Mondiaux de biathlon: comme un air de "Boestalgie" après l'annonce de sa prochaine retraite

Ils en profitent, tant qu'il est encore temps. Peau de bête sur le dos, des énormes bois d'élans qu'ils traînent tant bien que mal dans la neige, de Lenzerheide, Eval et Aril deux supporters norvégiens ne manquent pas une miette des derniers coups de bâtons de Johannes Boe. "Ce n'est pas triste qu'il arrête", jure Eval. "Il le mérite! Il a été le meilleur pendant 10 ans, il a sa famille maintenant et il est souvent loin d'eux donc c'est le moment pour lui d'arrêter." Aril nous explique habiter à 400m de la maison du quintuple vainqueur classement général de la Coupe du monde et croiser souvent sa femme et ses deux enfants. Pour lui pas de débat. "C'est un des meilleurs athlètes de l'histoire du sport en Norvège, tous sports confondus." Les deux amis en cœur lancent un "Tusen Takk", merci pour tout. "On lui souhaite le meilleur". Et Aril d'ajouter en agitant ses drapeaux norvégiens: "Merci pour tout Johannes et viens boire un coup avec nous!"
Bjorndalen: "Ils vont nous manquer, ce sera bizarre sans eux"
La bière ce sera pour plus tard. Quintuple champion olympique entre 2018 et 2022, Johannes Boe a annoncé mi-janvier qu'il mettrait un terme à sa carrière à la fin de la saison. En attendant, il a encore des victoires à aller chercher. Et des records. Le week-end dernier avec son doublé sprint-poursuite, il est devenu le recordman de titres mondiaux (22) et de titres individuels (12). Dépassant les légendes Martin Fourcade et Ole Einar Bjorndalen. Le compatriote de Boe qui a pu assister à la perte de son record derrière sa lunette installée sur le pas de tir, perché sur une petite boite en bois siglé de ses initiales "OEB" d'où il décrypte en direct pour la télé norvégienne les courses.
"Ça a été une surprise pour moi qu'il arrête parce qu'il est encore jeune", avoue Bjorndalen. "Je sais qu'il a eu des difficultés sur les préparations estivales ces dernières années. Il a besoin de beaucoup d'énergie pour se remettre à l'entraînement. Il adore la compétition, il a un énorme talent et il aime ça. Mais la préparation notamment pour les Jeux olympiques va nécessiter de faire plus d'entraînement en altitude avec de longs stages. Il a deux magnifiques enfants et sa femme à la maison et pour lui il a senti que c'était assez et il a pris cette décision."
Alors comme tout le monde, Ole Einar Bjorndalen ne rate pas une miette des derniers instants sur piste de Johannes Boe. Pris comme tout le monde d'une sorte de "Boestalgie". "Les top athlètes manquent toujours", analyse Bjorndalen. "Les frères Boe sont tous les deux des légendes et ils vont nous manquer. Il y aura des nouveaux athlètes qui vont se révéler mais ce qui va manquer c'est ce haut niveau de compétition qu'ils ont montré et à quel point ils ont développé leur sport. Ce sera très bizarre de ne pas les voir les prochaines années."
"Une part de mon adolescence qui s'en va"
Le vide sera immense. "C'est incroyable... J'ai envie de le prendre dans mes bras", lâchait Fabien Claude à l'arrivée de la poursuite dimanche. "C'est beau et c'est triste à la fois. C'est dommage qu'il parte mais il faut être content de tout ce qu'on a vu." "Sur la piste c'est un concurrent qui est dur, qui est vraiment très fort et c'est sûr qu'il va manquer à la Coupe du monde", prolonge Quentin Fillon-Maillet. "Il amène quelque chose en plus et quand on arrive à le battre ça veut dire qu'on a fait une course exceptionnelle." Et Fabien Claude de conclure: "A nous d'essayer d'aller le déloger une dernière fois sur ces championnats."
Des athlètes concentrés sur leur championnat, mais avec un oeil sur ces derniers moments à côtoyer la légende. "C'est ma fierté", lache Emilien Jacquelin dont on se souvient le sprint victorieux face à Johannes Boe pour son premier titre mondial en 2020 sur la poursuite à Antholz-Anterselva (Italie). "Les titres que j'ai eu c'est face à lui, face à Martin aussi. J'ai adoré courir avec cette génération. Il y a une certaine fierté d'avoir pu courir avec deux des plus grandes légendes de ce sport." Et si la nostalgie, "il y en a eu", est mise de côté pendant ces Mondiaux pour se concentrer sur ses courses, il concède qu'une "part d'adolescence s'en va avec ces athlètes-là. J'avais envie de courir avec eux sur la Coupe du monde, de les côtoyer. C'est une page qui se tourne complètement avec l'arrêt des frères Boe. C'est une vision de mon sport qui évolue. Mais je trouve ça bien qu'il termine comme ça"
Simon Fourcade a demandé à ses entraîneurs de le convaincre de rester jusqu'aux Jeux
Simon Fourcade, l'entraîneur de l'équipe de France masculine, et qui a couru contre le Norvégien à la fin de sa carrière, aurait bien aimé qu'il joue la prolongation. "Je regrette énormément qu'il arrête et je suis allé le dire à ses coachs. Je leur ai dit: 'dites-lui de continuer jusqu'à l'an prochain parce que quand on voit encore ce qu'il fait sur ces championnats...' Il arrête au sommet mais il a tellement encore à montrer. A un an des Jeux, c'est tellement dommage. On a envie de lui dire allez! L'effort n'est pas si grand, continue jusque-là!" L'aîné des Fourcade aurait "bien aimé voir la nouvelle génération qui arrive, dont Eric Perrot, se fighter avec l'an prochain. On n'aura pas cette chance, il va falloir cravacher dur pour faire tomber le roi de son trône avant la fin de la saison."
Avec l'individuel ce mercredi, il reste neuf courses individuelles au roux norvégien avant de raccrocher les skis et la carabine. "Je profite de chaque victoire comme si c'était la dernière", nous assurait Johannes Boe après son deuxième titre en Suisse dimanche. Une dernière ligne droite qui pourrait le voir se rapprocher d'un dernier record mythique, les 95 victoires d'Ole Einar Bjorndalen. Avec 90 au compteur il n'en est "plus si loin" comme il le glissait dans un sourire dimanche. "Plus que cinq victoires, il y a une petite chance que je le batte. Ce serait sympa de le faire à la maison à Holmenkollen." C'est chez lui à Oslo que se déroulera la dernière étape de la Coupe du monde cette saison, du 21 au 23 mars prochain. "C'est bien qu'il ait pu le dire assez tôt dans la saison pour que l'on puisse lui dire au revoir à la fin de la saison", se projette Ole Einar Bjorndalen. "Je pense que ce sera fou la dernière étape à Oslo avec les frères Boe qui arrêtent leur carrière."
Johannes Boe lui n'aspire qu'à une chose: "Ce que je veux le plus, c'est passer un bon moment et dire au revoir à tout le monde." Et plonger le biathlon dans la "Boestalgie".