'est notre rôle de trouver le bon équilibre. Pour les événements en ville, visant un nouveau public, ce sont les formats en confrontation directe qui fonctionnent le mieux. Le super-sprint est court, avec des qualifications, ce qui offre une journée entière d’activités pour les spectateurs. Mais d’autres formats marcheraient aussi très bien, comme le relais mixte simple qui met en valeur l’esprit d’équipe. Chaque année, nous recevons des centaines de suggestions de fans pour ajuster les formats. Il y a beaucoup de bonnes idées. Mais nous devons être prudents et bien évaluer les choses, ne pas trop multiplier les formats sinon plus personne ne comprendra le sport. Et si un nouveau format arrive, il faut peut-être en retirer un ancien. La tendance va clairement vers des compétitions plus intenses et spectaculaires, mais il faut garder un équilibre et ne pas sacrifier la tradition. Jusqu’ici, nous avons trouvé un assez bon équilibre, mais voyons ce que sera le biathlon dans dix ans.

Julien Richard